mardi 8 novembre 2016

Faire le bien en se faisant du bien




Un temple au sud de Korat


Depuis trois jours, des voisins font un vacarme incroyable de cinq heures du matin à neuf ou dix heures du soir. Alternance de musique traditionnelle, de psalmodies bouddhistes, de discours, de musique plus récente, languissante et sucrée. Quand je dis "des voisins", ils sont bien à trois cent mètres, mais le tir de leurs hauts parleurs est si puissant que je les croyais beaucoup moins loin.

Pourquoi un tel déploiement de décibels ?

Dans chaque village, les habitants aisés organisent une fête une fois l'an, à tour de rôle. L'un d'entre eux loue des grandes tables, des chaises, des couverts et des assiettes, une sono ultra-puissante. Il fait venir des aides de cuisine, des musiciens et des chanteurs. Il orne sa maison avec des draperies et guirlandes de couleurs vives. Il envoie un carton d'invitation avec enveloppe nominative et programme détaillé à toutes les maisons du village. Et il achète de quoi nourrir tout le monde. Les mauvais esprits (dont je fais partie) diront qu'il y a de l'étalage social dans l'air.

Pour être la maison qui organise une année donnée, il faut s'inscrire longtemps à l'avance. La demande se fait au temple, car c'est avant tout une fête religieuse : le "tham boun". Littéralement "tham boun" veut dire faire le bien, gagner du mérite, devenir plus vertueux - impossible de traduire correctement.

Il m'est difficile de comprendre qu'on puisse faire des célébrations religieuses sans s'adresser à un dieu. J'ai été dressé à une religion-dialogue, un rapport s'il-te-plait/merci : on demande à Dieu, on le remercie en le vénérant - on remercie même si on a rien demandé : on remercie d'avoir été créé. Même dans les cultes polythéistes les plus anciens, les hommes s'adressaient aux dieux, ceux de la forêt, d'une maison, d'une montagne. C'est dire si le pli est pris depuis longtemps.

Les bouddhistes, eux, ne parlent à personne. Ils n'ont pas de relation avec une divinité. Selon leur dogme, l'univers est régi par des lois spirituelles. Pas une loi divine. Non : des principes auxquels il faut obéir - auxquels on a intérêt à obéir. Qui a conçu ces principes : on ne sait pas. Ils font partie de l'essence du monde. Mais un homme les a organisés par sa perspicacité et sa richesse intérieure : Bouddha. Et il les a livrés à ses contemporains.

Dans les préceptes naturels, il est dit qu'on doit être bon. Pourquoi ? Ce n'est pas utile de le savoir. Être bon, c'est comme la loi de la gravité, il faut la respecter, ou les trucs vous retombent sur la tête quand on les lance en l'air. C'est aussi simple que ça, et imparable. D'ailleurs, toi qui fais le malin, tu as résolu le problème de la gravité quantique ? Tu sais comment ça marche ? Non. Mais tu respectes quand même les lois de la gravité - donc sans comprendre.

Une porte gigantesque au milieu de nulle part   
Dans tous les cas, l'idée qui sous-tend le tham boun, c'est de gagner des bons points pour sa vie future. Il y a là quelque chose qui choque ma mentalité occidentale : ça ressemble trop à de la simonie. Mais bon, je ne peux pas comprendre.

Alors, les moines du temple viennent chez le voisin prêcher et pour psalmodier - mais ce ne sont pas des psaumes. Ils ne prient pas non plus, puisqu'il n'y a personne à prier, le ciel est vide. On ne peut vraiment dire non plus qu'ils incantent, même si ça y ressemble, car ils ne s'adressent à personne. Ça doit être un exercice de méditation personnelle... pratiqué en public. Et quand ils repartent, c'est avec des offrandes importantes données par l'hôte, mais aussi par l'assistance.

La vie religieuse est étroitement liée la vie sociale. Le "tham boun" est une fête annuelle du village où l'on peut aussi inviter des amis qui habitent ailleurs, de la famille lointaine. Sur le carton que Fon a reçu, il y a une dizaine de noms, hôte, habitants de sa maison, et cousins qui ont organisé la fête.

Celui qui passe dans la rue par hasard peut entrer. Loin s'en faut que tous les habitants du village ne soient là - d'après le nombre de chaises, et même en imaginant qu'ils s'asseoient par terre. Mais chaque maison envoie une ou deux personnes, qui passeront plus ou moins de temps chez l'hôte, parfois juste une demi-heure. Si personne ne vient, la maison est considérée comme de peu de foi bouddhiste - cela ne se produit jamais ! Le tham boun est un facteur de lien social mais aussi de contrainte religieuse.

Sur trois jours, on n'ira qu'une seule fois au temple - ce n'est pas énorme. Le reste du temps, on écoute divers discours. Le maire du village passe et y va de son petit speech. Tout le monde peut prendre la parole. On passe aussi beaucoup de temps à manger - il faut préparer d'énormes plats et c'est une mise à contribution importante des femmes, même si l'hôte emploie aussi des aides de cuisine qu'il rémunère.

Les parents de Fon - au moins la mère - aimeraient bien faire "boun", mais ils sont trop pauvres. Alors elle va aller faire la vaisselle bénévolement, pour participer, gagner du mérite.

Tu seras peut-être étonné de ne pas trouver de photos du tham boun ici. J'y suis allé, avec mon appareil photo. Mais bon, je ne suis pas journaliste. Et j'ai trouvé ça si laid ou du moins si peu conforme à mes goûts de bourgeois français que j'ai jeté l'éponge. Il y a certainement plein de bonnes photos de "tham boun" sur le net.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire