dimanche 27 décembre 2015

Luc Lampion : pourboires, bakchichs et corruption



La police de Thaïlande ne passe pas inaperçue

Quand on est en Thaïlande (ou souvent à l'étranger), on a tendance à donner des pourboires, plus que d'habitude. A cela il y a plusieurs raisons.

La première tient à la parité de l'euro avec les monnaies locales. En l'occurrence, on changeait il y a peu un euro contre quarante bahts. Ce qui en soi ne veut rien dire. Mais si on sait qu'on peut obtenir un plat copieux avec une soupe dans la gargote locale pour ces quarante bahts, on a déjà une idée. Et si on sait qu'un ouvrier travaillant en indépendant est payé cinq cent bahts par jour, soit treize euros au cours actuel, on approche la réalité économique du pays.

Alors laisser 25 ou 50 centimes d'euros et voir apparaître un sourire - alors qu'on susciterait  une grimace de mépris et de haine si on le faisait en France, c'est gratifiant.

Oui, gratifiant. On se sent facilement nabab, pour peu qu'on laisse l'équivalent d'un euro. L'ego vaguement colonialiste de certains se réveille. Il y a une forme de domination et de réassurrance.

Prenons Luc Lampion. Luc Lampion, agent d'immeubles à Pithiviers, existe dans sa ville, on connaît sa boutique dans le centre, sur la rue piétonne, on le voit parfois le soir au Pub qui se trouve à côté de la poste, buvant une bière belge - parce qu'à Pithiviers, un pub, ça sert de la bière belge. Mais ici, quand Luc Lampion est seulement vêtu de son slip que domine une bedaine qu'il n'a pas l'habitude d'exposer et dont l'importance le surprend, avec sa peau blanche qui fait un peu malsain sous le soleil tropical, qu'est-il ici, Luc Lampion ? Alors quelques courbettes le sécurisent : il est celui qui a de l'argent.

Et si Luc Lampion s'est offert une passe avec une professionnelle, il donnera encore plus, espérant sans y croire que la fille se souviendra de sa lamentable prestation - ou plutôt ne s'en souviendra pas ! Espérant dans le meilleur des cas avoir moins mauvaise conscience, pour tout ce qui peut se cacher de sordide dans ce qu'il vient de consommer à un prix défiant toute concurrence européenne. Espérant enfin ne pas être englobé dans l'universel mépris des putes pour les caves.

Une autre raison pour laquelle on "tippe", c'est qu'on est étranger. On porte une vague culpabilité de venir envahir le pays - même si on se dit en contrefeu que le pays vit largement du tourisme. On se répète qu'ils sont pauvres, et qu'il faut qu'ils profitent un peu du niveau économique de notre patrie. Alors on donne. Personnellement, je n'ai jamais vu un thaï donner un pourboire à un autre thaï, mais je sais - je n'ai pas tout vu, loin de là.

On "tippe" parce qu'on veut se faire aimer. A tout prix. Enfin quand même pas. Pour moins de deux cent bahts. On "tippe" aussi parce qu'on pense qu'un pays en voie de développement, c'est forcément un pays corrompu.

Et puis oui, il y a aussi des gens qui tippent comme ils le font en France, parce que c'est leur tempérament, et là-dessus, il n'y a rien à redire. Des gens qui ont eux-mêmes vécu des pourboires qu'on leur laissait, qui se souviennent et qui rendent la pareille.

En face qu'y a-t-il ? Des thaïs qui ne comprennent pas très bien le comportement des farangs. Mais qui décident d'en profiter. Qui exigent un pourboire, car c'est manifestement la règle chez les farangs. Des thaïs qui pensent qu'un farang, c'est un porte-monnaie ouvert, et que ça ne compte pas. Dès lors, tout est permis, puisque cet être sub-humain, manifestement d'une autre catégorie qu'eux-mêmes, semble indifférents à l'argent. Maintenant, passe derrière Luc Lampion, et tu verras la soupe à la grimace, si tu n'alignes pas…

Corruption...

