mardi 28 août 2018

Un bonheur et trois malheurs sur le golfe de Thaïlande (histoire - suite et fin)


L'envie de quitter une île...
Sonnerie insistante... A tous les coups, c'est Poon qui appelle. Le téléphone n'est donc pas noyé !

Je vais décrocher la pochette étanche qui pend toujours sous le moteur. Debout au milieu du bateau, j'essaye d'ouvrir le sac rose couvert de gouttelettes. Pas facile, avec des mains que le bois des avirons commencent à engourdir. Les gros gants de pêche n'arrangent rien, je vais en enlever un. Je tire le bout du doigt avec les dents. Et là, mauvaise vague, je titube, quelque chose m'échappe, je crois serrer le téléphone alors que je serre le gant. Le téléphone, lui, est tombé sur le bordage, et rebondit dans la mer.

- Merde !

Furieux. Puis inquiet : si j'étais en pleine possession de mes moyens, ce ne serait pas arrivé. J'ai déconné. Il n'y a plus rien à faire. Je me rassois. Je remets mon gant. Je reprends les avirons et je rame tristement.

J'ai vu passer des bateaux, à un demi-mile. Mais il ne fait pas nuit, on en est loin, je n'ai pas envie de laisser tomber. Il faut que j'y arrive tout seul, que je voie la limite - pour savoir - pour une autre fois. Pour l'instant, je ne suis pas épuisé.

En cas de remorquage, le Droit de la mer est clair : sauf accord préalable, l'embarcation sauvée et son chargement appartiennent intégralement au sauveteur. De cela je n'ai pas envie non plus, même si je sais qu'on s'arrange toujours.

Je me sens gagné par une sorte d'abrutissement. Je regarde les amers. Ça n'avance pas. Quand même, le terminal d'huile de palme devient un peu plus visible.

Rien ne se passe. Je rame. J'ai maintenant très mal à la racine du pouce droit. J'inverse les avirons, et assez vite, j'ai mal à gauche. J'ai aussi attrapé un coup de soleil sur le crâne…

Le terminal désaffecté, avec sa tonne à droite. Le propriétaire est en prison - il a fraudé le fisc.

Du raz de l'eau, les superstructures du terminal sont imposantes, comme une monstrueuse araignée en pleine mer. Quelques dizaines de mètres encore. Je détache le boute de l'ancre et je m'amarre à une échelle rouillée. Et je me repose, la tête sur le poisson, les jambes écartées, les pieds sur le plat-bord. Il n'y a pas beaucoup de place... Grincements d'élingues contre les poutrelles. Cris sinistres des oiseaux de mer. Je regarde le ciel d'ardoise.

Poon doit s'inquiéter. Plus de six heures que je suis parti. Mais je dois récupérer.

Deux heures passent. Je n'ai pas réussi à dormir. Je reste léthargique. Le vent se calme toujours en fin d'après-midi. La mer devient d'huile. C'est le moment de reprendre les avirons.

La dernière partie du trajet a été lente et pénible. Soutenue par l'espoir d'y arriver malgré la fatigue et la douleur. Pressée par la venue du crépuscule. Maintenant, le bateau glisse bien sur la mer enfin calme. Longtemps avant d'arriver au rivage, je saute. L'eau monte jusqu'à la poitrine. Le fond est plat. Je suis content de retrouver la "terre ferme", la boue solide de notre baie.

Derrière moi, la Dédaigneuse que je tire par son boute d'ancre, comme un animal docile. Nous rentrons tous deux sains et saufs. J'ai réussi.

Je vois Poon sur la plage qui me fait signe. Il y a aussi mon ami John, le néo-zélandais, et sa nouvelle petite amie.

Je remue les bras. Je traîne le bateau sur la vase. Je pose les ancres à l'avant et à l'arrière. Je suis crevé mais tout va bien. Et j'ai ramené du poisson. Poon ne dira pas que j'ai rapporté soon. Je prends le gros poisson par la queue, mon fusil de l'autre, et j'arrive à la ligne de sable, fier comme Artaban.

