lundi 14 mars 2016

Un conte de la région du Triangle d'Or : le poivre et le papillon




Il s’agit d’un conte traditionnel que m'a raconté un très vieux thaï. Il se dit dans l'épaisse jungle qui recouvre le Triangle d'Or, où l’on trouve parmi les plus beaux papillons du monde. On y trouve une explication primitive de l’univers tel qu’on le voit aujourd’hui, et c’est en quelque sorte une légende de création du monde.

Il y avait une fois, dans les terres profonde d’un pays très lointain, un papillon de toutes les couleurs, si beau que l’on disait de loin en le voyant passer : « voilà l’arc-en-ciel qui vient à nous ! », ou encore « j'ignorais que les fleurs puissent voler ! »

Ce papillon était le plus beau de la terre. Mais il avait un défaut, il était trop curieux.

On lui dit un jour qu’il ne doit jamais s’approcher des lumières des hommes : il y a là-bas des enfants et des vieilles personnes avec des barbichettes qui courent après les papillons avec des filets pour les attraper, leur transpercer le corps d'une longue épée, et les exposer dans des tableaux.

Le papillon se dit qu’après tout, il avait bien fallu que quelqu’un, un jour, soit allé voir ce qui se passe chez cette espèce étrange. Et ce quelqu'un était bien revenu pour raconter son histoire. Pourquoi n’irait-il pas lui aussi ?

Au loin brille la maison des hommes. Le papillon entre par la fenêtre sans vitre de la ferme. Il y avait là trois enfants.
Le plus petit dit : « regardez le joli papillon ! »
Le moyen dit : « je veux le capturer pour le montrer à mes amis à l'école. »
Le plus grand dit : « j’ai lu un livre selon lequel on attrape les oiseaux en leur mettant du sel sur la queue. »
Le moyen dit : « mais nous n’avons pas de sel chez nous, nous sommes trop loin de la mer ! »
Alors le petit déclare : « tant pis, si nous n’avons pas de sel, du poivre devrait marcher tout aussi bien ! »

Et il ouvre la poivrière et en jette le contenu en direction du papillon.
Le poivre s’élève. Il forme un nuage épais qui entoure le papillon. Les petits grains gris recouvrent ses ailes multicolores, son corps et ses antennes. Sa parure devient terne. Éperdu, il précipite ses battements d'ailes, réussit à sortir par où il était entré et retourne dans la forêt.

Le lendemain, il n’osa plus jamais sortir durant la journée : il avait trop honte. Ni le jour d'après. Ni encore celui d'après. Il sortait quand il faisait noir. Il était devenu un papillon de nuit...

Et depuis, tous les soirs, il vole vers la maison des hommes. Il tourne obstinément autour de leur lampe pour attirer leur attention. Mais on ne s’occupe plus de lui maintenant.

Il croit qu’un jour, les enfants lui jetteront une autre poudre – une poudre magique qui lui redonnera toutes ses couleurs…

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