Hier, je devais passer voir un ami qui habite à plus de cent kilomètres de la maison. Je l’appelle un peu avant de partir. Personne. C’est embêtant. Plutôt que de risquer un déplacement pour rien, je décide de continuer mon exploration des lacs de la région. Nous allons voir deux retenues d’eau situées dans une région montagneuse au sud de Korat : Lam Sam Lai et Lam Phra Phloegn.
Sur la carte, Lam Sam Lai ressemble à un patatoïde bordé d’une route, alors que Lam Phra Phloegn serpente entre les montagnes - sans doute bien plus beau.
Il y a des choses qui nous paraissent évidentes, et qui ne le sont pas. Fon, par exemple, ne sait pas se servir d’une carte. Elle n’en a jamais eu besoin. Elle n’a jamais eu de voiture, et ne connait pour ainsi dire que son village, Korat et le gros bourg d'à côté. Lorsqu'elle habitait Bangkok, elle prenait le métro. Alors quand je lui ai mis la pression pour me servir de co-pilote, il n’en est rien sorti de bon.
Je dois avouer que j’ai eu un bref moment d’agacement, durant lequel j’ai sérieusement envisagé de l’étrangler. Heureusement, un spectacle courant mais toujours distrayant a dissipé mes envies de meurtre. Nous étions arrêtés au feu, un très grand et très long feu.
Les feux en Thaïlande sont plus longs qu’ailleurs parce que chaque voie a son temps de passage, durant lequel toutes les autres voies sont bloquées. Je ne critique pas. Il y a une logique particulière. Qui n'est pas seulement de permettre aux vendeurs ambulants de vendre un maximum de beignets et de colliers de fleurs aux automobilistes.
Sur la route à angle droit, assis sur sa moto, un jeune homme était penché sur la glace de son rétroviseur. Il éclatait ses points noirs en attendant que le feu passe au vert. Explorant chaque millimètre carré de peau avec méticulosité, il était extraordinairement concentré. C’était beau comme un démineur en Irak. Quand on voit quelqu'un d’aussi soucieux du travail bien fait, on reprend confiance en l’humanité. S’il postule pour un emploi, on le recrute sans interview. Sauf s’il s’agit d’un emploi de pâtissier.
Le patatoïde et le serpentin |
Nous n'avons fait que dix-huit demi-tours avant d'arriver à Lam Sam Lai, le patatoïde. Assez joli paysage, conforme à ce qu’on devinait sur la carte. Mais rive d’un abord difficile, même avec des chaussures, comme pour toutes les retenues d’eau. Côté barrage, de grosses pierres brunes, aiguisées, anguleuses. Côté inondations, des herbes, de la boue, des marécages. J’ai quand même trouvé un passage dans un coin charmant, et je me suis baigné. Il y avait une petite île couverte d’herbe avec des canards sauvages très surpris de me voir.
Est-ce le signe d’une grande perversion de l’esprit ?
Sur la prairie en pente qui allait au lac, je n’ai pas vu un seul kleenex. Il n’y avait pas une crotte de chien (ni d’homme - le vieux trappeur que je suis distingue parfaitement les deux). Il n’y avait pas de sacs en plastique. Il n’y avait pas de boites de cigarettes vides.
Il n’y avait pas de capotes anglaises. Il n’y avait pas de vieux cartons. Il n’y avait pas de bouteilles en plastique, pas de bouteilles en verre. Il n’y avait pas de canettes de bière. Il n’y avait pas de couches-culotte (ni de tampax usagés - le vieux trappeur que je suis distingue parfaitement les deux).
Pourtant, il n’y avait pas de poubelles publiques. Ni de bancs du même bois. Ni de filles du même bois (ni de forces du même bois - le vieux trappeur que je suis distingue parfaitement les deux).
Il n’y avait pas de sentier balisé. Ni de panneaux d’interdiction de manger, de salir, de faire du bruit, de se baigner, de stationner, de faire des feux de camp, d'allumer un transistor, d’être indécent (ou d’être nu - le vieux trappeur que je suis distingue parfaitement les deux).
Il n'y avait pas de panneaux éducatifs écologiques, décrivant la faune avec des noms d’oiseaux qu’on ne retiendra jamais.
Il n’y avait rien.
Alors oui, est-ce le signe d’une grande perversion de l’esprit : j’étais heureux. Il y a des jours où j’aime ce que me donne la Thaïlande. Rien.
Pourtant, le lac n’avait rien d’exceptionnel. Il n’était même pas naturel, il avait été conçu il y a dix ou vingt ans par des ingénieurs hydrologues - sans doute plus hydrofuges qu’hydrophages étant donnée la rectitude très approximative de la digue. Le fleuve Lao avait débordé dans leurs verres...
Lam Phra Phloegn : il fallait regarder les nuages... |
Nous avons quitté Lam Sam Lai pour aller à Lam Phra Phloegn, à quinze kilomètres de là. Déception. Une eau ocre assez vilaine. Des installations inélégantes pour ouvrir et fermer les vannes. Et une quantité de badauds sur la digue.
Alors nous sommes allés brûler une bougie au temple, au dessus du lac. Et nous sommes rentrés.
Je sens que tu t’inquiètes de ce qui est arrivé à mon ami qui n’a pas répondu au téléphone ? Tu as raison. Le pauvre, il a eu un coup dur. Son neveu a eu l’idée de baigner Tao, le chat de la maison, dans la piscine gonflable.
Brûler une bougie... |
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