Il y a quelques temps, une famille de chats est venue s'installer chez nous. Une famille ? Pas tout à fait : sans doute une divorcée, arrivée seule avec ses trois petits. Comme nous avons l'esprit large, nous l'avons accueillie.
Je n'ai pas tout de suite vu les trois chatons. L'un deux se cachait dans les broussailles, très craintif. Mais il s'est décidé, et on les a trouvés tous ensemble vautrés dans le périptère (à moins qu'il ne s'agisse d'un amphiprostyle ?)
Le lendemain, il n'y avait plus que deux chatons. La mère vaquait à des affaires très importantes, on ne la voyait que par éclipse. On a supposé que le troisième était reparti se cacher derrière la maison, du côté de la mare.
Mais on ne l'a plus revu. Même pas eu le temps de lui soulever la queue pour savoir si c'était un garçon ou une fille.
La mère faisait des apparitions de plus en plus brèves. Avalant sur le pouce le rata de riz et de poisson déposé par Fon derrière la maison et repartant à ses occupations, l'air soucieux, le cul bien serré dans sa jupe grise stricte (à moins que je ne confonde avec mon ex).
En revanche, les deux petits semblaient bien s'habituer. Ils dormaient sur la planche à voile - bonne affaire pour éviter les salissures : les oiseaux prennent possession dès qu'on a le dos tourné et ils conchient tout.
Les chatons commençaient à faire partie de la famille. J'ai dû expliquer à Nam qu'on ne les prend pas par le cou (en les secouant...) pour les transporter. J'ai fabriqué un jeu de la bobine et tout le monde a fait courir les chats dans tous les sens jusqu'à ce qu'ils deviennent fous. En fait, j'adore les chats. Et j'aime particulièrement quand ils font des petits sauts de côté en prenant l'air effrayé.
Mais la mère a disparu. Je me disais, pour me consoler, qu'elle était partie s'occuper du petit qui avait peur, qu'elle lui apportait de la nourriture puisqu'il était trop trouillard pour s'approcher de la maison.
Au fond, je n'y croyais pas.
Et puis il est arrivé un évènement terrifiant. J'étais en haut quand j'ai entendu des hurlements. Nam. Je suis descendu en courant. Dans un coin, Fon accroupie et Nam la tête sur ses genoux, protégée dans les bras de sa mère. Et un énorme chien-loup. Pas un chien jaune, un bâtard local, non, un animal qui semblait tout droit sorti d'un chenil allemand, sinon de l'enfer : énorme.
Il sautait de tous les côtés, laissant partout des traces de boue, incapable de fixer son attention - même sur la gamelle des chats. Il était très excité mais ne semblait pas agressif.
Je l'avais déjà vu au village. Accroché par une longe à un fil de six ou huit mètres de long courant sous la poutre d'un porche. Aboyant à tous les passants. J'avais soigneusement arrondi mon trajet pour l'éviter.
Il avait rompu sa laisse. Et comme il ne sortait jamais, il était tout fou - impossible de le calmer. Et trop imprévisible. Alors j'ai pris un bâton, j'ai commencé à crier, je lui ai donné quelques coups sur l'échine qui n'ont pas semblé l'émouvoir. Il continuait à tourner dans tous les sens dans le naos et l'opisthodome (nous hébergeons aussi ces animaux-là).
Un homme est venu en l'appelant. A sa voix, le chien a filé sur la route, à l'opposé du village et de l'homme. Je l'ai revu un peu plus tard dans sa maison, solidement attaché - pas l'homme, le chien. Triste.
J'ai pensé qu'il avait définitivement fait fuir les chats. Mais non. Une demi-heure après, ils ont surgi de nulle part. Et la vie a continué.
Quelques jours passent et je m'inquiète: le blanc a disparu, il ne reste plus que le rouge. Que s'est-il encore passé ?
J'ai mené l'enquête. On aurait entendu des cris du côté du mur de l'usine… sans certitude.
Il faut dire que nous vivons dans une niche écologique très riche, entourés de mares et d'herbes, isolés de l'humanité par le mur d'enceinte du terminal d'huile de palme désaffecté. La diversité des oiseaux est impressionnante. Les crapauds font tant de bruit que la nuit, on croirait une grosse machine qui tourne en grinçant. Il n'y a presque pas de chiens, nous sommes à l'écart du village. Alors il y a sans doute d'autres bêtes... de grosses bêtes... En Thaïlande, il n'y a pas si longtemps, il y avait même des tigres !
Tu sais ce qu'est un varan : comme un lézard géant, un petit dinosaure avec des dents pointues. J'en ai vu d'énormes dans le coin. Il y a aussi des serpents - dans les campagnes, on voit couramment des pythons de trois mètres qui traversent la route.
Carnivores qui ont fait des chatons un déjeuner de soleil. La vie est dure pour les petits d'animaux. Parvenir à l'état adulte est une chance, et le résultat d'un long combat.
Il nous reste un chat. Pour combien de temps encore ? Le soir, il miaule misérablement derrière la porte. Je le ferais bien entrer, mais Fon ne veut pas - les thaïs sont très stricts sur la différence dedans dehors, même les voleurs retirent leurs baskets en pénétrant dans une maison.
En y réfléchissant, je me dis que les bols de riz au poisson posés derrière la maison ont servi d'appâts. Nous avons attiré les chats, nous les avons exposés en terrain découvert - bref nous les avons littéralement donnés à manger aux prédateurs. Responsables à cent pour cent.
Quatre heures du matin, Fon me pousse du coude : il y a d'étranges cris tout près de la maison. Je me redresse d'un coup et tends l'oreille.
Non, pas des cris de chats, des cris d'oiseaux, mais on pourrait s'y tromper. Je descends pour voir où se trouve le rouge. Il a disparu. Je cherche des touffes de poils, les signes d'un dernier combat. Rien. Le varan ou le python l'aura emporté et dévoré tout cru.
J'appelle, j'appelle... Et finalement, j'entends de faibles miaulements : apeuré, le Dernier des Mohicans sort de sa cachette derrière le réfrigérateur. Ouf ! Ce soir, il dormira dans la maison.
Niche écologique entre mer et forêt, avec la maison dont tu auras forcément remarqué le pronaos... |
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