L'autre jour, je parlais du service d'immigration à Rye, mon ami australien, et je lui racontais que mon copain de Phitsanulok se vantait d'avoir les meilleurs relations avec les employés administratifs. Son secret ? Il leur met entre les mains un dossier où des billets servent d'intercalaires.
- Quoi, me dit Rye, indigné, mais il s'agit de corruption. Je ne jouerais pas à ce jeu avec eux.
- Mais pourtant, quand je m'étais fais arrêter par un flic parce que je ne roulais pas sur la file de gauche de l'autoroute (désert), Fon est tout de suite montée au créneau pour ramener l'amende de 1000 bahts à un montant qu'elle estimait plus raisonnable. Et elle a eu gain de cause, je n'ai payé que 300 bahts.
- Pas la même chose, me dit Rye, sans m'expliquer cependant pourquoi les flics sont des fonctionnaires différents des autres. Je subodore qu'il ne tient pas cet uniforme en grande estime - rappelle-toi, c'est un ancien militaire. Et à Paris, au cours d'une virée, il s'est durement castagné avec eux… ça rapproche, mais ça diminue forcément le prestige…

Rye vit en Thaïlande depuis longtemps. S'il avait eu vent par ses copains d'une possibilité de corruption, il m'en aurait parlé. On dirait que cela ne se fait pas chez les sujets de sa gracieuse majesté. C'est rassurant.

Les expats français se vantent souvent de connaître toutes les ficelles du pays. Ils racontent comment ils obtiennent leur prolongation de visa en une demie heure grâce à des bakchichs judicieusement distribués. Mais ils sont aussi les premiers à se plaindre de la corruption des administrations et traiter le pays de république bananière, méprisable à ce titre. Comprenne qui pourra.

Pour eux, la corruption est un fait établi, dont la racine est un vice intrinsèque de l'esprit ou de la culture des thaïs. Pas la peine de rechercher plus avant les causes de cette corruption. Rares sont ceux qui voient dans ces transactions occultes le moyen de rémunérer des salaires trop bas, ou d'organiser une autre forme de vie sociale, de hiérarchie locale, voire de rendre le sourire à des fonctionnaires qui s'ennuient - raisons qui sont d'ailleurs tout aussi discutables que la corruption pure et simple.

Je rencontre Rye quelques jours plus tard. Un grand sourire :
- Je suis passé à l'immigration… Je n'ai pas donné d'argent avant, donc il n'était pas question de corruption. En revanche, j'ai donné un billet de cent à la fin, pour remercier. Tu aurais vu la vitesse à laquelle la fille a embarqué le billet et l'a planqué dans son tiroir, tout en faisant un large sourire… j'ai compris que c'était... monnaie courante !

Oui, avec un peu de chance, quand Rye repassera à l'immigration, il sera précédé d'un souvenir positif et bénéficiera d'un traitement de faveur. Je suis content pour lui.

La Thaïlande, un pays corrompu ? Trente-trois teutons têtus t'ont tâté ta tête, ô titan tentateur…


dimanche 20 décembre 2015

Un ladyboy rue de l'Egalité


Ladyboy ? Quelqu'un me l'a dit. J'ai peine à le croire...

C'est samedi soir. Fon et moi, nous allons faire un tour chez Rye l'australien, avec des bières et un sac de concombres tout juste cueillis. Rye est égal à lui-même, bienveillant, content de lui et des autres. C'est rassérénant. Il est là avec sa femme Nisa, son beau-frère et quelques ouvriers pour le coup de l'étrier du samedi soir. Ni Mark l'anglais, ni Winnie le skipper australien ne sont venus. Nous sommes en petit comité.

Rye note que je suis allé chez le coiffeur. "Tu vas chez le ladyboy, dans la rue ?" me demande-t-il. Non, je suis allé à Korat, je ne savais même pas qu'il y avait un coiffeur dans notre rue.
"Fon, savais-tu qu'il y avait un coiffeur ?"
Fon le savait, évidemment. Mais non, elle n'a pas envisagé une seconde de m'emmener chez le ladyboy.
- Je ne savais pas qu'il coiffait aussi les hommes… plaide-t-elle.
- Nisa est très jalouse, et sans doute Fon aussi" m'explique Rye. "Elle a eu peur que…" Il boit une gorgée de son whisky, ce qui l'incite manifestement à des révélations : "le ladyboy ne coiffe pas que les hommes, il coiffe aussi les femmes. Et d'après ce qu'on m'a dit, quand il coiffe une femme mariée, il lui dit…"


Rye s'interrompt encore. Il regarde suspicieusement ses glaçons et secoue son verre. Et reprend mezzo voce :
"Les femmes thaïes n'aiment pas trop le faire… Y'know what I'm talkin' bout… Disent que c'est pas bon pour leur santé… surtout avaler… et pourtant, les thaïs aiment qu'on leur fasse… pareil que nous… Alors le ladyboy dit aux femmes qu'il coiffe que si leur mari a envie, et qu'elles ne veulent pas le faire, ils peuvent venir le trouver ; il leur fera… sans problème, contre un peu d'argent… Il a d'ailleurs passé une annonce quelque part, je ne sais plus très bien."
Je me ressers et je vide la Chang. Il s'en passe des choses, dans notre rue !


