mercredi 22 juin 2016

Joie, doutes et terreurs à la ferme


Les Louboutins de ma fille

Je suis revenu dans mon village près de Korat après sept semaines d'absence. Je suis resté un peu plus longtemps que prévu en France du fait des incertitudes dues au grèves. D'ailleurs, je n'avais pas assez d'essence pour me rapatrier vers Roissy. Voilà que je cherche des excuses, maintenant…

Tu me demandes comment se sont passées les retrouvailles avec Fon et Nam. Très bien !... Mais ce n'est pas si simple. Si Fon s'éloigne de plus en plus des charges épuisantes de la première maternité et retrouve le pep qu'elle avait avant sa grossesse, Nam en revanche…

Nam va bien, incontestablement. Elle se développe bien, elle est sociable, souriante. Les inquiétudes péri-natales que nous avons eues sont oubliées : les petites malformations cardiaques et artérielles sont sans doute rentrées dans l'ordre, de même que son immaturité hépato-cellulaire, due à sa prématurité. Nous ferons plus tard des examens de confirmation - rien ne presse. C'est une enfant solide. En ce moment, elle ne rêve que de marcher – et elle n'en est pas loin.

Pendant mon absence, je la voyais grâce à Skype, et il me semblait bien qu'elle me regardait. Ou regardait-elle le téléphone de Fon ?

Mon retour n'a pas été accueilli par un enthousiasme débordant, au contraire. Il m'a semblé que Fon avait peur de moi. Certes, je sais bien qu'il y a une « angoisse du huitième mois », durant laquelle les bébés les plus sociables pleurent quand un inconnu s'approche et « collent » à leur mère plus que de raison. C'est sans doute le moment où les circuits de reconnaissance des visages commencent à être vraiment au point, et que chaque figure familière s'individualise dans les souvenirs - les "stocks mnésiques".

Mais la comparaison avec la famille de Fon me rend un peu triste. Nam n'a aucune peine à faire un grand tour de la maison toute seule dans les bras de son oncle, à rester avec son grand-père ou sa grand-mère. Avec moi, elle veut bien s'amuser et rire, et nous avons renoué avec les pseudo-conversations faites de cris et syllabes répétées, de grimaces en miroir. Parfois - pas assez souvent à mon goût - elle va jusqu'à ma chaise et me regarde d'un air comminatoire : «qu'est-ce que tu attends pour jouer avec moi ? »

Mais la plupart du temps, quand je la prends dans mes bras, elle se met à pleurer. Très vite, elle veut retourner dans les bras de sa mère. Et si Fon disparaît de sa vision, ce sont des hurlement, systématiquement. Fon est le médiateur obligatoire. Ça finit par être angoissant. Outre que je ne peux pas aider Fon en gardant Nam.

Hier, nous sommes allés rendre visite à Rye, l'australien. Nam est restée tranquillement dans les bras de Nisa, sa femme. Mais quand Rye s'est approché d'elle, Nam a fondu en larmes.
« Elle n'est pas habituée aux visages des farangs », m'explique calmement Fon.

Oui, j'ai souvenir d'avoir lu dans un livre remarquable de Steven Pinker sur les caractères innés et acquis (The blank slate) qu'une étude sérieuse avait mis en évidence des comportements différenciés chez les bébés en fonction de la couleur de peau – bref, que les bébés étaient naturellement racistes. Rien d'étonnant que Nam ait un mouvement de recul et de méfiance devant ces visages différents, ces personnages bien plus grands et massifs que ne sont les thaïs.

Alors bon. Je sais. Ce n'est qu'une question de temps. Restons philosophe.

Au fait, tu sais, Nam enseigne les danses thaïes traditionnelles

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