dimanche 27 novembre 2016

Si tu as de l'argent et que tu veux rêver…




Dans l'île où je suis, comme sans doute dans beaucoup d'endroits en Thaïlande, les gens ont construit des maisons sur des terrains qu'ils ne possèdent pas vraiment. Ils en ont la jouissance temporaire (mais sans date limite), octroyée par l'État, à travers un document nommé por bo tor. Il est en principe interdit d'y faire construire.

Il est très rare de trouver dans les îles un terrain de taille raisonnable doté d'un chanote, le document qui permet officiellement de construire après avoir fait les déclarations obligatoires. Ici, il existe bien des terrains à vendre, mais ils sont généralement très grands et hors de portée de la bourse d'un acheteur jouissant d'une fortune honorable mais limitée. Impossible d'en obtenir la vente par lots.

C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de lancer un projet d'achat commun. Mais ce n'est pas seulement l'investissement, l'achat d'un terrain qui me motive. Je voudrais aussi contribuer à empêcher un développement sauvage de cette île où j'habite maintenant, et qui est restée très sauvage - sans doute du fait de son éloignement de Bangkok, et de ce qu'une grande partie des terres est domaine militaire. Je sens pourtant que le tourisme avance ici à marches forcées, et qu'il va détruire l'île comme il a récemment fortement abîmé Ko Chang en dix ans, Ko Samui en trente.

Il se trouve que je connais la propriétaire d'un terrain. Elle m'a assuré qu'il était à vendre - mais tu connais les thaïs qui vendent, ils peuvent se dédire jusqu'au dernier moment. Le terrain est immense, de l'ordre de 100 rai, c'est-à-dire 160 000 mètres carrés. Il remonte vers l'arrière sur une colline abrupte. L'ensemble est dans un endroit très isolé. Pour l'instant, il n'y a même pas de chemin menant à cet endroit, on ne peut plus y aller qu'en bateau - mais la route n'est pas très loin.
C'est une baie splendide entourée de montagnette. Un côté est habité - un petit regroupement de maisons. Il n'y a aucune autre construction que ce hameau. Le terrain à vendre est de l'autre côté. L'orientation générale est ouest (ou ouest-sud-ouest).
Bref, c'est un endroit de rêve.

Je sais le prix de ce terrain, qui est au bord de la mer, et court le long de plusieurs petites anses. Pour l'île, ce prix, s'il se confirme, est plus que raisonnable. Je cherche une quarantaine de personnes, chacune investissant un minimum de 100 000 euros pour acheter l'ensemble ce qui lui fera acquérir approximativement 4000 m2. Bien sûr, surface, prix, tout cela doit être affiné et certifié.

J'investirai personnellement 150 000 euros. Je ne cherche à faire aucun bénéfice, je n'aurai évidemment aucune rémunération - je veux simplement réaliser un rêve que beaucoup d'entre nous avons, et un investissement pour ma fille qui a aussi la nationalité thaïe.

Aussitôt acheté, le terrain sera divisé administrativement pour que chacun possède en propre, avec chanote, un bien qui pourra être légué, et en aucun car repris par l'État, et où la construction ne pourra jamais faire l'objet d'une obligation de démolition. La division se fera au prorata des investissements, après expertise déterminant les valeurs comparées des différentes parties du bien.

Tu sais qu'un étranger ne peut acheter de la terre en Thaïlande. Pour tout ce qui est de la législation immobilière, je te renvoie à l'excellent livre de Me. René Philippe, conseil juridique à Bangkok, How to Safely Buy Real Estate in Thailand. Il te faudra donc t'entourer de précautions, et faire comme beaucoup font, acheter au nom de ton épouse thaïe et faire un bail de 30 ans.

Je te laisse par ailleurs réfléchir sur les avantages que cette opération peut t'apporter à divers titres - nous pourrons en reparler.

Une chose qui doit être très claire dès le départ : l'association ne se borne pas à acheter du terrain et à le partager. Il y aura un engagement juridique encadré contractuellement relatif à l'usage qui sera fait de ce terrain. En effet, il ne sera pas exemple pas possible de rediviser le terrain pour le revendre et multiplier à l'infini le nombre de bâtiments. Il ne sera pas possible de construire n'importe quoi - je pense par exemple faire appel à une architecte spécialisée dans le paysage et l'urbanisation pour l'organisation des constructions. Les bâtiments seront cachés par la végétation autant que possible. Plus accessoirement, les scooters de mer ne seront pas autorisés dans un certain périmètre. Il y aura quelques autres règles permettant à tous de jouir de l'endroit "en bon père de famille", comme on dit dans les règlements intérieurs.

Ce n'est donc pas un simple engagement moral qui sera demandé : il y aura des règles d'inter-propriété ou de co-propriété (je ne suis pas compétent pour dire maintenant quel sera le statut de l'ensemble) élaboré par un juriste. Ce qui suppose de la part de tous les contractants une volonté de préserver une terre, une nature, une esthétique commune. Après, chacun fera ce qu'il veut - la convialité est facultative, mais ce pourrait être un bonus.

Tu me diras : qui es-tu pour nous engager à risquer nos biens ? J'ai passé une grande partie de ma vie au bord de la mer, et parfois dans des îles. J'ai vu le développement touristique faire perdre son charme et son cachet à des endroits magnifiques, notamment dans le village côtier que je connais depuis la première année de ma vie. Et c'est ce que je voudrais éviter. J'ai aussi une idée de la valeur des terrains et je sais ce qui est un bon investissement - en France, j'ai acheté cinq biens dans ma vie sans jamais me tromper, deux d'entre eux ayant été de véritables aubaines.

Par ailleurs, même si je n'ai pas eu de formation juridique universitaire, j'ai longtemps travaillé pour les tribunaux (j'étais expert à la Cour d'Appel de Paris) et j'ai une idée précise de ce qu'est le Droit. J'ai un diplôme de troisième cycle, et les chiffres ne me font pas peur, car j'ai exercé la profession de statisticien pendant une vingtaine d'années. Mais je ne suis pas financier.

Au total, on pourrait peut-être dire que je ne suis pas un aventurier... (cf. le post scriptum)

Pour le reste, tout est à faire. J'ai bien conscience de la difficulté que représente un tel projet. Je n'ai pas une idée précise sur la manière dont il faudrait diffuser cette information afin de trouver les 40 suscripteurs. Néanmoins, j'ai bon espoir que d'autres auront des idées, et que j'aurai du renfort. Peut-être me démontrera-t-on l'inanité de ce projet, et j'en remercierai ses détracteurs qui m'auront évité de perdre du temps.

Mais qui ne tente rien n'a rien. Je lance cette bouteille à la mer en espérant que vous serez assez nombreux pour vouloir réaliser ce rêve, ce qui n'est pas du tout sûr. Je suis prêt à modifier certaines conditions. Je suis même prêt à l'éventualité d'un flop car j'ai un plan B. Et j'ai du temps pour faire mûrir le projet. S'il faisait long feu, au moins, j'aurai rêvé - et peut-être d'autres avec moi - ce qui n'est pas si mal.

Si tu es intéressé, tu peux m'écrire (mon adresse mail est en haut à droite). Mais l'une des premières choses que je te demanderai, c'est de prouver ta solvabilité. C'est une affaire sérieuse, et je pense que nous rencontrerons assez de difficultés à l'extérieur pour ne pas vouloir nous en créer à l'intérieur, au sein même de notre entreprise. Je te remercie de ta compréhension.

PS : pour ton instruction et surtout ton divertissement, tu pourras lire le dernier roman écrit par Alphonse Daudet sur Tartarin de Tarascon, "Port Tarascon", qu'on peut trouver facilement sur le net car il est tombé dans le domaine public ; toute ressemblance avec le duc de Mons ne pourraît être qu'une pure coïncidence…

dimanche 20 novembre 2016

Sur la route de Ko Kut


Traversée calme sous un ciel plombé


Ça y est, nous partons nous installer à Ko Kut. La mer me manque trop.

Le plateau du Mitsubishi est loin d'être rempli à ras-bords. C'est fou comme on peut se passer de choses. Ma vie se résume à la moitié d'un chargement de pick-up.

La route de Korat à Trat - le port d'où partent les bateaux pour Ko Kut - évite Bangkok. Elle traverse la montagne et les routes y sont en réfection depuis au moins deux ans. A part ce passage pénible, rien de spécial : même succession de petites villes hideuses, conduite irritante des thaïs qui te font des queues de poissons et t'obligent sans arrêt à freiner.

