vendredi 15 juin 2018

Traité du Zen, de la gestion des moteurs Honda et des pastèques pourries


Auto-portrait nocturne

Un jour, quand j'habitais au centre de Korat, j'ai acheté une pastèque au marchand de fruits du marché, en dessous de chez nous - comme presque tous les soirs. Une fois dans l'appartement, nous nous sommes rendu compte qu'elle était bien pourrie. Nous étions des clients réguliers, il nous connaissait bien : simple coup de malchance. Suivi d'une Fon étrangement réticente, je suis retourné échanger la pastèque. Le marchand l'a examinée méticuleusement avant de m'en donner une autre. Je sentais qu'il le faisait à contrecœur mais surtout qu'il était surpris.

Était-ce une bonne idée de retourner le voir ? J'avais exprimé mes doutes sur ce blog. J'étais ignorant mais j'ai maintenant la réponse : il ne fallait pas !

Il y a quelques jours, j'ai acheté un moteur de bateau avec son arbre de sortie et son hélice. Une semaine plus tard, en pleine mer, l'hélice a commencé à devenir folle, la barre impossible à garder droite, et j'ai vu que l'arbre semblait se démancher du moteur. J'ai arrêté le moteur en catastrophe. Si je continuais, l'arbre et l'hélice tombaient à l'eau, irrécupérables même en plongeant. Je n'avais pas encore d'avirons, et j'étais en panne au large...

Finalement, voyant que je n'avais pas le choix, j'ai tenté ma chance. J'ai redémarré et réussi à rentrer très lentement, en donnant des petits coups de gaz pour avancer droit et en priant le ciel pour que l'arbre ne se démanche pas complètement.

Arrivé à terre, j'ai regardé : l'arbre était à 90° de sa position normale. Il flottait dans le manchon de sortie de moteur. Alors qu'avant de partir, j'avais vérifié les papillons. Pourquoi ne tenait-il pas ? Diamètre insuffisant, tout simplement. Le magasin spécialisé qui vendait tous les jours ce type de moteur m'avait fourni deux parties qui n'allaient pas ensemble. Pour les faire tenir, elles avaient été solidarisées avec une vague soudure qui avait cassé.

Pas cool du tout. Que faire ?

L'hélice, l'arbre et ses papillons... les rois de l'évasion !

Réponse occidentale : aller dans le magasin, râler et demander qu'on remplace le matériel qui ne va pas.

Perdu !

Réponse thaïe : aller chez un petit bricolo du coin ; pour trois euros, faire allonger la fente de la sortie de moteur avec une disqueuse afin que les papillons pincent vraiment l'arbre. Au risque de fragiliser la sortie de moteur qui se fendra peut-être complètement dans trois mois !

De manière générale, quand on te vend quelque chose, en Thaïlande, on te le vend "tel quel", comme tu le vois. A toi de te débrouiller. A partir du moment où l'argent a changé de main, tu as acheté et tu es le seul responsable de tout ce qui peut arriver.

J'ai aussi commandé une paire d'avirons chez un artisan qui ne fait que des avirons. Il m'en a livré une jolie paire d'un bois clair, solide et léger. Du teck thaï - sorti brut de l'atelier : pas de vernis, pas de protection contre le frottement du tolet, pas de garde (pour éviter qu'ils ne glissent dans l'eau. Inutilisables. Il a fallu trouver des chambres à air de vélos : pas simple, personne n'utilise plus de vélos en Thaïlande, tout le monde est motorisé. Et les enfiler de force avec beaucoup d'huile de cuisine... et de coude.

Du pneu de vélo, de la semelle de tong : la base de la sécurité à bord...

Notre plage : le Bata des unijambistes. Hallucinant le nombre de tongs qu'on y trouve. J'ai décortiqué une semelle de tong, je l'ai coupée en deux parties, j'ai fait des trous et j'ai enfilé ces rondelles percées sur les rames : splendides gardes de luxe !

