mardi 23 février 2016

Trois scènes de la vie quotidienne



Huit heures moins cinq du matin, la gare des bus de Korat où on vient de nous déposer. Nous marchons avec nos sacs au milieu du brouhaha matinal et des musiques qui s'entrecroisent. Soudain, Fon m'immobilise. Je reconnais un air. C'est l'hymne national thaï. Tout le monde se fige dans la gare. C'est une obligation légale. Les visages sont sérieux. L'hymne dure moins d'une minute, la vie reprend son cours.

Like ? Dislike ? Je ne sais pas quoi penser. Les paroles de l'hymne affirment le caractère pacifique de la nation, son union, son hostilité à la tyrannie,  même si les thaïs sont prêt à verser leur sang s'il le faut. Personnellement, je trouve bien que l’État se rappelle autrement que part l'incarnation parfois modérément réussie de son chef d'état. Ou par son administration trop souvent mesquine et tatillonne. Ou par des messages publicitaires affligeants de niaiserie ("mangez cinq fruits..."). De quelle manière pourrait-il autrement se manifester ? Par des symboles, qui ont l'avantage d'être permanents, et suffisamment neutres pour recueillir un large suffrage. En France, on ne sort pas encore les drapeaux, mais on redécouvre la nuance entre patriotisme et nationalisme. Pour combien de temps ?


Pourtant, question symboles, on est un peu court. Il était question de trouver un animal - j'allais dire un totem - représentant le pays. Nombreuses réunions... On propose de réanimer le coq (qui a la caractéristique de chanter, même quand il a les pieds les pieds dans le fumier - je trouve que ça ressemble bien à la France, un peu d'humour ne fait pas de mal). Le coq a été récusé, pas assez sérieux. Les administratifs se sont séparés sans avoir pris de décisions.

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Contrairement à ce qu'on imagine, les thaïs sont très pudiques. A la mer, ils se baignent en t-shirt et short par exemple. L'autre jour, je suis allé dans le gros bourg qui se trouve à quinze kilomètres de notre hameau. J'entre au Big C pour acheter du lait. A l'entrée, juste derrière les caisses, un étal forain propose shorts et pantalons. En voici un qui me plaît. Mais la taille ? Le vendeur a dû partir déjeuner. Pas de problème, une jeune femme de la cafétéria d'en face vient à la rescousse. Je lui explique mon souci. Elle trouve un mètre-ruban et je soulève mon t-shirt, pour qu'elle puisse prendre une mesure précise. Elle a l'air toute gênée en me ceinturant avec son mètre. Voilà, c'est réglé. Elle me désigne une pile de pantalons. J'essaye. Ooooh ! On pourrait mettre une petite pastèque sur mon ventre, la taille ne serait pas encore assez serrée ! La pauvre ! Elle était toute intimidée ! Elle n'osait pas me toucher. Elle m'a donné du cinquante deux…

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Ce soir, mon pote australien Rye passe me voir. Il me donne des nouvelles de son ami Winnie qui est parti en urgence se faire opérer à Brisbane d'une tumeur qui s'avère être bénigne. Winnie à fait construire à vingt kilomètres de notre hameau, tout près de la famille de sa femme. La maison est presque finie.


Mais la famille est persuadée qu'il va mourir de sa tumeur. C'est pourquoi on exerce une forte pression sur la femme de Winnie pour qu'elle active les travaux en cours. Quand Winnie sera mort, c'est sa femme qui va hériter de la maison. Les comptes en banques sont en Australie, difficile d'y avoir accès - et Winnie a des enfants. Donc l'intérêt bien pensé de la famille, qui a largement tendance à vivre aux crochets du farang, est de booster au maximum les investissements dans la maison avant qu'il ne passe l'arme à gauche.

Des histoires de ce genre, j'en ai entendu des dizaines. Elles illustrent une réalité qu'il ne faut pas occulter, mais qui ne représente pas le pays.

Winnie n'a pas encore dit à la famille qu'il allait bientôt rentrer - en pleine forme…


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