Sur la route, mon pote Moo, le pêcheur, et d'autres gens que je ne connais pas. Moo me jette un drôle de regard, il n'est pas exubérant comme d'habitude - il est presque sombre : pourquoi ?

Les autres descendent sur la plage. Je remarque l'écusson du Parc National, en haut de leur manche droite. Ils me regardent d'un air neutre. Ils montrent le gros poisson du doigt, puis le fusil. Mon beau fusil de carbone. Ils me font signe de leur donner. Ils disent quelque chose que je ne comprends pas. L'un d'eux me tend des menottes ouvertes...

Une semelle de tong violette stratégiquement placée au niveau de l'appendice xiphoïde : pour se fondre avec élégance dans les bancs de poissons tropicaux ? Non, pour appuyer l'arrière du fusil quand on l'arme. Sinon, ça fait un mal de chien.

9 commentaires:

  1. Bonjour,

    Espèce de carangue que je me souviens pas d'avoir pêché. Mon record est une ignobilis de 27 kg sur fil de 50 Lbs.

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    1. Et j'oubliais Que s'est il passé après la présentation des menottes ouvertes ?

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    2. Salut Thiof,
      Magnifique, une ignobilis de 27 kg... un monstre ! C'était sur quel type d'embarcation ? Je suppose, pas facile à monter à bord.
      Celle qui est sur la photo est, je crois, une golden trevally (carangue dorée, mais je n'ai pas de bouquin en français, "belle machoire en latin"). Je ne suis pas certain à 100% car la plupart des photos montrent des sujets jeunes quand ils sont beaucoup plus rayés de jaune.

      Et pour la suite de l'histoire... tu as bien compris que cette histoire ne pouvait que se terminer en queue de poisson. Malheur à ceux qui pêchent en zones interdites !

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    3. Bateau insubmersible de 9m motorisé en 140 cv. Facile de monter à bord, un marin attrape le bas de ligne en 80 Lbs doublé (bimini twist) l'autre la saisit à la queue et elle est à bord. Photo et retour dans l'eau.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Retour dans l'eau ? Pêche no kill ? Ou bien un poisson de cette taille n'est pas très bon ?
    Si le poisson était très profond et qu'il a été remonté rapidement, il n'a pas eu le temps d'adapter sa vessie natatoire, l'air s'est décomprimé et la vessie à explosé. J'ai déjà vu ça - triste...

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    1. Pêche no kill. La carangue ne sonde pas, elle se bat en surface et donc pas de problème de vessie natatoire. Espadon, identique, on le tient par le rostre le long du bateau qui avance doucement et le poisson récupère et se réoxygène. Quand il est prêt, on le sent à ses mouvements et il part. Le requin n'ayant pas de vessie natatoire, le problème ne se pose pas. Beaucoup de poissons de pêche sportive restent en surface. Cela se pose plus avec des poissons moyens ou alors, les très gros mérous. .

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  4. Intéressant car technique... Effectivement, l'exemple que j'avais en tête était un énorme mérou de 300 kg pêché à 100 m de fond (ce n'est pas moi qui l'ai pris !) et c'était quand même assez pathétique. Je crois qu'il a quand même nourri un village de Madagascar, c'est déjà ça !

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  5. A Madagascar, ils n'aiment pas les gros poissons (plus d'1 ou 2 kilos, c'est déjà gros. Ils aiment les petits poissons qu'ils mettent entier dans une sorte de soupe avec des herbes et quelques légumes et qu'ils font bouillir pendant des heures. Ils arrosent ensuite le riz avec cette sorte de soupe. Si le poisson est plus gros, ils jettent les filets et ne conservent que la tête et l'arête centrale qu'ils mettent dans leur bouillon. Les malgaches sont les gros mangeurs de riz. 1kg/jour/personne.

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