"Et je suis certain que ça marche, il y a plus d'une femme thaïe qui emmène son mari chez le coiffeur pour qu'ils lui fasse… pour ne pas avoir à le faire... et parce qu'elle veut que son mari soit content… La tolérance des Thaïs est quelque chose d'extraordinaire…"


J'ai l'esprit un peu embrumé. Je me demande si une "Sir-girl" (est-ce que cela existe vraiment ?) pourrait aussi facilement proposer des cunnilingus aux dames thaïes qui aiment qu'on leur chante la tyrolienne, mais dont le mari n'est pas adepte du broute-minou ? J'ai des doutes.

Oui, une société ouverte, tolérante, mais pas vraiment égalitaire. 

Plus tard, Fon me dira qu'il y a bien des filles habillées en garçon et que cela ne pose aucun problème.
- Oui, mais il me semble qu'il y en a beaucoup moins. On voit des ladyboys dans le Mall, où elles sont vendeuses. Mais je n'ai pas remarqué de sir-girls.
- Il y en a moins, je ne sais pas pourquoi. Et puis on les voit moins parce qu'elles travaillent plutôt à l'usine - c'est un univers de femmes. On les appelle des "thom", elles ont une coupe de cheveux caractéristique, avec les oreilles bien dégagées. Il y a un autre terme pour les lesbiennes qui restent habillées en filles, mais je ne me le rappelle pas.

- Mais pourquoi souris-tu quand j'aborde ces sujets ? Tu trouves que c'est risible ?
- Non, mais je me demande bien pourquoi tu t'intéresses à tout ça...


 


mercredi 16 décembre 2015

Petite cosmogonie à l'usage thaï


Enfin de retour à Bangkok...


Après un séjour particulièrement pénible en France pour obligations diverses, je suis de nouveau à la ferme. Pauvre France ! C'est pour moi le lieu de tous les problèmes, tout simplement parce j'y ai passé une bonne partie de ma vie, que j'y ai encore mes sources de revenus et trop d'obligations administratives. Et aussi parce que j'y ai ma sinistre famille - celle dont je viens, pas ma postérité qui est source de nombreuses satisfactions. Bref, la France est pour moi un vrai repoussoir.

Mais je suis sur ma petite moto et je fonce à quatre-vingt kilomètres à l'heure sur la route qui relie la ferme à la ville, vers le mall et le bassin olympique désert où je vais faire mes longueurs : j'oublie tout et je suis heureux. D'autant que Fon est assise derrière moi.

Après la piscine, j'ai pu goûter les premières fraises de la saison, des petites fraises thaïes très parfumées (au prix prohibitif pour la Thaïlande de cinq euros le kilo). Fon achète une boisson rafraichissante : du thé vert aux chrysanthèmes - excusez du peu, monseigneur...

A la ferme, on est en pleine récolte des concombres. Je ne suis pas sûr qu'il y ait plus d'un français sur cent qui sache ce qu'est un concombre. Je ne parle pas de ces longues bites molles de martien qu'on trouve dans les supermarchés. Elles sont au choix : insipides ou amères. Avec une texture parfois si infâme qu'on doit jeter tout le centre de la bête. Non, je parle de ces petits concombres, dix centimètres de long tout au plus, appétissants, craquants, avec un goût doux, subtil mais marqué.

Les travaux pour la nouvelle maison ont commencé. Ce qui me surprend le plus, c'est que les ouvriers font tout à la main. Décharger les camions. Creuser. Mais aussi tresser les longues tiges d'acier en grilles ou parallélépipèdes pour les fondations. Il y a eu quelques mises au point avec l'entrepreneur, et ce n'est sans doute pas fini, mais pour l'instant, tout est calme.

L'un des ouvriers arbore un t-shirt sur lequel est écrit : the army motorcycle - the motorcycle of victory. Dessous, on voit effectivement une moto ancienne d'un vert kaki caractéristique. Mais on reconnait le flat-twin très identifiable des BMW. La moto de la victoire ? J'ignorais que la firme bavaroise travaillait pour les Alliés. Douces approximations thaïes...

