Modeste crématorium de campagne. J'ai demandé à y partir en fumée si je suis alors en Thaïlande. Sans flonflons. |
Quand un thaï meurt, il y a entre deux et quatre jours de deuil - cérémonies qui se déroulent pour l'essentiel à la maison, et un peu au temple : c'est là que ça se termine - dans la petite locomotive.
A la maison, on fait venir les moines qui disent des prières. On invite le voisinage qui participe en argent ou en nature à la fête. La mère de Fon, qui est pauvre, apporte du riz. Hommes et femmes mettent la main à la pâte. Sympathique convivialité villageoise - autour d'une seule bière, mais parfois pas mal d'alcool de riz. Ça va faire des petits sur la route, en rentrant...
Les moines psalmodient un texte en thaï ancien, un genre de latin local écrit en caractères bizarres que les moines ont appris à lire, mais dont tous ne comprennent pas le sens. Ils commencent vers cinq heures et demie du matin. Monocorde et bitonal, do et ré. Et pour le rythme, deux croches chaque fois qu'un do-ré sort. Pas folichon… Écrit, ça te donne :
do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do, do, do, do, do-ré-do, do.
Tu dors ? Bon, j'arrête, mais ça dure des heures.
Sinon, il y a des cd (des cédés pour décédés, si, si !) La musique est sommaire, mais pas hideuse. Des sonnailles, un xylophone, un nasillard et une percussion. Pas toujours de ligne mélodique - parfois tous les instruments jouent n'importe quoi en même temps : cool boxon sonore.
Je ne sais pas s'ils le font exprès, mais leurs instruments ne sont pas "justes". Je veux dire qu'ils ne suivent pas la gamme que nous connaissons, avec les notes tempérées par Jean-Sébastien. Je reconnais, c'était un peu naïf d'espérer...
Ce n'est pas qu'il "manque des notes" : ils utilisent la gamme pentatonique chinoise - normal qu'on n'en trouve que cinq. Non, le problème, c'est que c'est faux. Parfois, ça ressemble à ma classe de quatrième, quand notre prof de musique, monsieur Lenoir, nous faisait chanter tous ensemble : on sortait de là les oreilles en sang.
Bon, une fois de temps en temps, pourquoi pas : il faut bien que tout le monde meure. Mais là, il y a de l'abus. Il y a une semaine, Fon me prévient : deux morts dans le voisinage. J'ai tout de suite pensé : ça fait deux d'un coup, juste au même moment - c'est économique. J'allais les avoir en stéréo, mais je serais débarrassé.
Pas du tout ! Pour que tout le monde en profite, ils ont décalé. Résultat, une semaine de nasillard. J'ai des inquiétudes pour le deuxième mort : il fait chaud, ça doit se décomposer assez vite. D'un autre côté, les bâtiments de fermes sont troués de partout, l'odeur ne doit pas rester. Et puis les thaïs sont petits : à la limite, en enlevant toutes les étagères d'un frigo, ça devrait être possible de les garder au frais. Peut-être pour ça qu'ils ont enterré la vieille en dernier, elle devait déjà être recroquevillée et desséchée.
Au fait, je manque à tous mes devoirs, il faut quand même que je te les présente ! D'après Fon, le premier mort est une vieille femme de 89 ans - une tante de cousine à la mode de Bretagne (même ici, on a des cousins à la mode de Bretagne : incroyable, notre rayonnement culturel). Elle, je dis rien : elle a essayé de tenir le coup avant d'enclencher les clochettes. Mais l'autre, il exagère : un type à peine la quarantaine. Buveur invétéré, fumeur impénitent, gros mangeur : lui, il y a mis du cœur - remarque, pour un mec qui est parti d'un infarctus...
De toute manière, je ne risque pas d'être incommodé par les odeurs. Je ferme toutes les fenêtres. Alors on vit sous cloche, on crève de chaud et on met la clim. Mais on entend quand même les moines. Le soir, les crincrins me mettent à cran...
En revenant de Korat, Mai m'annonce qu'il y a eu un grave accident sur la route du lac : camion contre auto. Résultat, un mort - encore un voisin. Lui aussi, la quarantaine. Dans cette famille, on varie les plaisirs, mais on a une ligne : il y a deux ans, le frère aîné s'est tué sur la grande route de Kon Khaen - à moto. Murgé au dernier degré, à ce qu'on dit. Mauvaise rencontre avec une voiture. Je me demande s'il a encore d'autres frères - je vais demander à Fon de se renseigner. S'il y en a plus de six, on déménage.
A la maison, on fait venir les moines qui disent des prières. On invite le voisinage qui participe en argent ou en nature à la fête. La mère de Fon, qui est pauvre, apporte du riz. Hommes et femmes mettent la main à la pâte. Sympathique convivialité villageoise - autour d'une seule bière, mais parfois pas mal d'alcool de riz. Ça va faire des petits sur la route, en rentrant...
