Manifestement, j'ai émis
plusieurs avis stupides sur Rye. Aujourd'hui, je suis allé lui rendre visite
sur son chantier. J'ai montré à Fon les immenses murs de parpaings qui
entourent la propriété. Elle s'est extasiée : "il va être tranquille au
moins… car en Thaïlande, il y a beaucoup de mauvaises personnes… Si c'est fermé
et muré, on ne verra pas ce qu'il y a sur son terrain et le risque de vols sera moindre."
- Mais, plaidai-je, personne
n'a de murs aussi grands dans le coin.
- Oui, car personne n'a
assez d'argent. Mais tout le monde voudrait. Regarde, il y a d'ailleurs des
petits murs ici… là...
Force m'est de penser qu'il
y a une bonne part de vrai dans ce qu'elle dit. Je suis d'un angélisme stupide en ce qui concerne l'honnêteté des Thaïs.
Rye nous voit arriver avec
plaisir, il est content de se reposer un peu. Il me dit qu'il est très troublé,
car un de ses amis lui a annoncé par Facebook qu'il avait une tumeur cérébrale
qui récidivait, et qu'il n'en avait plus pour longtemps et voulait saluer tous
ses vieux potes. Rye me raconte qu'il s'est sorti d'un crash en avion avec cet
ami. Sur les sept ou huit qu'ils étaient, deux y ont laissé la vie. Là,
maintenant, il n'y a plus de sursis.
J'essaye de le dérider en
lui parlant d'un projet de construction - car Rye est un passionné du béton.
J'ai compris que je ne pourrai jamais décoller Fon de sa famille - on ne
pourrait pas insérer une feuille de cigarette entre une fille de l'Isan et sa
mère. Inutile de louer à l'année (ou d'acheter ou de faire construire) une
maison au bord de la mer, elle retournerait chez ses parents à la moindre
occasion, la maison serait désertée, à l'abandon une bonne partie du temps. Alors tant qu'à faire d'être
à la ferme, autant y être confortablement. J'ai demandé à Fon si on pouvait
envisager de construire un petit logement en parpaings, avec une fenêtre qui
ferme, une véritable étanchéité aux moustiques, un matelas confortable, une
petite table pour mettre l'ordinateur. Après une rapide consultation, Fon me
dit que c'est envisageable. Nous avons discuté de l'endroit. Elle voulait
construire le bâtiment près du garage. J'ai fait valoir qu'on avait une jolie
vue sur la clairière derrière la maison principale.
- Pourquoi pas. Le tout étant de construire en hauteur...
- Pourquoi ? A cause des inondations ?
- Non, il y a parfois des inondations terribles à Korat, mais ici, jamais.
- Alors pourquoi ?
- A cause des serpents venimeux qui entrent dans les maisons.
- Pourquoi pas. Le tout étant de construire en hauteur...
- Pourquoi ? A cause des inondations ?
- Non, il y a parfois des inondations terribles à Korat, mais ici, jamais.
- Alors pourquoi ?
- A cause des serpents venimeux qui entrent dans les maisons.
Rye me dit qu'hier soir, le
père de sa femme a tué un python de deux mètres de long, gros comme le bras.
"Une sottise, car ils ne sont pas dangereux… Mais il y a ici une autre espèce
plus petite et mortelle. Alors que les serpents à sonnettes américains mordent à
répétition, huit ou dix fois, le serpent local a des dents très longues, et il lui
suffit d'une morsure pour tuer un homme. Il n'attaque pas, sauf s'il a des
petits. Et alors, tu as intérêt à courir sans te retourner, au moins cent
mètres. Il n'y a pas longtemps, on a retrouvé des œufs de ce serpent dans la
cour de mes beaux-parents. Mon beau-père, qui connaît ça par cœur, a
immédiatement identifié les œufs. Un peu en pointe et asymétriques sur un côté…
- Vous les avez mangé
brouillés ?
Rye rigole et me montre le
bout de son énorme pouce : "Ils ne sont pas plus gros que ça…"
Je lui demande s'il a un
sérum anti venin, genre corticoïde ou anti-hémolytique.
"Non, répond-il. On vit
comme ça… Il faut dire qu'en Australie, les animaux sont bien plus dangereux
qu'en Thaïlande. Sur terre, sous l'eau, partout. L'Australie est le continent
le plus dangereux du monde ! A propos de serpents, ça me rappelle une histoire.
J'avais huit ans. Un jour, notre voisin, un meunier, est venu voir mon père :
"Il y a des quantités
de souris qui grignotent mon blé sous le moulin. Je n'en peux plus. Dis à ton
fils de me ramener un python, je lui donnerai deux livres" (manifestement,
le dollar australien n'avait pas encore cours, ou l'on utilisait encore en
parallèle les appellations anglaises).
Sitôt dit, presque sitôt
fait. Rye sait où nichent les pythons, il en trouve un gros qu'il saisit
derrière la tête, mais le python s'enroule autour de son bras, de ses épaules.
Rye se débat comme un diable et réussit à faire entrer le python dans un grand
sac. Ravi, il va voir le meunier avec son sac sur le dos. Le meunier regarde le
contenu du sac et lui donne les deux livres. Quelques temps plus tard, ils apprennent
que le meunier est pleinement satisfait - les souris terrifiées sont parties.
Le père de Rye, en accord
avec le meunier, va parfois chercher les balayures de graine et de farine qui
tombent sur le sol, à travers le plancher du moulin. Il envoie Rye faire de la
récupération. Rye passe dans l'espace qui se trouve sous le plancher. Et là,
que voit-il ? Le python en train de dormir. Il ne fait ni une ni deux, il met
le python dans son sac et court le cacher dans une dépendance de sa maison, où
il le nourrit de souris qu'il attrape avec des pièges.
Quelques temps plus tard, le
meunier revient voir le père de Rye, assez contrarié.
- Je ne sais pas ce qui se
passe, les souris sont revenues. On dirait que le python est parti.
Il est alors question de
trouver un autre python, mission dévolue à Rye, qui, deux jours plus tard,
embarque le même python, et le présente au meunier.
Le meunier le regarde et lui
dit : "mais on dirait bien que c'est le même…"
- Non, répond Rye, mais c'est
peut-être son frère.
Regard suspicieux du meunier…
qui lui donne quand même les deux livres.
- C'était une somme
importante. Avec les quatre livres, j'ai pu m'acheter un vélo tout terrain… Longtemps
après - mon père était déjà mort - j'ai raconté toute la vérité à maman. Elle
n'a pas semblé étonnée !
Sacré Rye !
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