mardi 15 mars 2016

L'architecture dans l'Isan, ou l'art de ne pas pisser par la fenêtre


Si tu te promènes dans la campagne française et prend des photos des maisons, sans discrimination, il y a des chances pour que tu ramènes un certain nombre de mochetés - notamment ce qu'on appelle des "maisons de maçons". Mais tes photos vont montrer la réalité de l'architecture locale - ou de l'absence d'architecture.

Si tu fais la même chose aux États-Unis, je pense que tu auras plus de chance. En effet, l'appel à un architecte est obligatoire dès que la maison fait plus de cinquante ou soixante mètres carrés, si j'ai bien compris. Alors qu'en France la limite est cent cinquante mètres (depuis peu : elle était à cent soixante dix mètres il y a quelques mois). Les architectes sont plus ou moins bons, mais… ils sont bien meilleurs que les maçons pour le design !

En me promenant dans l'Isan, ma région, je trouve que les habitations individuelles sont généralement d'une grande laideur. Certes, il y a encore de vieilles fermes en bois, auxquelles je trouve un peu de gueule (la tôle ondulée, ça a son charme).


Mais les constructions récentes me paraissent vraiment laides et peu intéressantes. Quelle que soit la surface à construire, l'architecte n'est jamais obligatoire, et il n'y a pas de recommandations stylistiques.



Oui, je trouve les maisons récentes généralement hideuses, le style sans imagination, les couleurs criardes, l'absence d'un minimum d’homogénéité nuisible. Que cela soit clair dès le départ : je ne suis pas architecte, je ne suis pas compétent, j'ai le goût d'un bourgeois français, conservateur, rétrograde et particulièrement timoré. La valeur de mes appréciations est donc on ne peut plus relative et sujette à caution.

Je vais néanmoins tenter de décrire ce que je vois, et d'en comprendre ce que je peux.

La première chose, c'est que partout, le bois fait place au béton. Plusieurs raisons sans doute. D'abord, on me dit que le prix du bois a énormément augmenté. Il faut dire qu'il n'y a pas de forêts dans la région, elles ont été ratiboisées pour planter le riz. L'Isan a subi une importante déforestation. Mais on pourrait faire venir le bois d'ailleurs, des régions montagneuses. A ce moment, le circuit économique change peut-être : au lieu d'aller acheter le bois à la scierie locale, on se fournit dans les magasins de bricolage, intermédiaires plus cher, qui font naturellement payer le transport au client.


Mais le déclin du bois tient sans doute à d'autres facteurs. Si la pluie frappe latéralement un mur sous l'effet du vent, la pluie pénètre facilement. Elle met plus de temps à traverser un mur de parpaings, qui offre une plus grande protection contre le vent et contre les variations quotidiennes de température. Dernier avantage du mur de parpaing : il n'est pas attaqué par les termites, il est plus solide.

C'est l'une des raisons pour laquelle on ne voit plus de maisons anciennes traditionnelles, genre isbas, dans la campagne polonaise : elles tiennent difficilement plus d'un siècle. Même phénomène ici. Alors qu'on trouve nombre de vieilles fermes en pierre en France.


Pour moi, c'est une vraie question : ces fermettes qu'on trouve charmantes, elles paraissaient misérables, laides et sans intérêt pour le voyageur il y a un siècle. La patine du temps y fait un peu, mais quand même : notre goût a évolué considérablement. Alors doit-on s'attendre à ce qu'en France, les générations futures trouvent un intérêt dans les constructions que nous trouvons aujourd'hui pauvres, sans imagination, laides - justement ces maisons de maçons quand elles auront vieilli ?

Ce qu'on voit partout ici, ce sont des maisons surélevées. La surélévation est une protection contre les inondations, fréquentes pendant la saison des pluies. Tape "flood in Bangkok" sur un moteur de recherche, et tu verras que c'est du sérieux. Mais la surélévation des maisons n'est pas faite sur ce seul critère. On dirait qu'il s'agit aussi d'une question de statut social : une maison qui surplombe de deux mètres vaut mieux qu'une autre surélevée de quatre vingt centimètres. Personnellement, j'ai été poussé à construire à un mètre alors que j'aurais préféré du plain-pied, et que notre topographie nous place deux bons mètres au dessus du niveau le plus haut des inondations de ces dernières années.



