lundi 27 mars 2017

Sécurité en Thaïlande : la grande illusion ?


 Association de malfaiteurs dans l'Isan

Tout à l'heure, je suis allé nager à l'étang de Nonsung. Il y avait une bande d'ados en train de jouer en haut du petit escalier qui permet de se mettre à  l'eau. J'ai laissé mes Crocs sur les marches en me disant : pourvu que je les retrouve en revenant ! Et aussitôt après : mais non, rien à craindre, on est en Thaïlande.

Ici, j'ai un sentiment de sécurité - que ne partage pas Fon. Elle vérifie que les fenêtres de la maison sont bien fermées quand nous partons en voiture. Elle a peut-être raison… A moins qu'elle ne se fie aux nouvelles qu'on passe sur les chaînes populaires, où le fait divers… justement - le fait divers fait diversion. Il occupe l'esprit des gens à d'autres problèmes que ceux auxquels ils sont réellement confrontés : précarité, insuffisance de la protection sociale, etc. Monter en épingle les exactions d'une minorité délinquante permet de détourner les regards des problèmes de fond. Il peut en résulter pour les thaïs une impression négative et inexacte de leur exposition réelle au banditisme.

Il y a sans doute des différences importantes selon les secteurs géographiques - on devine une cartographie en rouge des concentrations urbaines et touristiques, tandis que l'essentiel du territoire et ses 65% d'agriculteurs vivent dans la pax bovina.

J'ai déjà évoqué sur ce blog différents types de violence qui sont banalisés par la culture thaïe. La boxe thaïe en est le premier exemple. La violence faite aux femmes apparaît aussi dans les soaps que tout le monde regarde le soir. Je n'aime pas le terme de violence routière : il est inexact car il n'y a pas de volonté d'agression. Reste l'invraisemblable quantité de corps de motocyclistes gisant sur le bitume… Quant aux armes qu'on trouve en vente libre sur les night markets, elles montrent un certain état d'esprit.

Un regard statistique...

Les statistiques qu'on trouve sur le net, aussi difficiles à vérifier et interpréter soient-elles, donnent une impression négative du pays. Ainsi, selon Refworld citant un article paru le 6 juillet 2009 dans The Nation, et reprenant des données réunies par l'Association des chroniqueurs et des photographes judiciaires de Thaïlande, les statistiques des services de police montreraient un nombre de délits et crimes impressionnant avec une augmentation sensible - plus de 8% entre 2007 et 2008. Selon Numbeo, le crime index thaï fait passer le pays devant l'Algérie, le Maroc, les États-Unis, le Kazakhstan, la Russie… Selon l'UNODC, le taux d'homicides place la Thaïlande devant les États-Unis, l'Iran, l'Algérie… La France est toujours loin derrière.

Il faut évidemment prendre ces données avec des pincettes. Outre qu'on peut suspecter la qualité des sources (pays truquant ses données pour des raisons touristiques par exemple), il faut tenir compte du mode de criminalité : un taux élevé d'homicides perpétrés au sein d'une mafia très violente peut donner une fausse impression de dangerosité alors que la population est épargnée.

Reste que la Thaïlande n'est pas le paradis sécurisé qu'on imagine en regardant les cartes postales. Il y a un banditisme important. La violence est profondément intégrée dans la culture. Et l'aggravation de la situation est difficilement contestable. Pourtant, ce pays ne donne pas l'impression d'être un coupe-gorge. Pourquoi ?

Malveillance ?

Il y a un élément qui donne une impression trompeuse de sécurité : apparemment, il n'y a pas beaucoup d'actes de malveillance gratuits en Thaïlande : pas beaucoup de graffitis, de dégradations des espaces publics ou de vandalisme. D'après ce que je comprends, les thaïs considèrent de tels actes comme ceux d'esprits dérangés - et non d'anars romantiques ou de révoltés nihilistes.

Il n'y a pas non plus de légitimation institutionnelle de la délinquance genre "normal qu'ils cassent, vous avez vu les conditions dans lesquelles ils vivent !"

La délinquance aurait donc pour seuls buts le profit illicite ou le fait de sauver la face. Il en résulte l'impression subjective de quelque chose de compréhensible, de logique. Et donc de beaucoup moins effrayant et dangereux, car on peut l'éviter en prenant ses précautions.

La psychologie joue pour beaucoup dans l'impression de sécurité qu'on ressent... La malveillance, les actes gratuits de nuisance font vivre les gens dans un climat de psychose. Dans Orange mécanique, c'est la malignité d'Alex et de ses complice qui dérange, bien plus que leurs exactions. Mais en Thaïlande, on ne ressent pas d'hostilité de l'ambiance ou d'agressivité gratuite parce qu'il n'y a pas de malveillance visible. On peut avoir à tort l'impression d'être chez les bisounours.

Bref, j'ai retrouvé mes Crocs en sortant de l'étang. Quand même... ce soir, je vérifierai minutieusement que toutes les fenêtres sont bien fermées avant de me coucher… on n'est jamais assez prudent... et je dors avec une bombe sur ma table de nuit... Maintenant, qu'ils y viennent ! J'ai pas l'intention de me retrouver saigné à blanc par ces salauds de moustiques !


Thaïlande : le Far-Est ?


lundi 13 mars 2017

La machine à être poli : seuls les thaïs pouvaient l'inventer


 Distributeur automatique de friandises - modèle thaï

Hier, je suis allé au Mall de Korat. Mission commandée : Fon voulait y retrouver des amies, montrer comme Nam avait grandi, et surtout, papoter - que du bonheur pour moi... Mais je fais mon pisse-vinaigre : j'aime bien le Mall, pourvu qu'on n'y traîne pas trop longtemps.

L'air conditionné, les allées propres, un petit air de commerce moderne avec des produits mis au goût asiatique - je n'ai pas la nausée qui me saisit en France devant les marques connues depuis mon enfance et leur retape. L'immonde réclame qui mobilise les désirs banals et les rêves médiocres de l'homo occidentalis à travers les images trop léchées des photographes de pub : je suis cet homme jeune, beau et désinvolte avec cette élégance faussement négligée ; je suis cette jolie femme un peu blasée à l'élégance subtile, qui s'amuse avec condescendance ; je suis ce couple aisé qui se promène tard dans les rues pour prendre un coup de flash, car je suis vaguement célèbre…

Tu sais trop bien ce que connote ce mot "réclame". Réclamer : d'abord clamer, donc faire beaucoup de bruit - bien trop. Ensuite réclamer - une exigence, un dû dont on n'a été privé par une injustice. Ou pire, une réclamation sportive : se plaindre du non-respect des règles par son adversaire. Car on n'est pas capable d'accepter une défaite, même imméritée : pas assez fair play… Quel vilain mot !

Ici, je ne suis pas une cible marketing et je ne comprends pas ce qu'ils veulent - je ne comprends rien. C'est si bon de ne pas comprendre, des fois. C'est pour cette raison que je vis ici.

Au second étage, il y a un genre de marché improvisé qui durera une semaine. On y vend entre autres du poisson qui sent très fort et embaume tous les rayons alentours, étoffes, thé, cosmétiques… merveilleuse Thaïlande !

A l'entrée comme à la sortie du parking, des guérites. Les employés ont pour mission de tendre une carte de stationnement ou de la reprendre, et d'appuyer sur le bouton qui commande la barrière. Il se passe quelque chose d'à la fois drôle et bizarre : l'ouverture du passage à niveau s'accompagne d'un remerciement enregistré avec une voix caverneuse : khop khun khrap...

C'est quand même très curieux, une machine à dire merci, non ? Je comprends bien que ces garçons soient fatigués de répéter la même chose toute la journée. Mais un merci automatisé peut-il remplacer un merci personnel ? Dire merci n'a pas d'utilité directe, comme "excusez-moi" ou "bonjour", qui jouent le rôle d'ouverture du dialogue. Il n'a de sens que parce qu'il est prononcé par un autre être humain actant qu'on lui a rendu un service. Et de manière très ténue, très secondaire, qu'il rendra peut-être la pareille dans des temps ultérieurs.

La question de la politesse commerciale se pose soudain avec une violence inouïe !... On comprend que ce n'est pas l'homme qui est poli, mais le magasin. Qu'attendons-nous des relations humaines, même les plus banales ? Y a-t-il tromperie sur la marchandise, et ce merci vaut-il quelque chose ? N'eût-il pas mieux valu un silence ? Que veut nous faire croire the Mall ? Ce subterfuge serait-il possible en Europe ?

Pendant que je m'agite sur mon siège et que j'élucubre, une idée triste me vient. Les garçons pourraient facilement être remplacés par des machines - qui afficheraient "merci" sur leur écran. Bien moins sympathique que la voix enregistrée de Belphegor. Mais ici, les machines valent plus cher que les hommes. Pour l'instant. Alors on garde les hommes, mais ils seront remplacés un jour prochain…


 The Mall : il y a toujours de bonnes affaires au rayon des soldes