A propos d'alliés, Ray est revenu d'Australie, après un séjour médical assez décevant. Nous nous retrouvons avec plaisir. Il lance une invitation pour un raout qu'il organise tous les samedis sur son chantier avec quelques amis. J'y rencontre Mark, un anglais assez discret, dont Fon connaît bien la compagne car elle habite depuis toujours à deux cent mètres de la ferme. Mark a une entreprise d'entretien de jardins dans le pays de Galles, et il ne peut venir que sporadiquement en Thaïlande. Il a connu sa femme à Pattaya, dans un salon de massage… paraît-il tout à fait "honnête". Fon me dit que la fille n'a pas franchi la ligne. En tout cas, elle a de la constance, car il s'écoule généralement cinq mois entre les passages de son godon (tu ne sais pas ce qu'est un godon ? Un très vieux terme qui date de l'ancien régime, époque où les marins français entendaient leurs homologues anglais ponctuer leurs phrases de multiples "God damn". D'où la déformation "godon").

Je fais aussi la connaissance d'un australien dont j'ai déjà parlé sans l'avoir rencontré. C'est lui dont la femme légèrement dépressive vend régulièrement ses bijoux chez ma tante sous l'influence de sa famille. L'australien va alors chez ma tante et rachète. Il l'a déjà fait deux fois. C'est un ancien skipper, qui a passé une bonne partie de sa vie sur les reefs de l'hémisphère sud, mais aussi trempé son aileron aux USA. Il est grande gueule et sympathique. Nous partageons un point de vue : les skippers et les bords américains sont tout à fait civils et agréables.

Ce qui est amusant, c'est la manière dont se déroule la soirée (qui commence à 16:30). Les farangs sont à une table. Les femmes à une autre. A une troisième, il y a le frère de Nisi, la femme de Ray et deux ou trois thaïs, les ouvriers qu'il emploie de longue date pour ses constructions pharaoniques. Il est vrai que parmi les farangs, à part moi, et encore, personne ne parle le thaï - alors pourquoi faire semblant ? Ce qui me trouble (car j'ai faim), c'est qu'on nous sert des chips et des lamelles de cochon grillées, alors que les autres ont un vrai repas thaï, avec du riz et de la salade de papaye. "C'est parce que c'est bien trop épicé pour les farangs qu'on ne vous a pas servi" m'explique Fon.

Ce matin, je ne sais pas quel petit diable m'incite à l'interroger sur sa conception du monde. Elle me dit qu'elle sait bien que l'homme descend d'un ancêtre lointain du singe - les bouddhistes n'ont pas les blocages créationnistes des américains. En revanche, en cosmogonie, ses conceptions laissent à désirer. Après réflexion, elle me dit que le soleil tourne autour de la terre, et que la terre est très grosse (sans doute plus que le soleil). Je lui fais part de conceptions plus récentes, qu'elle accepte sans problème.
- Etait-ce important de savoir que la terre tournait autour du soleil ? lui demandai-je.
- Oui.
- Tu en parleras à tes amies ?
- Non. C'est juste un peu important. Nit noi... dit-elle en montant très haut sur le "niiit" et dégringolant sur le "noi", ce qui m'amuse toujours.
Quant à lui expliquer que le froid de l'hiver ne tient pas à la rotation de la terre sur le périhélie de son orbite elliptique, mais à la variation de la position de la terre sur le plan de l'écliptique, c'est trop compliqué pour mon faible niveau de thaï. Une autre fois… De toute manière, Fon arbore aujourd'hui un joli t-shirt neuf, avec un très mignon trou-trou en forme de cœur au niveau de la naissance des seins. Je vais plutôt m'employer à lui démontrer que si le bonobo est un lointain cousin de l'homme, ce dernier a en commun avec lui quelques comportements primitifs. Pour la Science.

Taxis à Bangkok : couleur bure de bonze...


samedi 10 octobre 2015

Les cousins de Donald Duck




Aujourd'hui, de mon poste d'observation devant la basse-cour, je fais une découverte. Une loi de l'univers que je croyais immuable s'écroule.

Tu connais Donald Duck. Il n'est pas très débrouillard, et le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas un winner. Mais c'est une grande gueule, un énervé du ciboulot, toujours prêt à râler et faire valoir ce qu'il pense être son droit.

