Aujourd'hui, je suis allé à
Korat avec Rye, l'australien. Nous étions convenu qu'il me ferait signe s'il
allait à la ville en voiture. Comme j'ai acheté une moto, sa proposition perdait
beaucoup d'intérêt, mais j'ai décidé d'y aller quand même, histoire de voir.
Sur la route, nous avons
discuté de choses et d'autres. Il est assez bavard, et il a une riche
expérience. Il a vécu quelques années aux États-Unis, avec sa première femme.
Il a aussi habité sur un catamaran pendant quelques années, sur la barrière de
corail en Australie. Là, dans un mètre d'eau, il a pu tirer des poissons longs
d'un mètre. Il a fait de la bouteille en profondeur. Comme il était dans
l'armée, on lui faisait faire des tests de préparation, et il fallait qu'il
écrive sans interruption jusqu'à ce que la baisse de la pression partielle en
oxygène lui fasse écrire n'importe quoi - et le staff inversait aussitôt le
débit… Sous l'eau, il a rencontré des requins - deux fois, et la seconde, il a
vraiment eu peur, la bête était beaucoup plus grande que lui et a commencé à le
prendre en chasse. Il a aussi fait du vol libre et il en a quatre cent sauts à
son actif - je sais que c'est beaucoup. Je ne pense pas que ce soit du pipeau,
étant donné les explications assez techniques qu'il m'a données sur les
passages du brevet : on commence à sauter avec un moniteur à chaque bras, on se
cogne le casque une fois avec le moniteur pour dire qu'on est toujours dans le
coup, on tourne autour de lui… ensuite, on saute avec juste un moniteur etc.
Très étonnant et très impressionnant. Un saut dure une minute - et si la chute
se fait à deux cent kilomètres heures, j'en déduit qu'on est largué à environ
trois mille trois cent mètres d'altitude. Une minute pour planer, puis prendre
la décision d'ouvrir le parachute, c'est court. Il m'a dit qu'à la vitesse de
la chute, un mouvement des doigts fait tourner, un petit mouvement des pieds
fait partir en arrière. Certains, qui contrôlent mal, vomissent. Il y a de la
casse, malgré les précautions.
Et Rye est même allé en France avec un copain qui a eu la mauvaise idée de sauter une barrière et d'entrer dans une zone interdite devant des flics. Il y a eu algarade, échange de coups de poing auquel il a participé. Étant donné sa carrure, ça a dû faire mal. Il s'est retrouvé au violon. L'histoire ne dit pas si les compères avaient abusé du beaujolais. On l'a pris pour un anglais, et de ce fait, il aurait parait-il risqué d'assez gros ennuis. Il paraît que les policiers ne semblaient pas avoir une sympathie prononcée pour les godons ! C'était il y a une trentaine d'année, et les supporters de football anglais s'étaient déjà fait une belle notoriété… Mais il a montré une carte militaire qui a semblé faire de l'effet, et il a excipé de sa nationalité australienne. Les impétrants se sont retrouvés à l'aéroport, dûment encadrés, et on les a mis dans le premier avion pour Londres.
Et Rye est même allé en France avec un copain qui a eu la mauvaise idée de sauter une barrière et d'entrer dans une zone interdite devant des flics. Il y a eu algarade, échange de coups de poing auquel il a participé. Étant donné sa carrure, ça a dû faire mal. Il s'est retrouvé au violon. L'histoire ne dit pas si les compères avaient abusé du beaujolais. On l'a pris pour un anglais, et de ce fait, il aurait parait-il risqué d'assez gros ennuis. Il paraît que les policiers ne semblaient pas avoir une sympathie prononcée pour les godons ! C'était il y a une trentaine d'année, et les supporters de football anglais s'étaient déjà fait une belle notoriété… Mais il a montré une carte militaire qui a semblé faire de l'effet, et il a excipé de sa nationalité australienne. Les impétrants se sont retrouvés à l'aéroport, dûment encadrés, et on les a mis dans le premier avion pour Londres.
Bref, Rye est un peu un
aventurier - c'est sympathique.
Nous arrivons au Mall où il
veut acheter un cadeau pour l'anniversaire de sa femme. La discussion tombe
évidemment sur le degré d'intéressement des thaïs. Il évoque un ami australien
qui s'est fait soutirer des milliers de dollars (australiens) par sa femme. Au
retour, il voudra me présenter cet ami - manque de chance, l'ami est lui aussi parti
à la ville. Nous tombons sur sa femme, qui présente manifestement une
pathologie anxieuse. Rye me dit qu'elle est adorable… mais qu'elle est la
dernière de la famille, et que ses frères et sœurs exercent sur elle des
pressions difficiles à supporter. Notamment sur le plan financier. D'où
l'hémorragie de capitaux sur le compte en banque du mari. Mais, m'explique Rye,
il est lui-même très coupable. Il a offert un beau collier d'or à sa femme, qui
l'a mis au clou pour donner l'argent à sa famille. Le copain est allé racheter
le collier. Quatre fois… C'est donc tout autant de sa faute, conclut justement
Rye, dont la position reste assez modérée : "le maître mot, chez eux, c'est
le mot partage. La chance qu'a eu la petite sœur, épouser un farang, il est impossible
que les autres membres de la famille ne la partagent pas. Comme si tu gagnais
le gros lot au loto et que tu laissais tes parents vivre dans leur cabane à
lapins.
Il s'agit simplement de
savoir maintenir la saignée à un niveau raisonnable. Si tu prêtes de l'argent,
sache que tu ne le reverras jamais. Je l'ai fait. Quand ma femme m'a demandé,
au bout d'un certain, d'en prêter encore au même membre de la famille, j'ai
simplement dit que je le prêterai dès que j'aurai été remboursé du premier
prêt."
Rye est sans aucun doute un
monsieur Tant-Mieux. Mais il n'est pas stupide, il est assez lucide sur son
environnement. Maintenant, il me parle de sa femme. Il me dit sans ambages
qu'elle n'a pas inventé la poudre.
"- Oui, bien sûr, il y
a l'absence d'éducation, et la culture aussi, qui fait que nous n'abordons pas
les problèmes avec la même logique. Mais il y a autre chose : elle ne comprend
pas tout… Mais je ne l'ai pas épousée pour ses facultés intellectuelles... Et elle
a un sens pratique qui lui permet de se débrouiller. Elle cuisine pour moi,
elle est gentille avec moi, elle me rend heureux. En fait, avec elle, je suis
seul, indépendant, libre.
- Seul…?
- Oui, seul, complètement
seul. Mais je ne vis pas seul. Nisa est là, elle me donne sa présence,
et je suis content de cet arrangement. Mais je reste seul et libre. Je n'ai pourtant
aucune envie d'aller chercher une autre fille. Je n'ai pas pris une jeunesse de
vingt ans non plus : j'ai envie de paix, de tranquillité. C'est d'ailleurs la
raison pour laquelle j'ai quitté l'Australie. Là-bas, on est harcelé par les
flics, par toutes sortes d'obligations. Les gens sont stressés, ils sont dans
une compétition générale à laquelle j'ai eu envie de me soustraire. Alors je
suis ici, avec Nisa. Et nous sommes contents d'être ensemble, ça fonctionne."
Cette solitude dont parle
Rye... je comprends bien ce qu'il veut dire. L'isolement culturel, intellectuel.
Compensé par l'affection qu'on se porte en faisant la bête à deux dos, et d'autres
tendresses. Le fait d'acheter la nourriture d'un côté, de la cuisiner de
l'autre. Le partage d'un repas. Le vocabulaire moyen d'une femme thaïe en
anglais ne doit pas dépasser les cinq cent mots. Quant au vocabulaire thaï du
farang, c'est environ cent fois moins… Un secret de longévité conjugale ?
Dans le Mall
Dans le Mall, Rye m'oblige à
faire un détour. Il évite un endroit que je connais bien car je passe devant
chaque fois que je reviens de la piscine. C'est le rendez-vous des farangs, des
sexagénaires retraités qui se retrouvent tous les jours pour prendre un café -
ou des boissons plus fortes. "Ce sont essentiellement des allemands,
quelques anglais et quelques australiens ; c'est étrange : ce sont pour la
plupart des alcooliques", m'explique-t-il. Je le scrute à la dérobée.
Malgré les trois bières qu'il se tape au bistrot du coin certains soir, ce type
à la carcasse d'auroch n'a pas l'air démoli par l'alcool.
Je note qu'il n'y a pas de
français dans le lot des acagnardés du bistrot. Font-ils comme les colons qui
se sont enfoncés dans le Canada au dix-septième siècle, se fondant avec la
population locale, épousant des indiennes, alors que les colons anglais
restaient regroupés en forts, d'où leur supériorité militaire ?... En tout cas,
les français expatriés en Thaïlande ne restent pas complètement isolés, ils
interviennent sur les forums, ils envoient beaucoup de mails. Les mails sont
souvent politiques. Essentiellement des tracts du Front. Il faut dire que la
population des expats présente des caractéristiques particulières : le groupe
des retraités est composés d'hommes plus âgés, souvent déçus de leur vie et de
la médiocrité de leurs revenus en France (d'où leur expatriation). Dans cette
sous-population, les 25% de frontistes sont sans doute largement dépassés.
Le thème des tracts est
souvent moral, ou plutôt moralisateur. Ainsi, tel chanteur d'un certain parti
qui fait une prestation musicale au cours d'un meeting du même parti se voit
reprocher de se faire payer sa prestation. Est-ce que ça veut dire qu'un parti
devrait obligatoirement faire jouer des musiciens du bord politique opposé ?
C'est idiot, mais ça passe. Car les tracts appellent souvent à la jalousie, à
l'envie. Bien sûr, ils ne sont jamais signés. Ils ont une forme standardisée :
un coup de gueule d'apparence spontané, une vertueuse indignation, avec un
profil de vieux con rapidement esquissé qui permet à beaucoup de se sentir
moins seuls… Livrés à eux-mêmes, ils n'auraient pas osé. Car ils ont quand même
conscience que cela procède d'une mentalité un peu vile. Mais si d'autres
pensent pareil, comme le laisse supposer le tract, le panurgisme fonctionne à
fond.
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