Les moines psalmodient un texte en thaï ancien, un genre de latin local écrit en caractères bizarres que les moines ont appris à lire, mais dont tous ne comprennent pas le sens. Ils commencent vers cinq heures et demie du matin. Monocorde et bitonal, do et ré. Et pour le rythme, deux croches chaque fois qu'un do-ré sort. Pas folichon… Écrit, ça te donne :
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Tu dors ? Bon, j'arrête, mais ça dure des heures.
Sinon, il y a des cd (des cédés pour décédés, si, si !) La musique est sommaire, mais pas hideuse. Des sonnailles, un xylophone, un nasillard et une percussion. Pas toujours de ligne mélodique - parfois tous les instruments jouent n'importe quoi en même temps : cool boxon sonore.
Je ne sais pas s'ils le font exprès, mais leurs instruments ne sont pas "justes". Je veux dire qu'ils ne suivent pas la gamme que nous connaissons, avec les notes tempérées par Jean-Sébastien. Je reconnais, c'était un peu naïf d'espérer...
Ce n'est pas qu'il "manque des notes" : ils utilisent la gamme pentatonique chinoise - normal qu'on n'en trouve que cinq. Non, le problème, c'est que c'est faux. Parfois, ça ressemble à ma classe de quatrième, quand notre prof de musique, monsieur Lenoir, nous faisait chanter tous ensemble : on sortait de là les oreilles en sang.
Bon, une fois de temps en temps, pourquoi pas : il faut bien que tout le monde meure. Mais là, il y a de l'abus. Il y a une semaine, Fon me prévient : deux morts dans le voisinage. J'ai tout de suite pensé : ça fait deux d'un coup, juste au même moment - c'est économique. J'allais les avoir en stéréo, mais je serais débarrassé.
Pas du tout ! Pour que tout le monde en profite, ils ont décalé. Résultat, une semaine de nasillard. J'ai des inquiétudes pour le deuxième mort : il fait chaud, ça doit se décomposer assez vite. D'un autre côté, les bâtiments de fermes sont troués de partout, l'odeur ne doit pas rester. Et puis les thaïs sont petits : à la limite, en enlevant toutes les étagères d'un frigo, ça devrait être possible de les garder au frais. Peut-être pour ça qu'ils ont enterré la vieille en dernier, elle devait déjà être recroquevillée et desséchée.
Au fait, je manque à tous mes devoirs, il faut quand même que je te les présente ! D'après Fon, le premier mort est une vieille femme de 89 ans - une tante de cousine à la mode de Bretagne (même ici, on a des cousins à la mode de Bretagne : incroyable, notre rayonnement culturel). Elle, je dis rien : elle a essayé de tenir le coup avant d'enclencher les clochettes. Mais l'autre, il exagère : un type à peine la quarantaine. Buveur invétéré, fumeur impénitent, gros mangeur : lui, il y a mis du cœur - remarque, pour un mec qui est parti d'un infarctus...
De toute manière, je ne risque pas d'être incommodé par les odeurs. Je ferme toutes les fenêtres. Alors on vit sous cloche, on crève de chaud et on met la clim. Mais on entend quand même les moines. Le soir, les crincrins me mettent à cran...
En revenant de Korat, Mai m'annonce qu'il y a eu un grave accident sur la route du lac : camion contre auto. Résultat, un mort - encore un voisin. Lui aussi, la quarantaine. Dans cette famille, on varie les plaisirs, mais on a une ligne : il y a deux ans, le frère aîné s'est tué sur la grande route de Kon Khaen - à moto. Murgé au dernier degré, à ce qu'on dit. Mauvaise rencontre avec une voiture. Je me demande s'il a encore d'autres frères - je vais demander à Fon de se renseigner. S'il y en a plus de six, on déménage.
Le nouveau, il habite - habitait - de l'autre côté du pâté de maison. Ne t'inquiète pas, je l'entendrai aussi bien que les premiers. Ils mettent la musique à gueuler - ils louent des enceintes de boites de nuit...
Une petite odeur...? |
Bonjour,
RépondreSupprimerLes cercueils sont réfrigérés soit avec des pains de glace soit avec un moteur comme un frigo.
Merci Thiof. Bon à savoir. Pour le moteur comme un frigo, ça m'intéresserait de voir de près. D'après ma compagne, il n'y en a pas chez nos pauvres voisins - les cadavres sont conservés tels quels jusqu'à 7 jours. Pour les pains de glace, j'aurais dû y penser !
RépondreSupprimerC'est un marchand de cercueils qui me les a montré. Je regardais son "assortiment" pendant que mon épouse faisait des courses et il m'a fait visiter. Bien sympa mais je tiens pas plus que cela à être client.
RépondreSupprimer;-)
RépondreSupprimerJe ne sais pas si vous le savez. Mais c'est le seul moment, lors des veillées mortuaires que l'on peut jouer aux cartes pour de l'argent. Ce qui explique aussi que certains sont très assidus à ces cérémonies.
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