Les autres membres de la famille sont aussi des personnages hauts en couleurs. L'oncle Picsou est un hyper-actif limite bipolaire qui se démène et saigne le monde pour s'enrichir. Riri, Fifi et Loulou sont dégourdis. Sans être agressifs, ils ne se laissent pas faire (au fait, ils ont une curieuse filiation ; sont-ils orphelins ? Ils ne sont pas les enfants de Donald - et Daisy - mais ils semblent à la garde de Donald ; ils sont ses neveux, et donc petits neveux de l'oncle Picsou ; ils ne sont pas non plus les enfants de Gontran, le cousin chanceux de Donald ; bref le silence plane sur le sort qu'on subi leurs parents, sort sans doute trop dramatique pour être évoqué ; ont-ils été mangés à l'orange ?)

Quant à Daisy, elle aussi a un fort caractère et n'hésite pas à flanquer des coups de son sac à main sur la tête de Donald quand il ne s'est pas montré à la hauteur. La grand-mère de Riri, Fifi et Loulou est tout sucre pour ses petits enfants, mais toujours prompte à réagir en cas d'injustice. Elle en remontre même à Picsou (dont on ne sait pas si c'est son frère, son beau frère, ou un parent de l'autre lignée ; il manque tant de monde dans cette parentèle ; canards laqués ?).

A côté, les poules qu'on trouve dans le monde de Disney sont des modèles de modération. Elles sont présentées comme des animaux paisibles et effacés, qui ne respirent pas l'intelligence et passent leur temps en commérages.

Comme les poules, les oies s'effacent devant les canards, qu'il s'agisse de Gus, dont la paresse et la sottise sont mises en exergue chaque fois qu'il apparaît, ou d'autres représentants encore plus effacés de l'espèce. Même le génial Géo Trouvetout, en dépit de son intelligence, n'est pas particulièrement incisif.

Bref, tu l'as compris, dans la basse-cour de Disney, les canards sont des animaux dominant. Ils ont du caractère. Ce sont eux les cadors.

En Thaïlande, c'est tout le contraire. Les canards sont des petits bras. Démonstration. Je pose dans la cours de la ferme l'écorce de la demie pastèque que je viens de manger. Les canards sont très intéressés, ils s'approchent tout de suite, ils commencent à picorer. Une poule paraît et c'est la débandade. Ils s'écartent et lui laissent la place ni combattre. Même si elle est seule. Pas le moindre coin-coin de protestation.

J'ai répété l'expérience plusieurs fois, dans diverses cours de ferme. J'ai observé. Les canards se disputent très peu entre eux - beaucoup moins que les poules, ils vivent paisiblement et n'essayent pas d'accaparer ce qu'ils trouvent (ou la bassine où ils se baignent). Ils sont sociables et égalitaires (sauf pour ce qui est du sexe). En revanche, les poules sont dans un système de hiérarchie très manifeste. Elles n'hésitent pas à distribuer des coups de bec. Elles se chamaillent sans arrêt, elles terrorisent les autres et leur suprématie n'est pas contestée.

Je comprends enfin pourquoi ma mère ne voulait pas que je lise Super Picsou Géant. Je croyais que c'était un ouvrage tout à fait sérieux de biologie animale, et je découvre aujourd'hui qu'il professait des vérités très approximatives. Oui, sans doute, ma mère était éprise de vérité scientifique...

Après l'effondrement de mes certitudes en éthologie, je vois ébranlé un autre pilier de mes connaissances. Partout dans le monde on chante des chansons aux bébés et aux enfants. C'est ce que tu crois et que je croyais. La berceuse comme constante universelle. Mais non : la Thaïlande fait exception. Je demande à Fon pourquoi elle ne chante rien à Nam. "Parce que je ne sais pas chanter" répond-elle. Mais sa mère non plus ne chante pas, ni son père, ni les nombreux visiteurs qui prennent Nam dans leurs bras. En Thaïlande, personne ne chante de comptines aux enfants. Ce n'est pas dans les habitudes.


Mais un ancien de la chorale des carabins ne saurait laisser son propre enfant dans la déshérance, sans éducation musicale. Je dois payer de ma personne. Je lance un timide de profondis morpionibus (je ne connais guère d'autre chanson en entier). La famille de Fon, autour de moi, s'étonne et s'émerveille de ma fibre paternelle et artistique.