Une autre caractéristique des maisons, ce sont les toits gigognes. On retrouve ces toits qui se recouvrent sur les temples aussi. Parfois jusqu'à trois qui se chevauchent. Je n'en connais pas la raison. Peut-être encore les pluies drues de la mousson ? En tout cas, apparemment, c'est "chic", on voit cela sur les maisons qui font riche. [la photo ci-dessous n'a pas été prise dans ma région : trop vert, trop riche ; maison bourgeoise du nord]




Toits gigognes ou pas, les toits dépassent beaucoup les murs, en principe d'un mètre. Là encore, il s'agit de protéger les ouvertures de la pluie, mais aussi du soleil. Il est bien désagréable de se coucher dans une chambre surchauffée. D'autant que l'isolation n'est pas une préoccupation prioritaire pour les thaïs, et que le gradient de température entre le coucher et le lever du soleil dépasse souvent quinze degrés : un pilou ou une bonne couverture s'impose au petit matin en hiver si la chambre n'a aucune inertie thermique.

Malgré tout, j'ai noté que les maisons en béton étaient plus hautes de plafond que les maisons occidentales. Jusqu'à trois mètres - alors que les thaïs sont plutôt petits. La raison en est simple : l'air chaud s'accumule en hauteur, et le nez à mi-hauteur, on a moins chaud.




Traditionnellement, les toits sont en tôle. Quand il pleut fort, ça fait un bruit assourdissant. Maintenant, les gens préfèrent les toits faits en plaques de matériaux synthétiques, de toutes les couleurs. On voit pas mal de bleu, et assez peu de blanc, alors que le blanc aurait un effet radical sur la réverbération de la chaleur à l'intérieur de la maison. Ces toitures sont plus durables que les tôles qui finissent par rouiller. Les matériaux synthétiques imitent les tuiles, ou sont en forme de cannelures. Pour moi, ça fait polonais…

C'est un choix tout aussi peu fonctionnel qui détermine la couleur des vitres des fenêtres. Il est très difficile d'obtenir du transparent neutre dans les magasins. La plupart des fenêtres sont teintées en bleu, ce qui est absurde en termes d'isolation : plus elles sont sombres, plus elles font entrer de la chaleur dans la maison.




Du fait de la température très agréable qui règne dans le pays, la vie "à l'intérieur" n'est pas privilégiée. Ce qui explique probablement pourquoi les maisons que j'ai pu visiter m'ont paru assez sombres. Peut-être aussi du fait qu'on évite tant qu'on peut de les construire à l'ouest et au sud - nos orientations préférées en Occident - car la température monte très vite en fin d'après-midi. On préfère le nord ou l'est.

Les fermes en bois traditionnelles surélevées bénéficient souvent d'un rez-de-chaussée en parpaing qui couvre une plus ou moins grande partie de l'emprise au sol. Sans doute bien pratique, mais désolant sur le plan esthétique. Le parpaing nu ne provoque aucune phobie, même si on le préfère enduit au ciment et peint.

Les termes thaïs pour décrire les pièces de la maison ressemblent aux nôtres. Traduit littéralement : salle à dormir, cuisine, salle à manger (l'un des mots utilisés s'écrit comme le mot aumône, j'ignore s'il y a un sens originel commun), salle d'eau, de bain, salle d'invités (salon).




Je n'entrerai pas dans les techniques de construction. Elles sont très différentes des nôtres. Mais ce n'est pas mon propos.


Il y a un ornement traditionnel rural qui se perd dans la région. Ce sont ces genres d'élytres qu'on trouve sur les toits :




Elles se déploient dans le sens frontal, et on ne les confondra pas avec cet autre ornement traditionnel (surtout des temples) :



 
Ce qui frappe le voyageur qui arrive dans une ferme, c'est la présence de cinq ou six énormes bombonnes, dont chacune doit bien contenir un mètre cube d'eau. Ce sont les réserves d'eau de pluie, recueillies par le toit, destinées à la boisson et au lavage et à la cuisson des légumes. Pour la toilette, on utilise l'eau publique, généralement puisée dans un étang des environs (ce qui fait qu'il est mal vu de se baigner dans les étangs) et apportée par le service municipal. Elle n'est pas potable a priori. Étant donné qu'on peut voir passer quatre mois sans une goutte de pluie, il vaut mieux avoir des réserves. Même l'eau municipale peut se faire rare.



Évidemment, quand on dort au premier étage et qu'on est réveillé par une envie de lansquiner au milieu de la nuit, on serait tenté de le faire par la fenêtre. On risque d'arroser un toit utilisé pour le recueil d'eau de pluie : source, oui... mais source de problèmes diplomatiques graves - je déconseille.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire