dimanche 19 novembre 2017

Chassez les marchands du temple !



Selon les canons européens, ces paquets sont flashy, moches, cheap et tristounets.

Il y a en Thaïlande des petits magasins qu'on aurait autrefois appelé bazars en France. On y voit des statues de bouddha, des chapelets de fleurs à vocation religieuse. Mais ce ne sont pas pour autant des magasins de bondieuseries. Si on regarde bien sur la photo plus bas, on aperçoit des moustiquaires, une table pour enfant…

Dans ces bazars, on trouve des choses qu'on ne trouvera nulle par ailleurs au monde. Je vois que tu dresses l'oreille. Tu sens que je vais te livrer le secret de certaines raretés thaïes, des productions artisanales extraordinaires - trésors qu'il faudra précieusement rapporter en France comme la tête du Bouddha que tu as volée à Angkor Vat.

Non ! Ce sont des conglomérats de banalités. Des paquets qui contiennent des tas de petits trucs, enveloppés dans du plastique transparent ou des feuilles de bambou découpées et tressées. Mais ces paquets attirent l'œil, car ils sont ornés de gros nœuds jaunes ou roses.

Alors je m'arrête et je liste : du liquide vaisselle, des médicaments contre la toux, d'autres contre la douleur, de la tisane, un versoir en métal cuivré, du Nescafé, des cotons-tiges une boîte à savon et le savon qui va avec, de l'eau potable en bouteille (un quart), une lampe torche, des bâtonnets d'encens, des bougies, des brosses à dent, du dentifrice, des spirelles à brûler pour écarter les moustiques, des kleenex, du lait en boîte métallique, du chocolat à boire, des boissons au gingembre (hum... c'est pourquoi ?)

Aucun paquet n'est semblable à son voisin, et il y en a pour toutes les bourses, en gros de cent à trois cent baht, soit deux euros cinquante à sept euros cinquante : assez cher pour un porte-monnaie rural, qui laissera sortir vingt baht au wat lors d'une visite pieuse. 
- Alors c'est quoi ? Un kit de survie pour naufragé de rizière ?
- Presque. Ce sont des colis que les gens achètent pour offrir au temple.

Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.                          Ici, la porte est large.

Est-ce que le commerçant, du fait de la destination sainte du colis, renonce à faire des bénéfices particuliers et vend le paquet un prix décent, sinon bradé ? Je n'en sais rien, je n'ai pas fait le calcul du coût de la somme des objets achetés individuellement. Je sais que les populations locales ne le feront pas non plus. D'abord parce que souvent, dans les campagnes, on calcule avec difficulté. Ensuite parce qu'en Thaïlande, ce qui est, est, et n'est donc pas contestable, car tout ce qui est devient du fait même une institution (tu peux rigoler, mais il y a plusieurs années de Thaïlande derrière mon charabia). Enfin parce que discuter du prix d'un ex-voto, ça sent déjà le sacrilège.

Peut-être le commerçant profite-t-il de l'absence de contrôle pour fourguer tous ses vieux rossignols et produits en voie de péremption ? Ou non, peut-être qu'il participe à la ferveur populaire par une offrande d'autant plus méritoire qu'elle reste secrète ?

Déception. Selon Mai, c'est vendu plus cher que cela ne devrait, car ces produits qu'on offre au temple sont vraiment de qualité très médiocre. Tout vient d'un genre d'usine spécialisée dans la confection de ces paquets. Avec tout ce qu'on trouve au rabais. Et tant pis pour les moines.

Voici venir une femme au visage cuivré, complètement ridé par le soleil. Elle a à peine dépassé les cinquante ans. C'est ma voisine, la femme d'un cultivateur local dont le fils est mort - un accident de la route, évidemment, ils n'arrêtent pas de se tuer en voiture, ces cons, totalement bourrés au lao. Six mois se sont écoulés depuis la crémation au temple et la petite fête avec les voisins, plutôt source d'humiliation que de réconfort, car ils ne roulent pas sur l'or.

Elle passe devant le magasin et voit les paquets flashy. "Ce serait bien de faire tamboon", se dit-elle - tamboon, c'est une offrande propitiatoire : acheter des grâces pour la vie future.
"- Comme c'est joli..".

Alors elle ouvre le porte-monnaie où elle serre quelques billets de la sainte farce. Oui, en ajoutant les billets verts, elle en aura assez pour acheter le paquet à cent bahts. Elle entre dans le magasin, pleine de ferveur…

Je sais, c'est dans l'ordre des choses. Mais voir la médiocrité humaine dans tous ses états, l'exploitation de l'innocence, même pour une cause qui est loin d'avoir ma sympathie - ça me fait monter les larmes.


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