jeudi 24 mars 2016

Bonze à mobylette

En traversant la nationale à cinq à l'heure...

L'autre jour, j'ai passé le permis de conduire thaï (cf. mon précédent post : Violence-au-pays-du-sourire). Les questions sont en anglais, ce n'est pas le bout du monde. C'est intéressant de voir ce qui retient l'attention des édiles locaux. La questions des "U-turn" par exemple, c'est-à-dire des demi-tours. L'organisation routière thaïe est telle que les automobilistes sont obligés en permanence de faire des demi-tours, en particulier sur des routes à grande circulation - sensations garanties. Ces U-turns sont totalement interdits dans les intersections, et permis dès qu'il y a un marquage discontinu sur la route - au beau milieu d'une ligne droite par exemple. L'inverse de ce qui se fait en France. Mais ce n'est pas la seule chose. La manière de rouler dans un rond-point par exemple. Il y aurait d'autres exemples.

J'ai lu avec intérêt que les engins agricoles, du moment où ils étaient équipés de roues en caoutchouc, avaient le droit de circuler sur n'importe quelle route. Comme les tanks, et aussi les voitures de courses. Pour ces dernières, une autorisation spéciale est requise. Pour les tanks, apparemment non. J'imagine le flic arrêtant un tank :
"Papiers s'il vous plait..."
La tourelle tourne... Boum !... Excuse-moi, c'est un peu gamin, mais ça m'amuse.

Engin agricole Kubota : quelle est la part de customisation ?

Quant aux  bonzes, ils sont dispensés de porter un casque. Pourquoi - mystère. Pour qu'on les reconnaisse et qu'on puisse manifester son respect (le bouddhisme est la religion officielle du pays) ? Pourtant, il n'y a pas que leur tonsure qui les rende reconnaissables. Il y a avant tout leur belle tunique orange. Alors question de dignité ? L’État ne veut rien imposer aux serviteurs du Bouddha ? Je suppose.

Mais attention, tous les religieux sont dispensés de mettre un casque quand la religion s'assortit du port d'une coiffe. Est explicitement cité le personnel ecclésiastique portant turban. Sikhs ? Musulmans ? C'est vrai que ça doit être compliqué de faire entrer un turban dans un casque. Et surtout de le sortir sans dérouler la bande velpeau. J'ai souvenir que les prêtres de mon enfance portaient des bérets. Monsieur le curé en béret qui circule sur son solex (1800 ou 2200) sera-t-il dispensé de casque ?

Ce qui m'a étonné, dans les questions des tests, c'est l'importance donnée aux "grosses" voitures. Explication : dans les réponses pièges qui sont proposées, on demande assez souvent si dans tel ou tel cas, on s'arrête et on laisse passer les voitures plus grosses. Où les plus petites. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Il y a des gens qui pensent que c'est celui qui a la plus grosse (voiture) qui passe en premier ? Ce sont les plus riches qui prennent le pas sur les autres ? Est-ce un réflexe naturel chez les thaïs ? Il me semble.

Il y a une étrange soumission à tout ce qui porte un uniforme - administratif ou policier. Plus ils sont issus d'un milieu défavorisés, plus ils sont enclins à laisser préséance à l'autorité, et aussi à la richesse. "Préséance à ceux qui les traitent comme des chiens en permanence" m'a dit un anglais fâché qui attendait que sa femme passe le permis. Il assume la responsabilité de ses propos. 

Mais bon, je te rassure : "laisser passer la voiture la plus grosse" n'est jamais une bonne réponse quand tu passes le code.

lundi 21 mars 2016

Décharge sauvage… d'adrénaline

Décharge au cœur de Bangkok


Hier, j'allais à Korat sur ma moto. A vingt mètres de la route, sur un terrain dont je ne dirais pas qu'il était vague, mais du moins... pas très net, j'ai vu un pick-up. Un thaï debout dans la remorque vidait des sacs d'ordures. Je n'ai pas identifié la nature des ordures. Juste vu qu'une partie s'envolait au vent, dans un grand nuage de poussière. En regardant autour du pick-up, j'ai constaté qu'il n'était pas le premier à avoir fait cela. Où alors il le faisait tous les jours au même endroit depuis une semaine !

Tout le monde pouvait le voir de la route, en train de jeter ses déchets. La police, qui passe parfois. Manifestement pas un problème. J'ai continué à rouler, et sur un kilomètre, j'ai vu des cartons, des sacs en plastique dans le fossé, accrochés aux arbres.

Ici, en Thaïlande, il n'y a aucune fatwa contre les sacs en plastique. Quand j'achète mon jus d'orange, la vendeuse m'en met deux couches, pour que ça tienne bien au crochet de ma moto. C'est un produit si pratique, qui me fait tellement défaut en Europe… au point qu'ici, j'ai commencé à les stocker ! La peur de manquer… Et puis j'ai vu qu'il n'y avait pas de danger que ça s'arrête, et j'ai cessé d'empiler les sacs dans un placard.

Hier, j'ai terminé un livre de Iegor Gran, "l'écologie en bas de chez moi", qui raconte l'agacement de l'auteur devant l'emballement écolo-responsable et le développement durable. C'est un livre agréable à lire, qui permet de passer deux ou trois heures amusantes et un peu réflexives. Apparemment, l'auteur écrit parfois dans Libération. H
eureusement, le style est moins racoleur que celui de ce journal - on sent quand même la parenté.

Iegor Gran met en doute la réalité du réchauffement planétaire par la faute des hommes. Il ne s'inscrit pas dans une énième théorie du complot, mais pose un regard humoristique sur ses voisins d'immeuble, et critique sur le GIEC, organisme qui regrouperait deux mille cinq cent scientifiques… dont seuls une soixantaine seraient actifs sur la question du réchauffement - encore n'auraient-ils aucune activité de recherche.

Tandis que Iegor Gran conteste, Etienne Klein souligne
au cours d'une chronique à la radio à quel point, en France, nous sommes dans une phase étrange que caractérise "le souci de ne pas se laisser tromper, une attitude de défiance généralisée, une détermination à crever les apparence pour atteindre les motivations réelles qui se cachent derrière". C'est très vrai. Fonctionnement positif quand des personnes ayant une méthodologie correcte se lancent dans la contestation (et je crois que c'est le cas de Iegor Gran). Ou exaspérant de stupidité quand ce sont des esprits qui n'ont pas été formés ou n'ont pas les moyens intellectuels nécessaires. Je me demande bien quelle est la raison de cet état d'esprit - par parenthèse très Front National. Tu as une idée ?

Bref, je partage totalement l'agacement de Iegor Gran. Mais peut-on faire autrement ? Il s'agit de faire passer un message, celui d'un éventuel danger pour la planète, sans doute provoqué par l'homme. L'élite des climatologues peut avoir une opinion scientifique qui se tient. Nous, non. Iegor Gran le reconnaît parfaitement. Nous sommes "obligés" de les croire. Mais avant d'en arriver là, nous avons quand même le droit de douter, d'examiner de manière latérale ce que nous ne pouvons contester de manière frontale. Qui délivre le message, quelle unanimité, quelle représentativité, quelles compétences. C'est ce qu'a semblé faire Iegor Gran - mais il ne donne pas de détails, ce n'est pas le but du livre, et nous ne pouvons pas vraiment juger de la qualité de sa démarche.

L'engouement pour le développement durable, martelé par les slogans insipides de l’État, récupéré par la publicité, est irritant. Les nouveaux ayatollahs de l'écologie - ceux justement qu'on trouve en bas de son immeuble, et qui voient partout le grand Satan des pollueurs - sont totalement exaspérants.

Mais pour obtenir l'adhésion du plus grand nombre, il faut embrigader. Soumis à une propagande bien menée et livrés à leurs médiocres connaissances, les gens ont des réactions attendues : stupides, excessives, ridicules. Un extrémisme de nouveau converti. C'est bien de cela que Iegor Gran se plaint. Je crains qu'il n'y ait pourtant pas d'autres moyens pour obtenir un certain éveil, un changement d'attitude suffisamment répandu dans la population - tout en assumant le risque d'erreur des prévisionnistes, qui se sont déjà trompés plusieurs fois.

Cela m'évoque une remarque de Steven Pinker (dans "The Better Angels of Our Nature" - il existe une traduction française). Il évoquait la généralisation de l'euphémisme, l'impossibilité d'appeler les choses par leur nom, l'atténuation des signifiés, l'hygiène verbale forcenée, de peur d'engendrer la moindre agressivité dans l'atmosphère. Et se résignait à cette langue de bois ridicule, car il serait démontré qu'elle est efficace en termes de réduction de la violence, ou du moins qu'elle en est un sous-produit obligatoire.

Ce serait bien que Iegor Gran lise Pinker, il serait plus tolérant à la connerie… mais il n'aurait pas écrit son livre, témoignage sur notre époque.

Quant à la Thaïlande et ses décharges sauvages… D'après Fon, il n'existe pas de décharge municipale dans le coin, le concept même est inconnu. Il n'y a pas de ramassage des poubelles. Chacun établit la politique qu'il va appliquer pour conchier son coin.


La saison des fraises, en décembre-janvier, permet aux Holiday inns,  aux Hyatt, aux Best Western et aux Marriott du monde entier d'agrémenter leurs brunches d'un zeste de paradoxe. Mais en Thaïlande, en dehors de la région de Phetchabun ou de Chiang Mai, on n'en voit pas la couleur : à mon grand désespoir, on consomme strictement local.

