dimanche 19 février 2017

Echec et mat à Ko Kut


Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des cœurs en adoration
Roulent comme l’encens sur un jardin de roses.

Ami lecteur, toi qui rêves d'une île paradisiaque et de vacances éternelles, lis le récit de ma déconfiture !

Je me prenais pour Robinson, et j'étais sûr de me plaire là-bas, à Ko Kut. J'adore la mer, je nage des kilomètres pour le plaisir, je suis fan de planche à voile, je suis redevenu le malade de chasse sous-marine que j'étais lorsque je vivais aux Antilles.

Pourtant, nous avons largement anticipé notre retour, et nous revoilà à Korat. Après quatre mois sur l'île, l'ennui, la déception. Pourquoi ?

L'île est magnifique, encore sauvage, la côte n'est pas abîmée par des rangées d'immeubles ni même de maisons, le nombre de touristes est raisonnable. Les eaux sont claires comme on en rêve. On peut faire des chasses décentes en partant du bord.

- Alors que s'est-il passé ?
- J'ai sans doute surestimé mes capacités d'austérité... ou mes richesses intérieures !

A Ko Kut, il n'y a qu'une seule route, et elle ne passe pas le long de la mer, sauf en deux points brefs. La maison que nous avons louée n'était pas en bord de mer - peut-être que si elle l'avait été, j'aurais été plus patient. Mais à Ko Kut, les maisons particulières sur la côte se comptent sur les doigts d'une seule main : il n'y a que des hôtels. Étrange structure, une île où il n'y a que des hôtels et quelques pêcheurs !

Dans les faits, seuls les locaux et les richissimes consortia de Bangkok ont le droit de construire ici. Il ne viendrait pas à l'idée d'un local d'habiter au bord de la mer - loin de la route. Mais il faut rentabiliser à tout prix : alors les hôtels poussent comme des champignons... Quant aux quelques maisons de pêcheurs, elles sont sur le domaine maritime - sans aucun droit ni document légal : pour combien de temps encore ?

Du nord au sud, une vingtaine de kilomètres, sept dans la plus grande largeur, Ko Kut est une toute petite île dont 90% de la surface est inaccessible - ni en voiture, ni à moto, ni même à pied car couverte de forêts impénétrables. A part trois chutes d'eau qui sont assez banales, le port de pêcheurs sur pilotis et ses restaurants pour touristes, il n'y a rien à voir. Quand elle n'est pas interdite par la végétation, la côte est bordée d'hôtels - on en épuise vite les charmes.

Reste la mer.

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Mais pour la planche à voile, c'est la portion congrue. Il n'y a que deux endroits pour la mise à l'eau. L'un est encombré de touristes comme la plage de La Baule en juillet. L'autre est bordé de deux pointes escarpées qui perturbent le vent. Ces deux spots sont orientés plein ouest. Le vent est faible ou irrégulier, et il n'y a pas de solaire. Dominant, il souffle offshore, poussant dangereusement vers le large : en cas d'avarie, les perspectives sont peu engageantes - d'autant que la solidarité des gens de mer ne joue pas comme en Bretagne, j'en ai fait la décevante expérience. En fin de compte, on a très rarement de bonnes conditions.

La mer n'est pas le meilleur endroit pour la natation sportive. La moindre houle, les vagues rendent moins agréable la nage, surtout le crawl qui nécessite une bonne stabilité horizontale. A Korat, l'immense retenue d'eau où je pratique est bien plus agréable. On peut y faire une boucle le long des berges - c'est plaisant. L'eau n'est pas salée, on a moins soif. Elle est souvent glassy, et on se voit avancer sur un miroir, le long des herbes. Les abords de cet étang sont déserts et on ne croise personne lorsqu'on se met à l'eau : petit moment de recueillement avant l'effort…

Le jogging est aussi plus agréable au milieu des champs de riz et des mares couvertes de nénuphars de l'Isan. A Ko Kut, on ne peut courir que sur la route. Il y a des chiens tous les vingt mètres - pas méchants, mais si bruyants ! Et les pentes successives très abruptes ne permettent jamais de courir en laissant développer, zen, la tête dans les nuages.

Les souvenirs en vrac d'un vieux Jules Verne,
Livre ou je me noyais dans des gravures ternes...

A Ko Kut, question magasins, il y a le minimum vital. On peut acheter quelques légumes, quelques fruits, toujours les mêmes. Jamais de frais à cause du transport. On ne trouve pas grand-chose dans les deux quincailleries locales - tout achat de matériel nécessite de retourner sur le continent. Je suis puni par là où je pèche : les foies de poulet grillés et le jus d'oranges pressées qu'on vend dans les rues me manquent cruellement. Les restaurants sont médiocres, ou bien bruyants, avec de la musique pour les touristes - ou les deux ! Cela paraît dérisoire, je reconnais. Mais on vit aussi de ces petits plaisirs.

Notre maison, plaisante d'aspect (rose, reconnaissable de la route à ses balustrades de vieux bois et de roues de charrettes, etc.) n'était pas très confortable. On nous avait promis la réparation de l'air conditionné - il a été aussitôt mis en pièces par les troupeaux de souris qui vivent dans le grenier et sur les balcons - des grosses, des petites, dont la propriétaire connaissait forcément l'existence et le pouvoir de nuisance. Réfrigérateur faiblard, eau montée par une pompe asthmatique, douche qui pleure, absence totale de meubles de rangement, matelas épais comme un téléphone portable (ancienne génération, quand même)… Ok, je peux vivre à la dure, mais à la longue, l'absence de confort use. La propriétaire s'est montrée malhonnête et menteuse - à fuir à tout prix.

L'internet qu'on nous avait promis pour le mois suivant notre installation - nous n'en avons jamais vu la couleur. Alors je me suis dépannée avec l'internet du téléphone, obligé de vérifier le niveau de la carte, sinon l'opérateur boulotte sans crier gare toutes les réserves qu'il y a dessus… Tous les cinq ou sept jours, obligé de remettre de l'argent, puis de recommander un forfait en tapant 184 chiffres de suite. Et un débit à la noix si on ne prend pas le plus cher. Petites choses encore, mais pénibles au fil du temps.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs...

A Ko Kut, il n'y a pas d'expats, il n'y a que des touristes. Certes, moins nombreux qu'à Samui, moins laids qu'à Pattaya… mais quand même. Toujours présents, répandus comme un herpès qui se rappelle juste au moment où tu y penses le moins, et vient troubler ta sérénité. Tu sais ce que j'en pense, des touristes… Pas désagréables, pourtant. Mais instaurant cette atmosphère niaise de repos forcé, de sottise latente, d'excitation factice, de vulgarité internationale... non merci. Avec les expats, on peut parfois partager - avec les touristes, quelle conversation possible ? La température de l'eau ? La taille de la chambre d'hôtel ? Réfléchis... et appelle-moi si tu trouves !

D'autres facteurs, cette fois relatifs à Fon, ont précipité notre retour. L'impossibilité de se lier avec les autochtones qui se connaissent tous et forment un monde fermé. Pas d'aide pour garder Nam - alors que la grand-mère juste à côté, à Korat, c'est si pratique ! Pas de Mall, pas de Terminal 21 aux arcades fraîches pour lécher les vitrines de fringues, juste pour le plaisir…

Alors voilà, je mange mon chapeau. Ce n'est pas la retraite de Russie, on n'a perdu personne en franchissant les eaux glaciales du golfe de Thaïlande. Mais la honte suprême : en arrivant, on était content de traîner dans les rayons du Tesco de Trat !

Tu parles d'un vieux trappeur !


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