dimanche 26 février 2017

Comment ne pas rapporter de thé à ses amis : le thé en Thaïlande


Résultat de la recherche avec les mots-clés "tea pot" sur un des plus grands sites thaïs de vente en ligne : c'est fort de café !

On s'imagine volontiers l'asiate austère et rasé buvant du thé du matin au soir (ce qui lui donne une grande sagesse). On a même suspecté la consommation de thé brûlant d'être l'explication de la plus grande prévalence des cancers de l'œsophage dans cette région du monde. Fausse piste. Mais les précieux services à thé de nos grand-mères (ignominieusement rapportées de la guerre des boxers avec quelques ivoires) ont assis la réputation du thé : un genre de chinoiserie, avec un rituel un peu étrange pratiqué par des geishas japonaises, qui concerne tout ce qui se trouve à l'Est de l'Oural.

La Thaïlande est un pays producteur de thé. Pourtant, ceux qui espèrent trouver des thés exceptionnels en Thaïlande seront déçus. La Thaïlande cultive le thé et n'en boit pas ! Tout pour les autres ! Je n'ai jamais vu un thaï une tasse de thé à la main, parole d'honneur ! J'ai cru comprendre que la culture du thé dans le nord du pays - dans la partie thaïe du Triangle d'Or - était une culture de substitution produite pour remplacer le pavot - papaver somniferum. Donc une culture récente, sans grande tradition ni support populaire.

Dans les hôtels pour étrangers, même luxueux, on te proposera des sachets jaunes de thé Lipton, poussière de thé sans finesse qui vient d'on ne sait où après un passage dans les usines d'ensachage d'Angleterre ou de Pologne. Merci pour le dépaysement.

Dans les boutiques, tu tomberas sur des thés verts à bon marché, avec beaucoup de branchages - pas terrible - mais une intéressante particularité : ils ne deviennent pas amer même quand ils ont longtemps infusé.

En montant la gamme des prix, tu trouveras beaucoup de thés oolong, de production thaïe. On ne sait pourquoi, ces oolong ont bonne presse ici comme en France - c'est considéré comme le top du top. C'est un thé pâle, délicat, avec un goût bien à lui. Personnellement, je ne lui trouve pas d'intérêt - je suis mauvais juge car ce n'est pas du tout mon "type" de thé.

C'est quoi tout ce vert ? C'est pas du tout du thé et c'est pas du tout en Thaïlande. Mais c'est beau.

Dans les villages où on produit l'oolong et parfois dans les malls des grandes villes, on verra des hôtesses habillées de tenues chinoises traditionnelles ou totalement fantaisistes - incapable de faire la différence - qui proposent des dégustations. Elles jouent avec des petites théières, des petites tasses, elles jettent la première et la deuxième eau du thé et laissent infuser une minute ou deux, pas plus. Elles versent, reversent, renversent à toute vitesse, comme un joueur de bonneteau, avant de poser le produit de leurs manipulations devant toi. Fasciné, tu t'attends à trouver sur la langue toutes les subtilités et les fragrances de la mystérieuse Asie. Résultat fade, décevant - j'ai essayé plusieurs fois.

Heureusement, il y a des importateurs de thé dans le quartier chinois de Bangkok. Je vais chez Mister Qing, comme c'est écrit sur sa carte de visite. J'ai déjà raconté comme il me plonge la tête dans d'immenses bocaux remplis de thé, et comme je ressors de ce magasin les poches immanquablement vides, mais les mains pleines de paquets parfumés (clic ici).

Chez Mr. Qing, la palette des thés est large, avec des thés jusqu'à mille euros le kilo. Le plus surprenant, c'est qu'on n'y trouve ni lapsang ni tarry souchong - des thés fumés largement diffusés en France, en Allemagne et aux États-Unis. Mr. Qing n'en a jamais entendu parler - sauf depuis mon passage.

La marchande indonésienne chez qui j'ai acheté du "thé de montagne"
On ne risque pas non plus d'y trouver ces thés drus, bruts, rustiques que j'ai achetés pour goûter - au prix invraisemblable d'un euro le kilo - dans des villages de montagne au cœur de l'Indonésie. Rudes mais intéressants, ils valent largement le Lipton jaune.

Ni de ces mélanges mystérieux, sucrés à l'avance, qu'on trouve dans toutes les supérettes et qui sont destinés à la préparation du thé glacé thaï - boisson sucrée, rafraichissante, mais sans grand rapport avec les décoctions de camélia qui sont l'objet de ce post.

Je n'utilise pas la méthode chinoise pour faire le thé. Je vais au plus simple. Mes théières sont en métal - il paraît que c'est mal. Elles sont grandes, plus d'un litre et demi - il paraît que c'est mal. J'utilise de l'eau ordinaire - il paraît que c'est mal. J'évite de faire bouillir cette eau, mais je n'ai pas la bouilloire allemande qui s'arrête automatiquement à une température précise réglée d'avance - il paraît que c'est mal. Je laisse infuser mon thé sans chronomètre à la main - il paraît que c'est mal. Enfin je n'abattrais pas ceux qui mélangent le thé à la bergamote, au jasmin ou même à la menthe. Certes, je poignarderais tous les autres (oh que je hais le thé à la fraise !) - mais c'est encore, paraît-il, la marque d'un laxisme coupable.

Bref, j'ai tout faux… Tant mieux si certain trouvent des délices indicibles à la préparation minutieusement ritualisée du thé - je n'ai pas le goût assez fin pour apprécier ces subtiles différences. Mais j'adore le thé de Mr. Qing, thé valeureux qui surmonte par son excellence les vicissitudes auquel je le soumets...

Le plus drôle, c'est quand Dave, mon ami anglais de Ko Kut, grand buveur de café, s'étonne de me voir verser du lait dans mon thé : "Quoi ! Et tu dis que tu es français !" Il s'imagine que verser du lait dans le thé, c'est une perversion réservée aux anglais !

Si tu veux rapporter du thé thaï à des amis, tu en trouveras dans n'importe quelle épicerie : pour le charme de la boîte, avec ses caractères nouilles, la curiosité de ceux à qui tu destines ce cadeau ou... l'épargne de ton porte-monnaie si tu as beaucoup de cadeaux à faire. Mais si ce sont des amateurs, il faudra aller chez Mr. Qing ou un des nombreux importateurs du quartier chinois. Le quartier est agréable...


Paris, une épicerie thaïe : la fille a l'air charmante, mais la recherche du mot "thé" oriente clairement vers l'empire du milieu.


dimanche 19 février 2017

Echec et mat à Ko Kut


Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des cœurs en adoration
Roulent comme l’encens sur un jardin de roses.

Ami lecteur, toi qui rêves d'une île paradisiaque et de vacances éternelles, lis le récit de ma déconfiture !

Je me prenais pour Robinson, et j'étais sûr de me plaire là-bas, à Ko Kut. J'adore la mer, je nage des kilomètres pour le plaisir, je suis fan de planche à voile, je suis redevenu le malade de chasse sous-marine que j'étais lorsque je vivais aux Antilles.

Pourtant, nous avons largement anticipé notre retour, et nous revoilà à Korat. Après quatre mois sur l'île, l'ennui, la déception. Pourquoi ?

L'île est magnifique, encore sauvage, la côte n'est pas abîmée par des rangées d'immeubles ni même de maisons, le nombre de touristes est raisonnable. Les eaux sont claires comme on en rêve. On peut faire des chasses décentes en partant du bord.

- Alors que s'est-il passé ?
- J'ai sans doute surestimé mes capacités d'austérité... ou mes richesses intérieures !

A Ko Kut, il n'y a qu'une seule route, et elle ne passe pas le long de la mer, sauf en deux points brefs. La maison que nous avons louée n'était pas en bord de mer - peut-être que si elle l'avait été, j'aurais été plus patient. Mais à Ko Kut, les maisons particulières sur la côte se comptent sur les doigts d'une seule main : il n'y a que des hôtels. Étrange structure, une île où il n'y a que des hôtels et quelques pêcheurs !

Dans les faits, seuls les locaux et les richissimes consortia de Bangkok ont le droit de construire ici. Il ne viendrait pas à l'idée d'un local d'habiter au bord de la mer - loin de la route. Mais il faut rentabiliser à tout prix : alors les hôtels poussent comme des champignons... Quant aux quelques maisons de pêcheurs, elles sont sur le domaine maritime - sans aucun droit ni document légal : pour combien de temps encore ?

Du nord au sud, une vingtaine de kilomètres, sept dans la plus grande largeur, Ko Kut est une toute petite île dont 90% de la surface est inaccessible - ni en voiture, ni à moto, ni même à pied car couverte de forêts impénétrables. A part trois chutes d'eau qui sont assez banales, le port de pêcheurs sur pilotis et ses restaurants pour touristes, il n'y a rien à voir. Quand elle n'est pas interdite par la végétation, la côte est bordée d'hôtels - on en épuise vite les charmes.

Reste la mer.

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Mais pour la planche à voile, c'est la portion congrue. Il n'y a que deux endroits pour la mise à l'eau. L'un est encombré de touristes comme la plage de La Baule en juillet. L'autre est bordé de deux pointes escarpées qui perturbent le vent. Ces deux spots sont orientés plein ouest. Le vent est faible ou irrégulier, et il n'y a pas de solaire. Dominant, il souffle offshore, poussant dangereusement vers le large : en cas d'avarie, les perspectives sont peu engageantes - d'autant que la solidarité des gens de mer ne joue pas comme en Bretagne, j'en ai fait la décevante expérience. En fin de compte, on a très rarement de bonnes conditions.

La mer n'est pas le meilleur endroit pour la natation sportive. La moindre houle, les vagues rendent moins agréable la nage, surtout le crawl qui nécessite une bonne stabilité horizontale. A Korat, l'immense retenue d'eau où je pratique est bien plus agréable. On peut y faire une boucle le long des berges - c'est plaisant. L'eau n'est pas salée, on a moins soif. Elle est souvent glassy, et on se voit avancer sur un miroir, le long des herbes. Les abords de cet étang sont déserts et on ne croise personne lorsqu'on se met à l'eau : petit moment de recueillement avant l'effort…

Le jogging est aussi plus agréable au milieu des champs de riz et des mares couvertes de nénuphars de l'Isan. A Ko Kut, on ne peut courir que sur la route. Il y a des chiens tous les vingt mètres - pas méchants, mais si bruyants ! Et les pentes successives très abruptes ne permettent jamais de courir en laissant développer, zen, la tête dans les nuages.

Les souvenirs en vrac d'un vieux Jules Verne,
Livre ou je me noyais dans des gravures ternes...

A Ko Kut, question magasins, il y a le minimum vital. On peut acheter quelques légumes, quelques fruits, toujours les mêmes. Jamais de frais à cause du transport. On ne trouve pas grand-chose dans les deux quincailleries locales - tout achat de matériel nécessite de retourner sur le continent. Je suis puni par là où je pèche : les foies de poulet grillés et le jus d'oranges pressées qu'on vend dans les rues me manquent cruellement. Les restaurants sont médiocres, ou bien bruyants, avec de la musique pour les touristes - ou les deux ! Cela paraît dérisoire, je reconnais. Mais on vit aussi de ces petits plaisirs.

Notre maison, plaisante d'aspect (rose, reconnaissable de la route à ses balustrades de vieux bois et de roues de charrettes, etc.) n'était pas très confortable. On nous avait promis la réparation de l'air conditionné - il a été aussitôt mis en pièces par les troupeaux de souris qui vivent dans le grenier et sur les balcons - des grosses, des petites, dont la propriétaire connaissait forcément l'existence et le pouvoir de nuisance. Réfrigérateur faiblard, eau montée par une pompe asthmatique, douche qui pleure, absence totale de meubles de rangement, matelas épais comme un téléphone portable (ancienne génération, quand même)… Ok, je peux vivre à la dure, mais à la longue, l'absence de confort use. La propriétaire s'est montrée malhonnête et menteuse - à fuir à tout prix.

L'internet qu'on nous avait promis pour le mois suivant notre installation - nous n'en avons jamais vu la couleur. Alors je me suis dépannée avec l'internet du téléphone, obligé de vérifier le niveau de la carte, sinon l'opérateur boulotte sans crier gare toutes les réserves qu'il y a dessus… Tous les cinq ou sept jours, obligé de remettre de l'argent, puis de recommander un forfait en tapant 184 chiffres de suite. Et un débit à la noix si on ne prend pas le plus cher. Petites choses encore, mais pénibles au fil du temps.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs...

A Ko Kut, il n'y a pas d'expats, il n'y a que des touristes. Certes, moins nombreux qu'à Samui, moins laids qu'à Pattaya… mais quand même. Toujours présents, répandus comme un herpès qui se rappelle juste au moment où tu y penses le moins, et vient troubler ta sérénité. Tu sais ce que j'en pense, des touristes… Pas désagréables, pourtant. Mais instaurant cette atmosphère niaise de repos forcé, de sottise latente, d'excitation factice, de vulgarité internationale... non merci. Avec les expats, on peut parfois partager - avec les touristes, quelle conversation possible ? La température de l'eau ? La taille de la chambre d'hôtel ? Réfléchis... et appelle-moi si tu trouves !

D'autres facteurs, cette fois relatifs à Fon, ont précipité notre retour. L'impossibilité de se lier avec les autochtones qui se connaissent tous et forment un monde fermé. Pas d'aide pour garder Nam - alors que la grand-mère juste à côté, à Korat, c'est si pratique ! Pas de Mall, pas de Terminal 21 aux arcades fraîches pour lécher les vitrines de fringues, juste pour le plaisir…

Alors voilà, je mange mon chapeau. Ce n'est pas la retraite de Russie, on n'a perdu personne en franchissant les eaux glaciales du golfe de Thaïlande. Mais la honte suprême : en arrivant, on était content de traîner dans les rayons du Tesco de Trat !

Tu parles d'un vieux trappeur !


lundi 13 février 2017

Jardins de Thaïlande : le désert dans la jungle ?


Avec son œil vairon, c'est un dieu suave, tout en douceur... Je sais, ça ne vaut pas Arcimboldo !


Il y a quelque chose qui m'étonne en Thaïlande : c'est l'absence de fruitiers dans les jardins.

En France, chaque jardinet a son pommier, son cerisier, son prunier, son noyer ou son figuier. Et pour ceux qui ont les pouces verts, beaucoup plus.

Ici, les gens sont industrieux… pourtant je ne vois pas grand-chose pousser derrière les maisons. Oui, de la papaye qui croît à toute allure - c'en est même incroyable. Des bananiers - à ce qu'on m'a dit, ils ne poussent pas tout seuls, il faut leur donner quelques soins et les couper tous les ans. J'ai vu aussi des citronniers. Et une fois, des ananas dans un hôtel.

Peu de goyaves et de fruits de la passion, qui montent comme du chiendent en Martinique. Jamais de litchis, rarement leur équivalent local, le gnô : le truc rouge à gros poils qui ressemble au virus de la grippe vu au microscope électronique. Pas d'orangers - que j'imaginais naïvement pousser sous tous les soleils.

Je m'étonne de la rareté des manguiers : sont-ils vraiment adaptés ici ?

Il existe d'autres fruits exotiques que je ne trouve pas très bons. Est-ce par manque de familiarité que je ne les aime pas beaucoup ? Ou bien comme personne ne les aime en Europe, on ne les importe pas ? La poule et l’œuf...

Dans certaines régions, au nord de Phetchabun, on cultive des fraises qu'on envoie par avion en Amérique, pour agrémenter d'un paradoxe les brunch(e)s des Marriott, Hyatt et autres Sheraton en plein hiver. Elles ne sont pas moins chères que les espagnoles qu'on trouve en France, et tout aussi inégales - mais en cherchant sur place, on peut bien tomber.

Dans les jardins thaïs, on trouve des arbres avec des feuilles ou des lianes comestibles - parfois très âcres. J'ignore si ce sont des cultivars, ou s'ils ont pris racine par hasard.

Le médiocre intérêt pour les fruits tient sans doute au fait qu'ici, on ne termine pas le repas sur un fruit ou une note sucrée - d'autant que le sucre participe souvent à la confection du "plat principal".

Possible aussi que je n'aie pas vraiment compris comment fonctionne le jardinage en Thaïlande, comment il participe de la culture - au sens figuré.

Mais l'absence de manguiers me plonge dans la perplexité… et la frustration ! Mangue-julie, mangue-carotte, mangue-banane, mangue-térébenthine - où sont les variétés de ma jeunesse ?

Bien sûr, ce n'est pas la Thaïlande, c'est la région où Gérard de Nerval a écrit "Les Filles du Feu" - mon ancien jardin.