A la ferme, la famille de Fon trie depuis longtemps : le verre et le plastique recyclable, pour récupérer trois sous ; les épluchures et autres déchets organiques, pour nourrir poules, canard, chiens et zébus ; les cartons sont parfois recyclés, parfois utilisés avec le papier pour allumer le feu ; les vieilles chaussures en plastique et les tubes de dentifrice vides sont dissimulés derrière les toilettes ; quant aux gravats, il faut les jeter derrière le bosquet de bambou... La famille ne consomme rien d'autre. Alors oui, ce n'est pas parfait. Mais chaque chose en son temps.


mardi 15 mars 2016

L'architecture dans l'Isan, ou l'art de ne pas pisser par la fenêtre


Si tu te promènes dans la campagne française et prend des photos des maisons, sans discrimination, il y a des chances pour que tu ramènes un certain nombre de mochetés - notamment ce qu'on appelle des "maisons de maçons". Mais tes photos vont montrer la réalité de l'architecture locale - ou de l'absence d'architecture.

Si tu fais la même chose aux États-Unis, je pense que tu auras plus de chance. En effet, l'appel à un architecte est obligatoire dès que la maison fait plus de cinquante ou soixante mètres carrés, si j'ai bien compris. Alors qu'en France la limite est cent cinquante mètres (depuis peu : elle était à cent soixante dix mètres il y a quelques mois). Les architectes sont plus ou moins bons, mais… ils sont bien meilleurs que les maçons pour le design !

En me promenant dans l'Isan, ma région, je trouve que les habitations individuelles sont généralement d'une grande laideur. Certes, il y a encore de vieilles fermes en bois, auxquelles je trouve un peu de gueule (la tôle ondulée, ça a son charme).


Mais les constructions récentes me paraissent vraiment laides et peu intéressantes. Quelle que soit la surface à construire, l'architecte n'est jamais obligatoire, et il n'y a pas de recommandations stylistiques.



Oui, je trouve les maisons récentes généralement hideuses, le style sans imagination, les couleurs criardes, l'absence d'un minimum d’homogénéité nuisible. Que cela soit clair dès le départ : je ne suis pas architecte, je ne suis pas compétent, j'ai le goût d'un bourgeois français, conservateur, rétrograde et particulièrement timoré. La valeur de mes appréciations est donc on ne peut plus relative et sujette à caution.

Je vais néanmoins tenter de décrire ce que je vois, et d'en comprendre ce que je peux.

La première chose, c'est que partout, le bois fait place au béton. Plusieurs raisons sans doute. D'abord, on me dit que le prix du bois a énormément augmenté. Il faut dire qu'il n'y a pas de forêts dans la région, elles ont été ratiboisées pour planter le riz. L'Isan a subi une importante déforestation. Mais on pourrait faire venir le bois d'ailleurs, des régions montagneuses. A ce moment, le circuit économique change peut-être : au lieu d'aller acheter le bois à la scierie locale, on se fournit dans les magasins de bricolage, intermédiaires plus cher, qui font naturellement payer le transport au client.


Mais le déclin du bois tient sans doute à d'autres facteurs. Si la pluie frappe latéralement un mur sous l'effet du vent, la pluie pénètre facilement. Elle met plus de temps à traverser un mur de parpaings, qui offre une plus grande protection contre le vent et contre les variations quotidiennes de température. Dernier avantage du mur de parpaing : il n'est pas attaqué par les termites, il est plus solide.

C'est l'une des raisons pour laquelle on ne voit plus de maisons anciennes traditionnelles, genre isbas, dans la campagne polonaise : elles tiennent difficilement plus d'un siècle. Même phénomène ici. Alors qu'on trouve nombre de vieilles fermes en pierre en France.


Pour moi, c'est une vraie question : ces fermettes qu'on trouve charmantes, elles paraissaient misérables, laides et sans intérêt pour le voyageur il y a un siècle. La patine du temps y fait un peu, mais quand même : notre goût a évolué considérablement. Alors doit-on s'attendre à ce qu'en France, les générations futures trouvent un intérêt dans les constructions que nous trouvons aujourd'hui pauvres, sans imagination, laides - justement ces maisons de maçons quand elles auront vieilli ?

Ce qu'on voit partout ici, ce sont des maisons surélevées. La surélévation est une protection contre les inondations, fréquentes pendant la saison des pluies. Tape "flood in Bangkok" sur un moteur de recherche, et tu verras que c'est du sérieux. Mais la surélévation des maisons n'est pas faite sur ce seul critère. On dirait qu'il s'agit aussi d'une question de statut social : une maison qui surplombe de deux mètres vaut mieux qu'une autre surélevée de quatre vingt centimètres. Personnellement, j'ai été poussé à construire à un mètre alors que j'aurais préféré du plain-pied, et que notre topographie nous place deux bons mètres au dessus du niveau le plus haut des inondations de ces dernières années.



