mercredi 16 décembre 2015

Petite cosmogonie à l'usage thaï


Enfin de retour à Bangkok...


Après un séjour particulièrement pénible en France pour obligations diverses, je suis de nouveau à la ferme. Pauvre France ! C'est pour moi le lieu de tous les problèmes, tout simplement parce j'y ai passé une bonne partie de ma vie, que j'y ai encore mes sources de revenus et trop d'obligations administratives. Et aussi parce que j'y ai ma sinistre famille - celle dont je viens, pas ma postérité qui est source de nombreuses satisfactions. Bref, la France est pour moi un vrai repoussoir.

Mais je suis sur ma petite moto et je fonce à quatre-vingt kilomètres à l'heure sur la route qui relie la ferme à la ville, vers le mall et le bassin olympique désert où je vais faire mes longueurs : j'oublie tout et je suis heureux. D'autant que Fon est assise derrière moi.

Après la piscine, j'ai pu goûter les premières fraises de la saison, des petites fraises thaïes très parfumées (au prix prohibitif pour la Thaïlande de cinq euros le kilo). Fon achète une boisson rafraichissante : du thé vert aux chrysanthèmes - excusez du peu, monseigneur...

A la ferme, on est en pleine récolte des concombres. Je ne suis pas sûr qu'il y ait plus d'un français sur cent qui sache ce qu'est un concombre. Je ne parle pas de ces longues bites molles de martien qu'on trouve dans les supermarchés. Elles sont au choix : insipides ou amères. Avec une texture parfois si infâme qu'on doit jeter tout le centre de la bête. Non, je parle de ces petits concombres, dix centimètres de long tout au plus, appétissants, craquants, avec un goût doux, subtil mais marqué.

Les travaux pour la nouvelle maison ont commencé. Ce qui me surprend le plus, c'est que les ouvriers font tout à la main. Décharger les camions. Creuser. Mais aussi tresser les longues tiges d'acier en grilles ou parallélépipèdes pour les fondations. Il y a eu quelques mises au point avec l'entrepreneur, et ce n'est sans doute pas fini, mais pour l'instant, tout est calme.

L'un des ouvriers arbore un t-shirt sur lequel est écrit : the army motorcycle - the motorcycle of victory. Dessous, on voit effectivement une moto ancienne d'un vert kaki caractéristique. Mais on reconnait le flat-twin très identifiable des BMW. La moto de la victoire ? J'ignorais que la firme bavaroise travaillait pour les Alliés. Douces approximations thaïes...

A propos d'alliés, Ray est revenu d'Australie, après un séjour médical assez décevant. Nous nous retrouvons avec plaisir. Il lance une invitation pour un raout qu'il organise tous les samedis sur son chantier avec quelques amis. J'y rencontre Mark, un anglais assez discret, dont Fon connaît bien la compagne car elle habite depuis toujours à deux cent mètres de la ferme. Mark a une entreprise d'entretien de jardins dans le pays de Galles, et il ne peut venir que sporadiquement en Thaïlande. Il a connu sa femme à Pattaya, dans un salon de massage… paraît-il tout à fait "honnête". Fon me dit que la fille n'a pas franchi la ligne. En tout cas, elle a de la constance, car il s'écoule généralement cinq mois entre les passages de son godon (tu ne sais pas ce qu'est un godon ? Un très vieux terme qui date de l'ancien régime, époque où les marins français entendaient leurs homologues anglais ponctuer leurs phrases de multiples "God damn". D'où la déformation "godon").

Je fais aussi la connaissance d'un australien dont j'ai déjà parlé sans l'avoir rencontré. C'est lui dont la femme légèrement dépressive vend régulièrement ses bijoux chez ma tante sous l'influence de sa famille. L'australien va alors chez ma tante et rachète. Il l'a déjà fait deux fois. C'est un ancien skipper, qui a passé une bonne partie de sa vie sur les reefs de l'hémisphère sud, mais aussi trempé son aileron aux USA. Il est grande gueule et sympathique. Nous partageons un point de vue : les skippers et les bords américains sont tout à fait civils et agréables.

Ce qui est amusant, c'est la manière dont se déroule la soirée (qui commence à 16:30). Les farangs sont à une table. Les femmes à une autre. A une troisième, il y a le frère de Nisi, la femme de Ray et deux ou trois thaïs, les ouvriers qu'il emploie de longue date pour ses constructions pharaoniques. Il est vrai que parmi les farangs, à part moi, et encore, personne ne parle le thaï - alors pourquoi faire semblant ? Ce qui me trouble (car j'ai faim), c'est qu'on nous sert des chips et des lamelles de cochon grillées, alors que les autres ont un vrai repas thaï, avec du riz et de la salade de papaye. "C'est parce que c'est bien trop épicé pour les farangs qu'on ne vous a pas servi" m'explique Fon.

Ce matin, je ne sais pas quel petit diable m'incite à l'interroger sur sa conception du monde. Elle me dit qu'elle sait bien que l'homme descend d'un ancêtre lointain du singe - les bouddhistes n'ont pas les blocages créationnistes des américains. En revanche, en cosmogonie, ses conceptions laissent à désirer. Après réflexion, elle me dit que le soleil tourne autour de la terre, et que la terre est très grosse (sans doute plus que le soleil). Je lui fais part de conceptions plus récentes, qu'elle accepte sans problème.
- Etait-ce important de savoir que la terre tournait autour du soleil ? lui demandai-je.
- Oui.
- Tu en parleras à tes amies ?
- Non. C'est juste un peu important. Nit noi... dit-elle en montant très haut sur le "niiit" et dégringolant sur le "noi", ce qui m'amuse toujours.
Quant à lui expliquer que le froid de l'hiver ne tient pas à la rotation de la terre sur le périhélie de son orbite elliptique, mais à la variation de la position de la terre sur le plan de l'écliptique, c'est trop compliqué pour mon faible niveau de thaï. Une autre fois… De toute manière, Fon arbore aujourd'hui un joli t-shirt neuf, avec un très mignon trou-trou en forme de cœur au niveau de la naissance des seins. Je vais plutôt m'employer à lui démontrer que si le bonobo est un lointain cousin de l'homme, ce dernier a en commun avec lui quelques comportements primitifs. Pour la Science.

Taxis à Bangkok : couleur bure de bonze...


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