Et puis les barrages policiers, six en quatre-cent-cinquante kilomètres. Particulièrement pénibles pour nous car nous fonçons droit vers le Cambodge avec une moto sur le plateau : les flics craignent qu'elle ne soit volée et que nous allions la vendre - ils exigent ses papiers à chaque stop. Au retour, nous nous étions fait arrêter moins souvent. Mais un policier avait fait des phrases pour dire qu'il voulait prendre le café avec moi - une manière inédite de demander un bakchich. J'avais fait semblant de ne pas comprendre et il nous a laissé passer.

Y a-t-il des différences entre le culte bouddhiste chinois et le culte bouddhiste thaï ?
Un peu avant Trat, un très beau temple chinois sur fond de montagne. Si beau qu'on dirait un faux. On y entend une musique de fond très agréable et relaxante - très chinoise aussi, avec des gongs et des percussions métalliques.

Dragons et décos : on croirait qu'ils sont faits en perles en plastique - c'est très rigolo et... réussi !

A Trat, nous avons fait une escale de deux nuits et un jour pour signer le bail, ouvrir un compte en banque, faire quelques vagues courses, attendre en vain chez le prestataire télécom qui souffle le chaud et le froid. Au final, on ne sait pas quand on pourrait avoir internet - dans un mois dans un an.

Le départ est prévu pour le lendemain matin mais il faut aller à l'embarcadère la veille au soir charger la voiture au moment de la marée basse, sinon le bateau est trop haut sur l'eau. Le chargement se fait par le côté - pas par l'arrière comme sur les ferries - ça fait drôle, on se dit qu'au moindre coup de gite, la voiture va rouler et faire un gros plouf.

"Un yacht fin et racé, à l’étrave effilée de goélette mais aux superstructures puissantes d’un steamer. Un transatlantique en réduction capable d’affronter toutes les tempêtes, de vaincre toutes les embûches de la mer." No joke ?
Le bac fait environ vingt-cinq mètres de long, avec une cabine de pilotage à l'avant. Il est construit en bois exotique. Je donne une trentaine d'années à cette périssoire - moitié cargo, moitié bateau d'immigrants pauvres : un peu pourri, pas terminé, il fait peur… et confère à la traversée un vrai parfum d'aventure. Sur le pont, la pompe de cale fuit et inonde le lattis. Un gros jet sort sur le côté, ce qui donne une idée de l'état du calfatage de la coque. Si la pompe tombe en panne, le bateau se remplit en combien de temps ?

Au fond, le salon des premières. Tables de bridge virtuelles et bar imaginaire.
Sur le pont, entassés, des légumes - pas grosses : passagers de dernière classe
.

Nous sommes les seuls passagers avec une famille de l'île. On nous prête des nattes pour nous allonger sur une superstructure abritée à l'arrière, à même le plancher. C'est le seul confort. Pour pisser, j'ai la rambarde au gaillard arrière. Les dames sont moins favorisées.

La famille qui a embarqué avec nous : paisible.

La traversée est calme, et l'ennui me gagne. La gamine des autres passagers dévisage le farang avec une curiosité réprobatrice. Elle l'aura voulu : photo !



Mauvaise surprise à l'arrivée : nous devons nous amarrer à couple avec un autre bateau rempli à ras-bords en train de décharger. Trois bonnes heures d'attente avant qu'il ne décanille.

J'en profite pour ressortir le Nikon. L'embarcadère est sur un très long pier en bois bordé de maisons de pêcheurs sur pilotis d'un côté, de bateaux de pêche de l'autre. J'y fais une rencontre étrange.

On sait que la plupart des moines ne le sont que temporairement. Ici, peut-être un pêcheur qui veut s'acquérir des mérites.

On me prévient que la voiture est enfin sortie. Je mets le contact. Ko Kut à nous deux !

La maison que nous avons retenue a bon air. Mais elle n'est que vaguement meublée. C'est-à-dire qu'il y a des lits avec des matelas épais comme des blinis ; une table et des chaises sur la terrasse - le snack des moustiques ; une cuisine avec un réfrigérateur, un lavabo et un évier - un peu surprenant. Ils ont été assez malins pour regrouper dans la chambre à coucher et les écrans anti-moustique qui permettent d'ouvrir les fenêtres et l'air conditionné qui exige qu'on les ferme. Ailleurs on a le choix du supplice : étouffer ou se faire piquer.

Nous avons réussi à faire installer quelques lattes de bois pour interdire le passage d'une porte ouverte sur un vide de cinq mètres avec en bas, le lit caillouteux d'une petite rivière - certes idéal pour se débarrasser d'un invité désagréable, mais un peu dangereux pour le bébé.

Ça me fait penser, je t'ai dit que tu étais cordialement invité ?



lundi 14 novembre 2016

Le thaï moyen plus malin que le français moyen ?

Qui peut répondre ?


Tous les français… moyens disent le contraire !

Comme ils sont nombreux à le dire, je me sens obligé de traiter du sujet. Même s'il me met mal à l'aise. C'est un sujet sensible qui peut dégénérer nauséabond. Et puis je suis l'hôte des thaïs, assez bien accueilli, je me sens donc des obligations, outre que j'ai du respect pour eux.

J'ai le souvenir précis de ce que disait un français féru de mécanique : "Tu sais, quand ils poussent sur le bouton du démarreur, ils ne se demandent pas ce qu'il y a derrière. Ils ne cherchent pas. Ils n'ont aucune curiosité. Pour eux, les choses se font par l'opération du saint-esprit."

J'entends dire aussi que les thaïs n'ont pas de logique, qu'ils n'abordent pas les problèmes avec méthode et rationalité. Et de manière très crue, qu'"ils sont cons".

A l'inverse, d'autres expliquent (et excusent) ces différences en parlant de culture orientale, bouddhiste, etc. : "ils sont tout aussi intelligents, mais ils ne fonctionnent pas pareil, on ne peut pas comprendre".

C'est vrai qu'en Thaïlande, il n'est pas rare que la culture fasse des croche-pied à l'intelligence. Il y a parfois de quoi être désarçonné. Garder la face est si important qu'une personne à qui on demande son chemin peut vous envoyer au diable-vauvert plutôt que d'avouer son ignorance. Ça paraît complètement fou (stupide, paradoxal, illogique),  mais c'est comme ça.

Cela dit, la plupart des farangs qui cherchent à tout prix à excuser les différences veulent simplement être gentils et polis. Il est tout à fait possible qu'on puisse mesurer des différences de performances - toutes les explications du monde n'y feront rien.

D'autres comportements nous incitent à sous-estimer les capacités des thaïs, par exemple les rapports entre particuliers et grosses compagnies. Le client est considéré comme un demandeur, auquel auquel les prestataires de service accordent avec munificence des bienfaits... qu'il doit payer. La raison du plus riche est toujours la meilleure. Les règles sont rigides, dissuasive, le client a le droit de se taire, il n'est pas forcément bien traité. Le farang en conclura volontiers qu""ils sont bêtes parce qu'ils ne comprennent même pas quel est leur propre intérêt".

Il se trouve qu'on a trouvé des différences de fonctionnement dans des mécanismes cérébraux élémentaires entre occidentaux et asiatiques. Ces différences ont été objectivées par des expériences correctement menées. C'était du genre : gérer les problèmes en faisant appel à la collectivité ou à l'individu, la gestion individuelle étant le fait de l'occidental, la gestion collective de l'oriental. Malheureusement, je n'en ai plus le souvenir précis, ni la référence.

Il y a des différences dans les mécanismes cérébraux. Il pourrait aussi y avoir des différences entre les performances des uns et des autres. Qu'en est-il réellement ?

La première chose à rappeler, c'est qu'on parle bien là du thaï moyen. Il y en a forcément de très bien formés, très compétents, très curieux, très intelligents. Ils ne sont pas l'objet de ce post.

Ensuite, il y a un biais dans la manière dont on aborde le problème. En tant qu'étrangers, nous n'avons pas accès à des niveaux socio-culturels équivalents à ceux auxquels nous avions accès en France. Nous sommes par définition des déclassés dans la société thaïe. Nous n'intéressons personne - je parle d'intérêt personnel, pas d'intérêt financier. A part dans certains cas, pour des questions de prestige, on n'invite pas les farangs dans les cercles éclairés. Nous fréquentons donc souvent des classes que nous ne fréquenterions pas forcément autrement, classes souvent défavorisées sur le plan culturel et intellectuel.

En France, il n'y a plus que 4% de paysans - encore sont-ils en général aisés - rien à voir avec le fermier local qui cultive dix raïs de riz. Nos "ex" françaises étaient rarement des filles de pauvres paysans. Les femmes de l'Isan qui sont maintenant nos compagnes sont souvent des filles d'agriculteurs : décalage. Là encore, notre appréhension des caractéristiques de la population est biaisée.


Séchage du riz dans l'Isan. C'est con, dans un quart d'heure, il va pleuvoir, il faudra tout ramasser. Dommage, on n'a pas regardé la météo...

Revenons à notre mécano. Les thaïs ne sont pas les seuls à ignorer les arcanes de la bobine électrique qu'on trouve à l'intérieur du démarreur d'une moto. Je ne voudrais pas dire, mais… beaucoup de françaises n'y trouvent pas un intérêt majeur… et sont plus malignes que ce mécano.

D'ailleurs, le manque de curiosité qu'il reproche aux thaïs, on pourrait tout aussi bien lui reprocher : il ne connaît pas les lois de Faraday, il ne s'intéresse pas aux champs électro-magnétiques, il n'a aucune idée du fonctionnement quantique des électrons. Etc. Mais on ne peut par jeter simplement sa remarque par-dessus bord car c'est un hôte régulier de la Thaïlande depuis une bonne douzaine d'années, et il est très observateur.

Alors ?

J'ai peut-être une explication.

Quand j'ai lu le livre de Steven Pinker, The Blank Slate (livre remarquable dont je parle ici), j'ai été très impressionné par les pages qu'il consacre à l'évolution du QI dans la population occidentale. On observe en effet une augmentation de 20 points du QI moyen en un siècle. Toutes les épreuves sont concernées par cette augmentation, y compris celles qui sont saturées en "facteur g" : il ne s'agit donc pas d'une augmentation du QI due à une élévation du niveau des acquisitions, il s'agit bien d'une augmentation des performances intellectuelles.

En conséquence, on a dû décaler la notation, pour que 100 corresponde toujours à la moyenne (je passe sur les discussions sur la question des écarts-types). Un type qui performait à 120 au début du siècle dernier serait placé au ras de la moyenne aujourd'hui.

Or je n'ai pas entendu que du bien des écoles thaïes. Et de manière générale, il me semble que le mode de vie thaï n'invite pas à l'intellectualité, à la contestation et à la spéculation. La structure et le niveau culturel de la population sont semblables à ce qu'elles étaient il y a un siècle en occident : campagnes françaises reculées d'autrefois, Middle West... Je ne serais donc pas étonné qu'il y ait une réelle différence de niveau intellectuel moyen mesurable entre thaïs et farangs du fait des différences entre leurs organisations sociales respectives, l'une pouvant être considérée comme archaïque par rapport à l'autre.

Mais il ne s'agit que d'une hypothèse. Pour la vérifier, il faudrait faire passer des épreuves de QI sur des échantillons de population comparables, après adaptation des outils psychométriques à la culture thaïe. Un gros travail.

En tout cas, selon cette hypothèse, la différence que certains constatent empiriquement n'aurait rien de génétique. L'intelligence est aussi un produit culturel.


L'avenir de la Thaïlande passe par la promotion de la qualité de son système scolaire. A l'école thaïe, j'ai retrouvé l'addition, la soustraction... mais qui a volé l'abstraction ?



mardi 8 novembre 2016

Faire le bien en se faisant du bien




Un temple au sud de Korat


Depuis trois jours, des voisins font un vacarme incroyable de cinq heures du matin à neuf ou dix heures du soir. Alternance de musique traditionnelle, de psalmodies bouddhistes, de discours, de musique plus récente, languissante et sucrée. Quand je dis "des voisins", ils sont bien à trois cent mètres, mais le tir de leurs hauts parleurs est si puissant que je les croyais beaucoup moins loin.

Pourquoi un tel déploiement de décibels ?

Dans chaque village, les habitants aisés organisent une fête une fois l'an, à tour de rôle. L'un d'entre eux loue des grandes tables, des chaises, des couverts et des assiettes, une sono ultra-puissante. Il fait venir des aides de cuisine, des musiciens et des chanteurs. Il orne sa maison avec des draperies et guirlandes de couleurs vives. Il envoie un carton d'invitation avec enveloppe nominative et programme détaillé à toutes les maisons du village. Et il achète de quoi nourrir tout le monde. Les mauvais esprits (dont je fais partie) diront qu'il y a de l'étalage social dans l'air.

Pour être la maison qui organise une année donnée, il faut s'inscrire longtemps à l'avance. La demande se fait au temple, car c'est avant tout une fête religieuse : le "tham boun". Littéralement "tham boun" veut dire faire le bien, gagner du mérite, devenir plus vertueux - impossible de traduire correctement.

Il m'est difficile de comprendre qu'on puisse faire des célébrations religieuses sans s'adresser à un dieu. J'ai été dressé à une religion-dialogue, un rapport s'il-te-plait/merci : on demande à Dieu, on le remercie en le vénérant - on remercie même si on a rien demandé : on remercie d'avoir été créé. Même dans les cultes polythéistes les plus anciens, les hommes s'adressaient aux dieux, ceux de la forêt, d'une maison, d'une montagne. C'est dire si le pli est pris depuis longtemps.

Les bouddhistes, eux, ne parlent à personne. Ils n'ont pas de relation avec une divinité. Selon leur dogme, l'univers est régi par des lois spirituelles. Pas une loi divine. Non : des principes auxquels il faut obéir - auxquels on a intérêt à obéir. Qui a conçu ces principes : on ne sait pas. Ils font partie de l'essence du monde. Mais un homme les a organisés par sa perspicacité et sa richesse intérieure : Bouddha. Et il les a livrés à ses contemporains.

Dans les préceptes naturels, il est dit qu'on doit être bon. Pourquoi ? Ce n'est pas utile de le savoir. Être bon, c'est comme la loi de la gravité, il faut la respecter, ou les trucs vous retombent sur la tête quand on les lance en l'air. C'est aussi simple que ça, et imparable. D'ailleurs, toi qui fais le malin, tu as résolu le problème de la gravité quantique ? Tu sais comment ça marche ? Non. Mais tu respectes quand même les lois de la gravité - donc sans comprendre.

Une porte gigantesque au milieu de nulle part   
Dans tous les cas, l'idée qui sous-tend le tham boun, c'est de gagner des bons points pour sa vie future. Il y a là quelque chose qui choque ma mentalité occidentale : ça ressemble trop à de la simonie. Mais bon, je ne peux pas comprendre.

Alors, les moines du temple viennent chez le voisin prêcher et pour psalmodier - mais ce ne sont pas des psaumes. Ils ne prient pas non plus, puisqu'il n'y a personne à prier, le ciel est vide. On ne peut vraiment dire non plus qu'ils incantent, même si ça y ressemble, car ils ne s'adressent à personne. Ça doit être un exercice de méditation personnelle... pratiqué en public. Et quand ils repartent, c'est avec des offrandes importantes données par l'hôte, mais aussi par l'assistance.

La vie religieuse est étroitement liée la vie sociale. Le "tham boun" est une fête annuelle du village où l'on peut aussi inviter des amis qui habitent ailleurs, de la famille lointaine. Sur le carton que Fon a reçu, il y a une dizaine de noms, hôte, habitants de sa maison, et cousins qui ont organisé la fête.

Celui qui passe dans la rue par hasard peut entrer. Loin s'en faut que tous les habitants du village ne soient là - d'après le nombre de chaises, et même en imaginant qu'ils s'asseoient par terre. Mais chaque maison envoie une ou deux personnes, qui passeront plus ou moins de temps chez l'hôte, parfois juste une demi-heure. Si personne ne vient, la maison est considérée comme de peu de foi bouddhiste - cela ne se produit jamais ! Le tham boun est un facteur de lien social mais aussi de contrainte religieuse.

Sur trois jours, on n'ira qu'une seule fois au temple - ce n'est pas énorme. Le reste du temps, on écoute divers discours. Le maire du village passe et y va de son petit speech. Tout le monde peut prendre la parole. On passe aussi beaucoup de temps à manger - il faut préparer d'énormes plats et c'est une mise à contribution importante des femmes, même si l'hôte emploie aussi des aides de cuisine qu'il rémunère.

Les parents de Fon - au moins la mère - aimeraient bien faire "boun", mais ils sont trop pauvres. Alors elle va aller faire la vaisselle bénévolement, pour participer, gagner du mérite.

Tu seras peut-être étonné de ne pas trouver de photos du tham boun ici. J'y suis allé, avec mon appareil photo. Mais bon, je ne suis pas journaliste. Et j'ai trouvé ça si laid ou du moins si peu conforme à mes goûts de bourgeois français que j'ai jeté l'éponge. Il y a certainement plein de bonnes photos de "tham boun" sur le net.