Une autre caractéristique des maisons, ce sont les toits gigognes. On retrouve ces toits qui se recouvrent sur les temples aussi. Parfois jusqu'à trois qui se chevauchent. Je n'en connais pas la raison. Peut-être encore les pluies drues de la mousson ? En tout cas, apparemment, c'est "chic", on voit cela sur les maisons qui font riche. [la photo ci-dessous n'a pas été prise dans ma région : trop vert, trop riche ; maison bourgeoise du nord]




Toits gigognes ou pas, les toits dépassent beaucoup les murs, en principe d'un mètre. Là encore, il s'agit de protéger les ouvertures de la pluie, mais aussi du soleil. Il est bien désagréable de se coucher dans une chambre surchauffée. D'autant que l'isolation n'est pas une préoccupation prioritaire pour les thaïs, et que le gradient de température entre le coucher et le lever du soleil dépasse souvent quinze degrés : un pilou ou une bonne couverture s'impose au petit matin en hiver si la chambre n'a aucune inertie thermique.

Malgré tout, j'ai noté que les maisons en béton étaient plus hautes de plafond que les maisons occidentales. Jusqu'à trois mètres - alors que les thaïs sont plutôt petits. La raison en est simple : l'air chaud s'accumule en hauteur, et le nez à mi-hauteur, on a moins chaud.




Traditionnellement, les toits sont en tôle. Quand il pleut fort, ça fait un bruit assourdissant. Maintenant, les gens préfèrent les toits faits en plaques de matériaux synthétiques, de toutes les couleurs. On voit pas mal de bleu, et assez peu de blanc, alors que le blanc aurait un effet radical sur la réverbération de la chaleur à l'intérieur de la maison. Ces toitures sont plus durables que les tôles qui finissent par rouiller. Les matériaux synthétiques imitent les tuiles, ou sont en forme de cannelures. Pour moi, ça fait polonais…

C'est un choix tout aussi peu fonctionnel qui détermine la couleur des vitres des fenêtres. Il est très difficile d'obtenir du transparent neutre dans les magasins. La plupart des fenêtres sont teintées en bleu, ce qui est absurde en termes d'isolation : plus elles sont sombres, plus elles font entrer de la chaleur dans la maison.




Du fait de la température très agréable qui règne dans le pays, la vie "à l'intérieur" n'est pas privilégiée. Ce qui explique probablement pourquoi les maisons que j'ai pu visiter m'ont paru assez sombres. Peut-être aussi du fait qu'on évite tant qu'on peut de les construire à l'ouest et au sud - nos orientations préférées en Occident - car la température monte très vite en fin d'après-midi. On préfère le nord ou l'est.

Les fermes en bois traditionnelles surélevées bénéficient souvent d'un rez-de-chaussée en parpaing qui couvre une plus ou moins grande partie de l'emprise au sol. Sans doute bien pratique, mais désolant sur le plan esthétique. Le parpaing nu ne provoque aucune phobie, même si on le préfère enduit au ciment et peint.

Les termes thaïs pour décrire les pièces de la maison ressemblent aux nôtres. Traduit littéralement : salle à dormir, cuisine, salle à manger (l'un des mots utilisés s'écrit comme le mot aumône, j'ignore s'il y a un sens originel commun), salle d'eau, de bain, salle d'invités (salon).




Je n'entrerai pas dans les techniques de construction. Elles sont très différentes des nôtres. Mais ce n'est pas mon propos.


Il y a un ornement traditionnel rural qui se perd dans la région. Ce sont ces genres d'élytres qu'on trouve sur les toits :




Elles se déploient dans le sens frontal, et on ne les confondra pas avec cet autre ornement traditionnel (surtout des temples) :



 
Ce qui frappe le voyageur qui arrive dans une ferme, c'est la présence de cinq ou six énormes bombonnes, dont chacune doit bien contenir un mètre cube d'eau. Ce sont les réserves d'eau de pluie, recueillies par le toit, destinées à la boisson et au lavage et à la cuisson des légumes. Pour la toilette, on utilise l'eau publique, généralement puisée dans un étang des environs (ce qui fait qu'il est mal vu de se baigner dans les étangs) et apportée par le service municipal. Elle n'est pas potable a priori. Étant donné qu'on peut voir passer quatre mois sans une goutte de pluie, il vaut mieux avoir des réserves. Même l'eau municipale peut se faire rare.



Évidemment, quand on dort au premier étage et qu'on est réveillé par une envie de lansquiner au milieu de la nuit, on serait tenté de le faire par la fenêtre. On risque d'arroser un toit utilisé pour le recueil d'eau de pluie : source, oui... mais source de problèmes diplomatiques graves - je déconseille.

lundi 14 mars 2016

Un conte de la région du Triangle d'Or : le poivre et le papillon




Il s’agit d’un conte traditionnel que m'a raconté un très vieux thaï. Il se dit dans l'épaisse jungle qui recouvre le Triangle d'Or, où l’on trouve parmi les plus beaux papillons du monde. On y trouve une explication primitive de l’univers tel qu’on le voit aujourd’hui, et c’est en quelque sorte une légende de création du monde.

Il y avait une fois, dans les terres profonde d’un pays très lointain, un papillon de toutes les couleurs, si beau que l’on disait de loin en le voyant passer : « voilà l’arc-en-ciel qui vient à nous ! », ou encore « j'ignorais que les fleurs puissent voler ! »

Ce papillon était le plus beau de la terre. Mais il avait un défaut, il était trop curieux.

On lui dit un jour qu’il ne doit jamais s’approcher des lumières des hommes : il y a là-bas des enfants et des vieilles personnes avec des barbichettes qui courent après les papillons avec des filets pour les attraper, leur transpercer le corps d'une longue épée, et les exposer dans des tableaux.

Le papillon se dit qu’après tout, il avait bien fallu que quelqu’un, un jour, soit allé voir ce qui se passe chez cette espèce étrange. Et ce quelqu'un était bien revenu pour raconter son histoire. Pourquoi n’irait-il pas lui aussi ?

Au loin brille la maison des hommes. Le papillon entre par la fenêtre sans vitre de la ferme. Il y avait là trois enfants.
Le plus petit dit : « regardez le joli papillon ! »
Le moyen dit : « je veux le capturer pour le montrer à mes amis à l'école. »
Le plus grand dit : « j’ai lu un livre selon lequel on attrape les oiseaux en leur mettant du sel sur la queue. »
Le moyen dit : « mais nous n’avons pas de sel chez nous, nous sommes trop loin de la mer ! »
Alors le petit déclare : « tant pis, si nous n’avons pas de sel, du poivre devrait marcher tout aussi bien ! »

Et il ouvre la poivrière et en jette le contenu en direction du papillon.
Le poivre s’élève. Il forme un nuage épais qui entoure le papillon. Les petits grains gris recouvrent ses ailes multicolores, son corps et ses antennes. Sa parure devient terne. Éperdu, il précipite ses battements d'ailes, réussit à sortir par où il était entré et retourne dans la forêt.

Le lendemain, il n’osa plus jamais sortir durant la journée : il avait trop honte. Ni le jour d'après. Ni encore celui d'après. Il sortait quand il faisait noir. Il était devenu un papillon de nuit...

Et depuis, tous les soirs, il vole vers la maison des hommes. Il tourne obstinément autour de leur lampe pour attirer leur attention. Mais on ne s’occupe plus de lui maintenant.

Il croit qu’un jour, les enfants lui jetteront une autre poudre – une poudre magique qui lui redonnera toutes ses couleurs…

samedi 12 mars 2016

Le pick-up, conte farang en deux parties (suite et fin)

Ce post est la suite et la fin de l'histoire commencée ici.



Une sorte de petite cale en pierres et ciment permet d'approcher les bateaux de la mer. Le farang s'y croit déjà. Il fait une marche arrière et imagine la remorque bringuebalant sur les cailloux.

Ça glisse un peu à cause des algues vertes. Oups ! Un craquement. Il est allé un peu trop loin, ce qui n'est pas gênant. Il enclenche la première. Mais il y a comme une marche, derrière la fin de la cale. Il descend pour voir. En fait, il y avait un genre de bricolage en bois qui permettait aux barques de passer la première marche - voilà que sous le poids de la voiture, et sans doute de l'âge aussi, les planches se sont effondrées.

Le farang essaye d'empiler les bouts de bois pour faciliter le passage. Mais la voiture ne monte pas. Au contraire, elle a tendance à descendre, car le tas de bois se disloque. Soudain, on entend un bruit sinistre de fer qui racle - le dessous de la voiture. Zut. Le premier jour. C'est rageant. Si seulement il avait acheté un quatre-quatre, il serait sorti d'un bon coup d'accélérateur. Mais non, impossible, il n'aurait pas pu acheter la barque.

Le ciel était de plus en plus gris et menaçant. Il y a eu des coups de tonnerre et des éclairs énormes. Tout d'un coup, la pluie se met à tomber. Des seaux d'eau en continuité. Le farang se met à l'abri dans l'habitacle. C'est le moment de réfléchir calmement.

S'il continue à forcer, il va abîmer le dessous de caisse, ou le pont. Mieux vaut reculer un peu, trouver quelque chose pour bien caler les roues, et repartir. Au loin, la mer qu'on distingue mal du fait de la pluie battante, a commencé à monter. Ou peut-être qu'elle montait déjà quand il est arrivé. Mais ce n'est pas un problème.