En règle générale, en Thaïlande, les produits ne sont pas terminés. Beaucoup sont fabriqués par un artisan, et non par une entreprise qui prendrait en charge les finitions. Tu achètes un objet, à toi de te débrouiller pour le rendre fonctionnel.

A toi aussi de juger de sa qualité. Un fauteuil acheté dans une grande chaîne de bricolage (HomePro), qui se démantibule au bout de quinze jours : on t'explique que c'est de ta faute, il fallait payer plus cher et prendre plus solide ! Imparable…

On peut même te vendre un jouet mécanique neuf…
- Mais je n'arrive pas à le faire marcher…?
- Ben oui, le mécanisme est cassé. Mais si ta fille le veut, tu achètes quand même.
Nam le voulait. On a acheté. Pas folle, la vendeuse…

Avant-hier, le propriétaire de notre maison arrive avec une équipe de bucherons pour scier les branches d'un palétuvier qui menace notre toit : trois gars  à moto, la tronçonneuse à la main.

Ici, la possession d'un outil tient lieu de compétence... Un quart d'heure après, j'entends un grand crac. Je sors et je vois qu'une assez grosse branche est tombée sur le toit.

Les bucherons ont tiré, la branche a terminé sa descente, emportant un petit morceau de toiture.

Un quart d'heure après, une branche tombe sur la cabane à recyclables et enfonce la taule.

Pendant ce temps, le propriétaire est là et regarde. Moi, il me paraît incroyablement zen. Mais Fon me dit qu'à sa tête, on voit qu'il n'est pas du tout content ! C'est ça l'Asie : on ne comprend pas tout...

Notre propriétaire regardant s'effondrer l'arbre sur le toit de la maison. Jamais je ne l'aurais cru en colère !

Mais que faire ?

Réponse occidentale : dire au chef des bucherons qu'il est responsable, qu'il a une assurance et que de toute manière, il doit se débrouiller pour réparer ou faire réparer.

Une assurance ? Et puis quoi encore ?

Le propriétaire n'a rien dit aux bucherons. Car ils ont fait de leur mieux, même si leur mieux n'est pas terrible... Et de toute manière, ça ne servirait à rien de dire quoi que ce soit.

Tout ce que je décris, ce sont des règles de fonctionnement de la vie courante - pas des exceptions. Il vaut mieux les connaître car il faut faire avec ! Le vendeur ou l'artisan sont souvent de bonne foi - c'est juste que le curseur responsabilité n'est pas au même endroit qu'en occident.

Le problème, c'est quand des grosses compagnies utilisent le fatalisme asiatique (on va l'appeler comme ça pour simplifier) afin de tromper les clients.

Certaines, malgré tout, se sont occidentalisées. J'ai eu une assez bonne expérience avec le service après-vente de Mitsubishi. Comment ça se passe ? En cas de problème, on va tenter de bricoler une solution (en te faisant quand même un peu sentir qu'on te fait une faveur). Attention, le concept de geste commercial n'existe pas en Asie. On t'a vendu un produit un peu pourri. On a quand même réussi à le faire marcher à moitié après quatre retours au magasin : estime-toi heureux !

D'autres compagnies tablent sur le manque d'éducation et le fatalisme local. Lion Air et Air Asia en profitent largement pour abuser leurs clients : politiques tordues pour les bagages, petites lignes à n'en plus finir, site web conçu pour tromper le consommateur - pas besoin de chercher longtemps pour trouver une quantité de plaintes sur internet émanant des occidentaux… D'autant que ces compagnies n'ont qu'un service client bidon : adresse mail où on ne te répond pas, téléphone où on te dit plus ou moins poliment que tu l'as dans le… dos !

Mais là, je me sens en terrain familier car... j'ai les mêmes à la maison ! Pire que Ryan et Easyjet réunis : sors de ce corps, hot-line de Free !



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