Au troisième couplet (Tous les morpions moururent ou presque à l'exception des plus trapus qui s'accrochèrent aux poils du c…), passage particulièrement pathétique et sentimental, je vois Nam faire un large sourire dans son berceau. Les jours suivants, je recommence, elle est ravie. Heureusement, pour varier, je me rappelle aussi Jeanneton, et Ils étaient deux amants qui voulaient voyager, et une bonne partie du Père Dupanloup. Voilà une jeune fille qui va être nourrie aux humanités françaises ! 




jeudi 8 octobre 2015

Le coins des bricoleurs : construction d'une petite maison en Isan



Dans l'article précédent, j'expliquais mes réserves concernant les obligations des farangs qui ont une relation suivie avec une thaïe. Ces réserves étant posées, je persiste dans l'intention de construire une petite maison.



Le terrain sur lequel je vais construire appartient en propre à la mère de Fon, qui donne son accord sans réserve. Elle y a tout intérêt, car il y aura deux maisons sur son terrain, la vieille ferme qui reviendra au frère, et la nouvelle maison qui reviendra à Fon. Pour moi, cela m'évite les complications de la recherche et de l'achat d'un terrain, que je n'aurais pu mettre à mon nom étant donné la législation thaïe. Quoi qu'il arrive, je ne risque pas de perdre mon investissement, qui reviendra forcément à notre fille.

Nous sommes à trente-cinq kilomètres de Korat, et le centre ville est à une demie heure de moto, par une route agréable. L'endroit n'est pas vilain, il est au-delà de l'ignoble sub-urbain. Le terrain lui-même est à quelque distance des autres constructions - les gens ne construisent pas en limite de propriété. Nous nous retrouverons un peu plus éloignés des sources de bruit de la rue, haut-parleur de la mairie et musique du marché. Et si la construction est bien faite, bien isolés dans tous les sens du terme, sans pour autant être vulnérables aux prédateurs, la famille pouvant jeter un œil sur le patrimoine pendant nos absences prolongées.

En fait, le terrain se trouve sur l'arrière de la ferme des parents de Fon, à vingt ou vingt-cinq mètres. Il en est séparé par des arbres et des petits bosquets. La nouvelle maison sera au milieu d'une belle clairière, tournant le dos à un énorme et magnifique buisson de bambou qu'elle verra par ses fenêtres arrières (les chambres à coucher). A l'opposé, côté ferme, les fenêtres sud s'ouvriront sur ces bosquets assez sympathiques - et c'est là que je compte m'installer pour travailler.

La vue côté ouest (c'est-à-dire du côté des mauvais voisins) sera plus ou moins condamné par des extensions assez étroites, l'une pour la salle d'eau, l'autre pour les rangements. La moitié du côté est sera doublée par un petit bâtiment qui servira de cuisine. La hauteur sous barrots y sera naturellement moindre du fait de la déclivité du toit ; Fon n'est pas très grande, je pense qu'elle sera à l'aise ; mais pour moi, c'est vraiment dommage, je ne pourrai pas y passer beaucoup de temps... Enfin, un garage sera construit ultérieurement, un peu à distance de la maison, pour masquer encore plus la vue côté voisins.

Par chance, le terrain est accessible autrement qu'en traversant la ferme - par un chemin qui se termine en cul de sac et qu'il est donc possible de fermer. Ce chemin est carrossable pour une moto. Pour une voiture, c'est un peu plus compliqué : c'est un chemin de terre, et le 4x4 s'imposera peut-être. Grâce à cet accès privatif, je pourrai vivre comme un ours si je le souhaite, ou inviter un couple d'amis en faisant dormir Nam dans la salle de séjour.

La maison que je compte construire fera sept mètres sur sept, plus des petites extensions. J'aurais préféré plus grand, mais il semble y avoir une norme (ou deux pour être exact), soit trois mètres soit trois mètre cinquante. Les dimensions des maisons sont obligatoirement multiples de ces normes. Il s'agit en fait de la distance qui sépare deux poteaux.

Que sont ces poteaux ? Pour construire une maison, un maçon thaï va planter des pylônes en ciment qu'il aura acheté pré-dimensionnés au magasin du coin. Ces pylônes seront enfoncés dans des bases en ciment qu'on coule dans le sol, après avoir fait un assez gros trou et l'avoir bien ferraillé. Leur verticalité est l'objet de mesures très précises. Ces poteaux sont l'armature de la maison. Je suis incapable de dire à quelle profondeur il faut les enfouir dans le sol, mais l'artisan saura et décidera en fonction du fait que la maison n'aura qu'un seul étage.

Une fois ces poteaux coulés, on va sacrifier à la hantise de l'inondation. Il paraît qu'il n'y en a jamais dans la région. Mais quand même : on dit aussi qu'il y en aura dans le futur. Alors on surélève le plancher de la maison d'un mètre, voire plus. Je me bornerai à quatre-vingt centimètres - dur de grimper pour le serpent venimeux qui voudrait faire un somme dans une de mes bottes.

Si le constructeur est patient et économe, il fait une butée de terre de la hauteur idoine, et il attend un an qu'elle se tasse. Ensuite, il peut construire dessus. S'il est pressé et plus riche, il fait un chainage de parpaings autour de la maison, et il le remplit de sable. Il peut aussi construire un appareil au dessus du sol qui lui permettra de suspendre des plaques de béton armé (qui ne coûtent pas très cher) en guise de plancher. Une fois retiré l'appareil, tout tient. On peut alors poser le carrelage. C'est cette solution que j'ai vue à l'œuvre, qui semble fiable et que je vais donc retenir. Elle a en outre l'avantage de laisser le passage d'air sous la maison, ce qui contribuera à la rendre plus fraîche.



Ici, les murs sont faits en bois ou en parpaings. Sur les conseils de Rye l'australien, je vais utiliser du Siporex, qui aura des vertus d'isolation phonique et thermique. Je vais utiliser du 7, car l'endroit est très boisé et abrité, et une épaisseur supérieure serait inutile. Evidemment, il faudra aussi choisir des fenêtres isolantes. Un plafond fait de dalles de 50x50 séparera le toit en tôle des pièces à vivre, et je ferai poser de la laine de verre par-dessus, bien jointive. Dessous, je poserai des gros ventilateurs, style Casablanca. Je n'ai pas l'intention de mettre la climatisation et Mai n'y tient pas du tout.




Du fait de l'utilisation de tôles, il n'y a pas beaucoup de contrainte pour la pente du toit. Je pense faire un bi-pentes à trente degrés. Une solution élégante consiste à demander un toit déjà plié, si on trouve une longueur suffisante pour couvrir plus d'un demi toit, de manière à éviter les fuites au faîtage. Le toit devra déborder très largement, ce qui se fait presque toujours ici pour qu'on puisse se déplacer autour de la maison sans être mouillé. Un bon mètre de débord, et sauf tempête, la pluie ne mouille pas les fenêtres.

Se posent des problèmes d'électricité, car il faudrait passer au dessus de la maison actuelle pour faire venir un fil. Mais on peut peut-être passer en aval, en longeant la ferme des cousins - nous avons prévu de nous renseigner. Quant au réseau interne, pas de coquetterie : les câbles passeront sur les murs dans des gaines parfaitement visibles.

Pour l'eau, en revanche, aucun problème. Et pour les évacuations, une fosse septique pour les WC, et des tuyaux de PVC qui emportent les autres eaux usées à distance. Il paraît qu'il y a une certaine négligence à ce sujet. Résultat, si l'eau se déverse et stagne sous la maison, celle-ci peut prendre un bon coup de gite au bout de quelques années, du côté où se trouve la flaque.

Le choix de l'entrepreneur est crucial. Rye me donne le numéro de téléphone d'un thaï en qui il a assez confiance. Mais sur le plan financier, je suis dans le noir complet. Rye me dit qu'il faut aller chez "Global", un magasin de matériaux qui se trouve à l'entrée de la ville. Les prix y sont normaux - et quelle que soit la quantité qu'on commande, il est inutile de demander une remise.

Il faudrait donc que je compte les onze poteaux, les parpaings en Siporex, la colle, les plaques de ciment du plancher, le carrelage (un blanc uni un peu mat, en 40x40 pour changer des motifs assez mièvres que je vois partout ailleurs) et la faïence, les tuyaux en pvc, les waters et la douche, l'évier, les tôles, les carrés du double plafond, la laine de verre isolante, les portes et les fenêtres, la peinture, le bois de charpente, le fil et le petit matériel électrique, et qu'oubliai-je encore… oui, évidemment, combien me demandera l'entrepreneur, dont je ne sais pas s'il prend à la journée où à la tâche.

Il me reste donc beaucoup à apprendre et à faire. Vos conseils seront les bienvenus.