Profitant d'une accalmie, le farang sort du pick-up et cherche des choses un peu solides à se mettre sous la roue. Mais il n'y a que misère sur la laisse de mer, morceaux de bois pourris, petits bouts de béton. Et bien sûr, aucune habitation, personne à qui demander de l'aide. Ça ne serait pourtant pas compliqué : une barre entre les deux voitures, bien caler le dessous de caisse - en tirant ensemble, tout devrait monter.

Mais ça tombe bien, voici deux silhouettes qui s'approchent. Elles deviennent très visibles. Hummm, non… Pas bien grandes, toutes minces, l'une plus grande que l'autre. C'est une femme avec sa fille, très probablement. Le farang s'approche. Il connaît quelques mots de thaï. Mais son vocabulaire ne contient aucun mot qui pourrait concerner la situation. La femme parle elle aussi. Il montre du doigt la roue arrière. Sans doute pas assez précisément, car la femme, sans s'arrêter, se borne à répéter, "souey, souey", il est beau, parlant sans doute du pick-up neuf dont la peinture métallisée scintille sous la pluie.

Le farang a beau parler, faire des gestes, elles s'éloignent. Peut-être même qu'elles commencent à avoir peur.

Tandis que la pluie reprend, encore plus forte, il fait le tour de la voiture. Et voilà la solution ! Pourquoi ne pas reculer carrément, descendre sur la boue qui semble assez dure, et remonter un peu plus loin, à cinquante mètres, par un passage qui semble avoir été cimenté et qui permet de gagner un genre de chemin côtier. Il se réinstalle derrière le volant. Voilà un plan qui se présente bien. Les roues arrières ont bien creusé une ornière dans le sable boueux, mais avec le poids conjugué à la marche arrière, le pick-up descend sans rien racler. Le voici le nez devant la cale. Il suffit de reculer maintenant. Le sol semble ferme. Tout va bien se passer. Heureusement, car la mer a rempli une cuvette de boue, et tout d'un coup, elle apparaît plus proche.

Le pick-up longe maintenant la plage. Il faut descendre encore un peu, pour arriver sur du dur - sinon, on patine sur le sable. Une mare. Faut-il la contourner ou la traverser ? Peut-être éviter trop de projections d'eau salée sur la caisse… surtout là où ça a raclé. Il faut donc contourner. Le farang ralentit, faute regrettable. En descendant, il est arrivé à une zone de boue molle, et le pick-up s'immobilise, une roue enfoncée d'un tiers dans l'eau et la boue. Le farang commence un peu à paniquer. Tantôt il accélère très doucement, ce qui ne sert à rien, tantôt il appuie fort, la roue patine, le moteur fait un bruit de souffrance - et cette souffrance, le farang la ressent dans tout son corps.

Alors il saute hors de l'habitacle. Il a de la boue jusqu'aux mollets - ça va faire plein de saletés sur le tapis de sol. Mais maintenant, ce n'est pas le plus important. Il retourne à la cale, emporte les bouts de bois qui se sont effondrés quand il est descendu, il les entasse devant les roues, il remonte, redémarre. Doucement d'abord, puis plus fort. Le pick-up s'ébranle, il monte un peu, et reste immobile, la roue tournant follement contre le bois qui fume. Mais dès qu'il diminue les gaz, il retombe dans son ornière. Une fois, deux fois, trois fois.

Il retourne à la cale, pour rechercher encore des planches, des bouts de n'importe quoi. Et là vient enfin la solution. Des phares percent la pluie. C'est un autre pick-up, blanc crème, assez vieux. Il s'approche et le reconnaît. C'est celui de l'entrepreneur, celui qui a fait la maison. Il lui fait signe. L'autre baisse la fenêtre, l'air aimable. Il lui montre le pick-up gris. L'entrepreneur a l'air de le comprendre. Il a un bon sourire. Mais il ne bouge pas. Alors le farang tire son portefeuille, et sort une bonne poignée de mille. Il les lui tend en lui montrant son pick-up, qui sera rejoint par la mer dans un quart d'heure, guère plus, s'il reste sur place.

L'entrepreneur semble surpris. Il prend les billets, il les compte soigneusement. Il en rend quelques uns au farang qui pense "voilà un homme bien honnête, que j'ai eu tort de sous-estimer. Six mille bahts pour un dépannage, c'est nettement moins que ce que j'aurais payé à Nice… En fait, tout était de la faute de Lam. Pourquoi parle-t-elle aussi mal anglais…?"

Toujours un grand sourire. L'entrepreneur fait des signes avec les mains. Le farang comprend qu'il s'agit de le tracter après avoir fait le tour pour descendre sur l'allée pavée qui se trouve plus loin. Le quatre-quatre fait une marche arrière, et manœuvre pour prendre le chemin. Du moins c'est ce que pense le farang qui court rejoindre son pick-up. En fait, quand il reprend place dans l'habitacle, les phares ont disparu.
- Pas la peine de s'inquiéter. Les thaïs sont très honnêtes. Il a besoin d'une corde, d'un treuil, de je ne sais quoi, peut-être d'un autre thaï pour aider à la manœuvre. Il sera de retour dans cinq minutes.

