lundi 27 novembre 2017

Les tristes maths du riz




Ne jette pas ton mégot par la fenêtre, s'il te plaît !

Il y a comme une excitation qui parcourt ma campagne. La récolte du riz se termine. Des moissonneuses colorées montées sur des semis circulent un peu partout. On coupe la paille restante pour le fourrage des bêtes. Les femmes étendent le riz sur le sol pour finir de le sécher - tous les ans, les villages cimentent de nouvelles surfaces pour les cultivateurs. Sinon, c'est dans la cours de la ferme, et s'il le faut, carrément sur la route, je l'ai vu faire !

En rentrant de mon étang, je tombe sur un moulin communautaire (ou banal ? j'ai un doute) : une petite installation où les paysans apportent leur riz pour le faire battre. C'est gratuit, mais le propriétaire du moulin a droit de garder la balle (pour les animaux) et le reste de riz cassé par l'opération. Il n'en vivrait pas, il a d'autres métiers.

Dans l'amper  (l'arrondissement) où je me trouve, on ne fait qu'une récolte de riz par an : le climat est trop sec pour en faire deux comme du côté de Bangkok, bien plus arrosé.

Le père de Mai possède quatre hectares (10 acres). Le riz est de qualité variable selon les années, en fonction du climat et de la voracité des insectes. Quand il vend 12 ou 13 baht le kilo (non battu), il est content. Mais quand le riz est médiocre, les prix descendent à 8 ou 9 baht au kilo, soit 20 centimes d'euro.

Le séchage du riz - sinon, il sent mauvais

Il ne possède aucun équipement. Il doit donc faire appel à une moissonneuse qui lui prend 6000 bahts pour l'ensemble de sa terre. Et au camion du cousin qui prend 1200 bahts car les champs sont loin de la ferme. Ne t'inquiète pas, je traduirai en euros plus tard si tu es noyé.

Plus tard, il devra faire labourer les champs, ce qui lui coûtera 6000 baht - il suivra derrière la machine, accomplissant l'auguste geste du semeur. Il faudra aussi acheter du fertilizer, pour 5000 baht. Bien sûr, la semence est prise sur ses réserves - peut-être 200 kg.

Au total, les frais annuels s'élèvent à 6000 + 1200 + 6000 + 5000 sans compter le prix de la semence. Donc 18 200 baht, soit au cours arrondi de 1 euro pour 40 bahts, 455 euros. C'est 40% de l'ensemble de son revenu.

Elle a l'air flambant neuf. Mais regarde les chenilles : elle a déjà bien servi.

Car ses gains sur l'année ne monteront pas au delà de 30 000 bahts, soit 750 euros nets par an - 62 euros par mois, oui, tu as bien lu. Les mauvaises années, ses gains plafonnent à 20 000 bahts (500 euros). On est proche de la disette.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que cultiver le riz n'est pas pour lui un moyen de gagner sa vie, c'est le moyen de remplir son assiette. Le surplus est vendu quatre ou cinq fois par an - avec un cours du riz fluctuant et totalement imprévisible.

Après, il faut payer l'électricité et l'eau (non potable). Peu, mais encore trop pour le foyer. Il n'y a pas d'impôts, pas de taxes, pas de voirie, évidemment pas de chauffage - mais parfois une bouteille de gaz qui complète le feu de bois pour chauffer l'eau et cuire le repas.

Avec ce qui reste, le père de Mai nourrit sa femme qui s'occupe des bêtes et fait la cuisine. Autrefois, il fallait subvenir aux besoins de ses enfants. Maintenant, le fils a un travail à la ville à la DDE, et aide la famille.

Le père de Mai a un autre moyen de gagner un peu d'argent : les saillies de son zébu, à 500 baht la saillie (12 euros). C'est intéressant... dommage, le zébu ne va pas à radada tous les jours, loin de là !

Sinon, rien. Ils ne vendent pas les œufs de la ferme, ils les mangent. Ils trouvent du poisson en asséchant des mares - une fois par an. Le jardin produit quelques fruits, on se nourrit beaucoup de lianes, de feuilles - qui ne sont pas très bonnes.

C'est comme ça qu'on vit ici.

Le riz est omniprésent à table - comme autrefois le pain était la base sinon l'essentiel de tout repas français. Mai m'a préparé un plat exotique - pour eux et pour moi : de délicieuses pommes de terre au curry, accompagnées de riz. En thaï, pommes de terre se dit man-farang, qu'on traduira librement par "truc d'étranger".

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