vendredi 26 août 2016

Lait de vache et soutiens-gorges



Hier, une amie de Fon est passée à la ferme. Cette assez jolie fille travaille comme vendeuse au Mall de Korat. Elle est myope et porte des verres de contact noirs, qui lui donnent un regard de serpent. Elle a l’air redoutable… surtout lorsqu’elle plante ce regard dans le mien pour me dire : il faut aller au Mall !

Je comprends qu’elle se fait la messagère de Fon. Aller au Mall régler la facture internet une fois par mois, ce n’est pas assez, il faut y passer plus souvent. La promenade dans le Mall est une excursion qui se justifie par elle-même, un plaisir social. C'est l’équivalent de la marche digestive des bourgeois de Balzac dans Beatrix, promenade en famille, lente et paisible, après dîner, sur le mail - l’allée bordée d’arbres qui entoure les ramparts de Guérande. On s’y montre et on regarde les autres. D'ailleurs, le mot anglais mall n'a-t-il pas la même origine latine que le mot français mail ?


Le colis et le galopin
 Nous nous apprêtons à partir. Au moment d’entrer dans la voiture, Fon reçoit un coup de téléphone. C’est le livreur de Lazada qui nous avertit de son arrivée imminente. Il apporte une garniture anti-fuites pour le lit des invités. Des fois que l’ambiance du village leur porterait trop aux sens. A peine le téléphone raccroché, la camionnette arrive, pick-up sur le plateau duquel on a rajouté un toit. Le gamin des voisins est là, et dès que le livreur a le dos tourné, il se précipite dans l’espace où se trouvent les colis, dévoré de curiosité - et se fait gentiment gronder. Une cousine s’approche. Les chiens aboient. C’est une scène d’autrefois, le colporteur qui passe à la ferme. Mais aujourd’hui, le colporteur a un grand patron : Lazada est une succursale de Carrefour pour tout le sud-est asiatique.

Nous partons pour Nonsung. C’est la sous-préfecture du canton, et on y trouve un marché quotidien. Peu importe ce qu’il faut acheter, je paresse dans la voiture en lisant tandis que Fon compare les mérites des laits maternisés dans la boutique. Mais la comparaison dure, et mon livre me rase. Je lève le nez. Juste à côté, il y a cinq  soutien-gorges à rayures ou à pois. Plutôt élégants. Je ne les avais pas remarqué. Ils ont l’air neufs. Une idée de cadeau pour Fon - qui me fera plaisir par ricochet.

Fon revient enfin. Je lui montre les soutien-gorges accrochés à une barre métallique, sous l’auvent de la maison d’à-côté. Si, ils sont bien à vendre, ce n’est pas la voisine qui a fait sa lessive. Fon demande le prix, choisit… après m’avoir demandé celui que je préfère. Elle achète - ça tombe bien, nous avons le même goût ! Elle monte dans la voiture toute contente.

Scène terrible au Mall de Korat, rayon alimentation. Il faut que j’achète le lait du matin. Un vrai casse-tête. Les bouchons sont bleu clair, bleu foncé, blanc ou rouge. Et il y a deux marques. Rien n’indique s’il s’agit de lait entier, semi écrémé, zéro pour cent. Fon est noyée - ce n’est pas indiqué en gros sur les étiquettes. Je m’agace, je hèle une vendeuse, qui dit qu’elle ne sait pas non plus et prend ses jambes à son cou. Passe un chef de rayon que je capture. Il patauge lamentablement. Je lui dit que je veux savoir la quantité de graisse… mais comme j’ignore le mot, je donne le mot qui veut dire gras - gras pour quelqu’un, gras-du-bide, ouan phi. Mal m’en prend ! "Wan" veut dire sucré… et tu me diras la différence entre ouan et wan ! Le chef de rayon m’explique qu’aucun des laits du rayon n’est sucré... mais qu’au rayon au dessus, je trouverai tout ce que je veux, car il y a des laitages sucrés. Je manque de devenir fou. Le quiproquos dure jusqu’à ce que Fon explique. Alors je relâche le chef de rayon dont il n’y a rien à tirer. Il s’enfuit presque en courant.

On en est toujours au même point. Finalement, en lisant les petits caractères, Fon me dit que dans la bouteille au bouchon bleu foncé, il y a 12 grammes de gras, 5 grammes pour le bouchon blanc, 7 pour le bouchon rouge...etc. Résultat, je n’ai plus le prétexte de l’ignorance pour prendre du lait entier que j’adore, et je m’impose le semi-écrémé que je n’aime pas.

En rentrant en voiture, Fon m’explique que les thaïs se fichent des différents types de lait parce qu’ils n’en boivent pas. Trop cher. Boisson de farang. Elle hasarde l’explication selon laquelle les farangs sont grands parce qu’ils boivent du lait. Je lui parle de génétique, et je lui dis qu’elle n’est pas très grande parce que ses parents ne sont pas grands… et ses grands-parents aussi…
- Mais si, je suis grande, dit-elle, un peu vexée.
- Ah oui…? Enfin pas vraiment grande. Tu mesures un mètre cinquante cinq, je crois…?
- Cinquante-six !
Là, je vois qu’elle est fâchée.

Pour changer de sujet, je lui demande combien a coûté le soutien-gorge. Tu me diras que j’aurais dû l’acheter moi-même, c’eût été plus délicat. Mais dans ce cas, comment aurais-je deviné lequel elle préférait. Oui, je me rends compte, c’est un peu de mauvaise foi, ce que je viens d’écrire…

Surtout que... Le soutien-gorge coûtait dix bath de moins que la bouteille de lait. Deux euros… Si j’avais su, j’aurais acheté les cinq !

La galerie des bijoux : le Mall soumet le passant à de redoutables tentations...


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