Dix minutes passent. La mer commence à lécher les roues. "Il faut qu'il se dépêche, il va finir par se mettre lui-même en difficulté…"

Mais l'entrepreneur ne revient pas. Le farang est totalement paniqué. Il donne des grands coups d'accélérateur, ça fait de grandes giclées d'eau derrière le véhicule qui se plante petit à petit. L'eau monte à l'essieu. Et les vagues arrivent, qui éclaboussent tout. Il coupe le moteur. Comme un capitaine qui ne veut pas quitter son navire, il ne bouge pas. Les vagues frappent de plus en plus fort les portières. Il reste sur le beau siège de cuir, où l'eau de mer commence à faire une grande tache sombre.

Le bruit s'est répandu dans le village voisin. En haut de la plage, malgré la pluie, ils sont là, hommes, femmes, enfants qui regardent le farang, le nez sur son volant, qui pleure.

A l'écart de la foule, il y a un autre farang. Il prend des photos avec un gros appareil : c'est si beau et si insolite à la fois, ce pick-up perdu dans la mer, avec ce ciel plombé, et au loin, ces pains de sucre couverts de végétation tropicale qui montent vers le ciel. 

vendredi 11 mars 2016

Le pick-up, conte farang en deux parties (I)





(toute ressemblance avec des personnes vivantes ou décédées ne pourrait être que le fruit du hasard, les personnages étant sans exception de pures fictions)

Il y a une vie avant la vie de farang. Lui, c'est un ancien flic. Il habitait sur la Côte d'Azur. Quand il travaillait, il avait un logement de fonction. Logé, souvent nourri à la cantine, sa paye comme argent de poche, il a bien vécu. Mais une fois en retraite, il s'est trouvé obligé de trouver un endroit pour habiter, et ça n'a pas été simple : du côté de Nice ou de Cannes, l'immobilier est hors de portée avec une retraite de trois mille euros, et les réserves du farang étaient insuffisante. Dans cette région il faut aller au moins trente kilomètres dans les terres pour trouver des prix raisonnables. Alors il a pris un petit appartement à mi-chemin, et s'y est installé avec son épouse.

Le farang a été marié pendant vingt ans. La vie avec sa femme n'était pas insupportable. Mais que restait-il entre eux ? Avec les enfants partis, plus grand-chose. La passion était envolée depuis bien longtemps, il ne restait que les habitudes, et plus vraiment de tendresse.

Un jour, l'homme est parti en vacances en Thaïlande. Sans sa femme qui n'aime pas l'avion. Et c'est là qu'il est devenu le farang.

C'était un bête circuit touristique qui montre un tas de vieilles briques à Chiang Mai, des monuments officiels à Bangkok, des plages bondées à Phuket. Là, pendant ses moments de liberté, il a goûté aux massages. D'abord massage du pied, du corps… puis massage complet. Après avoir joui entre les mains de la professionnelle, le farang se sent si détendu, presque jeune il est si content qu'il tippe lourdement la masseuse, au-delà de toute raison. C'est tout lui, il est du genre enthousiaste, et plutôt généreux.

Dès le pied posé sur tarmac de Nice, le farang ne pense plus qu'à une chose. Retourner. Il a les moyens de le faire. Les voyages suivants ont été aussi enchanteurs que le premier. Le farang est très sociable, et c'est un bon mec. Il s'est vite fait des relations dans le milieu des expats. On lui a fait connaître Lam, qui approchait la quarantaine, et qui avait des heures de vol : dans sa jeunesse, elle avait travaillé en bar, elle avait un dauphin tatoué sur l'épaule et parlait à peu près l'anglais - pas très bon signe. Mais Lam était une très bonne fille, qui pensait juste à se caser et s'assurer une vieillesse décente tout en se donnant un statut. Le farang portait encore beau, quand il avait ses Ray-Ban d'aviateur, malgré sa bedaine de vingt kilos. Lam l'a aimé, autant qu'une thaïe peut aimer un farang : sans le comprendre.

De retour en France, il a dit à sa femme qu'il en avait assez de cette vie terne, à bas prix, qu'il menait dans l'arrière-pays. Sa femme a tout de suite compris. Entre ces gens raisonnables, les discussions n'ont pas duré longtemps. Le farang a laissé à sa femme l'appartement et tout ce qu'il possédait, voiture et objets personnels, pour prix du divorce. Il est arrivé à Bangkok avec une valise de vingt-cinq kilos et il a filé vers la côte.

Son installation a pris deux années complètes. Le temps de chercher un terrain, de se faire construire une maison, de comprendre comment fonctionnait le pays. Il était bien occupé. Lam l'aidait, évitait qu'il ne se fasse rouler dans de trop grandes largeurs. Le farang était généreux avec elle, et aussi avec sa famille. Il se sentait intégré, accepté. Il disait qu'il adorait les thaïs.

Le farang n'était pas tombé de la dernière pluie, mais il n'avait jamais fait construire, ayant toujours vécu de caserne en logement de fonction. C'est Lam qui avait trouvé l'entrepreneur, un gros type costaud et souriant, avec d'énormes mollets, qui n'inspirait pas une confiance immodérée. Vers la fin de la construction de la maison, il y a eu un incident. L'entrepreneur, payé au forfait, était censé faire l'électricité du logement. Comme le farang exigeait d'avoir un va et vient entre l'entrée de sa chambre et l'interrupteur au dessus de son lit, l'entrepreneur s'est récusé, disant qu'on lui demandait de faire des choses bien trop compliquées.
- Pas de problème, a dit Lam, c'est mon frère qui le fera.
Il y avait aussi un petit auvent à faire, qui ne faisait pas partie du devis initial.
- Puisqu'il ne fait pas l'électricité, il peut faire l'auvent, a dit Lam. C'était logique. Mais non explicite. Résultat, quand il a fallu passer à la caisse, il y avait une augmentation. Le farang a regimbé. Il était d'autant plus enclin à refuser qu'il avait lu sur le site, dans un forum qui traitait de construction, qu'il fallait savoir s'imposer auprès des thaïs.

Après une assez longue négociation, la poire s'est trouvée coupée en deux, un peu asymétrique - mais peu importe. L'entrepreneur n'était pas très content, Le farang non plus.

La maison était presque terminée quand le farang a décidé d'acheter une voiture. Il a choisi un beau pick-up gris anthracite, comme on en voit plein en Thaïlande : ce sont des marques japonaises, mais les usines sont dans le pays. Après la construction de la maison, le restant des économies est passé dans le pick-up. Il faut dire qu'il avait demandé des options, des sièges en cuir, de l'électronique dont il n'avait pas l'usage - trop compliqué pour lui. "Ça se revendra mieux" expliquait-il. S'il avait su !

Il rêvait aussi de s'acheter une barque avec un petit moteur pour aller à la pêche. Il se voyait déjà mettre à l'eau tranquillement dans une petite baie qu'il avait repérée, partir en mer, pénard - peut-être avec un autre farang. La barque n'aurait pas dépassé deux cents ou trois cents kilos tout compris. Mais il a voulu quatre roues motrices pour le pick-up - ce qui faisait monter en gamme. Quand on lui a dit le prix, il a fait un rapide calcul : c'était la barque à moteur, ou les quatre roues motrices. Le fabriquant de bateau lui a dit qu'il n'était pas nécessaire d'avoir le four wheel drive pour tracter un aussi petit bateau, et le farang a renoncé. Il aurait pu faire sauter le cuir, mais la part de rêve, quand on a été flic toute sa vie et qu'on a escorté des huiles, c'est non négociable.

Quinze jours après la commande, le pick-up est arrivé, sentant bon le neuf, le cuir, étincelant. Le farang était content comme un enfant. Lam était là aussi, dans le magasin. On a fait les papiers, la comptable a recompté trois fois les six cent soixante douze billets. Puis on est sorti, les vendeurs ont fait une sorte de haie devant le pick-up et ils ont chanté, le patron a pris une photo, tout le monde semblait content, c'était surprenant, mais sympathique. Le couple est rentré à la maison bien avant midi. Le pick-up a été garé sous l'auvent litigieux. Le farang est retourné le voir plusieurs fois. Mais non, ce n'était pas assez que de le regarder...
- Je vais faire un tour avec la voiture… a-t-il dit à Lam, occupée à peler des aubergines dans la cuisine.

Il sort le beau pick-up et monte sur la route. Pourquoi ne pas faire un tour sur la côte. La mousson est en train de s'installer, il y a de belles lumières grises. La route est un peu boueuse. Il passe un village, un autre, évite les chiens et les poules. C'est un vrai plaisir de conduire cet engin. Juste qu'il met sans arrêt les essuie-glaces en route au lieu du clignotant - les commandes sont inversées car on roule à gauche en Thaïlande.

Voilà le bout de la route. Sur la plage, il y a quelques embarcations de pêche. En haut, des palmiers qui s'inclinent vers le large. Un peu plus loin, une île tapissée de végétation - un pain de sucre entouré d'un collier d'écume. La mer baisse, on voit la boue avec des piquets sur quelques centaines de mètres. C'est tranquille, c'est beau - c'est comme un rêve de publicité de voyage…

Pauvre farang venu chercher le bonheur dans ce pays trop lointain !...