lundi 30 mars 2015

Petits bouts de Tchin et de porn




Le quartier chinois de Bangkok est très animé. J'y trouve l'importateur de thé que je cherchais - le Pétrossian du thé en Thaïlande. Les produits viennent directement de Chine, et c'est le meilleur qui est mis en vente, à des prix d'ailleurs impressionnants. Quand on trouve le top du top du thé noir au jasmin à quarante euros le kilo, on imagine la qualité du thé qui se vend deux cents euros. Du rare thé blanc, du Keemun de qualité extra, trente ou quarante variétés différentes. Et rien que du tcha tchin (du thé originaire de Chine).

La vendeuse me fait renifler les essences dans d'énormes bocaux remplis à ras-bord. Elle a compris à qui elle avait à faire, et elle me plonge la tête dedans, littéralement, à nez touchant, comme dans de la poudre. Au cinquième pot, je suis stone. Je casse ma tirelire, tout ce que j'ai sur moi. J'aurais eu quatre fois plus, j'aurais tout flambé, pareil. Il me reste juste de quoi prendre le sky train.

Je n'ai jamais étudié le chinois. Pendant mon bref voyage à Pékin et Tchegn Du, j'ai essayé d'apprendre à dire bonjour pour faire bonne impression aux officiels de l'université, mais comme les chinois me regardaient d'un air très gêné et très peiné, en souriant de toutes leurs dents, j'ai vite arrêté. Je serais plus persistant aujourd'hui.

On dit du chinois écrit qu'il utilise des idéogrammes. Chacun sait ce qu'est un idéogramme (qu'on pourrait tout aussi justement appeler idéographe). Ce qu'on sait moins, c'est que le thaï (comme le chinois je suppose) utilise des idéologues. C'est à dire l'équivalent oral de l'idéogramme. En bref, un mot en thaï peut correspondre à toute une famille de mots français ou anglais. Le mot thaï représente une notion. Et il peut devenir préfixe, conjonction, adjectif... suivant les besoins. Ainsi, le mot จาก qu'on pourrait transcrire phonologiquement par djak veut dire : quitter, se séparer de, en provenance de, depuis. Il y a un degré d'abstraction plus important - mais aussi (je pense) un flou plus important dans la transmission des idées, car l'interlocuteur doit interpréter. La différence entre sens propre et sens figuré s'estompe.

L'un des effets du système est une économie de mots. Ainsi, pas besoin du mot "garage", car on parle du bâtiment-voiture. Pas d'"école", juste un bâtiment-apprendre, pas de "gymnastique", mais un corps-action, tandis qu'un ami-maison est un "voisin". Ces périphrases sont possibles parce que les mots thaï, en règle générale, ne font qu'une seule syllabe.

Le mot n'est pas immobilisé par un typage grammatical. A l'opposé, dans les langues non "idéologiques", anglais, français, allemand, russe etc., un adjectif ne pourra pas (sauf exception) être pris pour un substantif, et un substantif pour un verbe, un verbe pour un adverbe.

Du fait de cette absence de typage des mots, la grammaire a beaucoup moins d'objet, en thaï, et elle est donc assez simple. Seul l'ordre dans lequel on dit les choses est essentiel, il est à peu près fixe et c'est le fil conducteur qui permet de retrouver le sens de la phrase.

C'est l'inverse en russe, où la grammaire est si prégnante, en raison notamment des déclinaisons, qu'on peut pratiquement dire les mots d'une phrase dans n'importe quel sens, on sera toujours compris. La seule nuance étant que le premier groupe nominal est celui sur lequel on veut attirer l'attention. Le français se prête moins à ces acrobaties ("Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.")

Le thaï se distingue du chinois parce qu'il n'utilise pas d'idéogrammes. L'alphabet thaï, dérivé du sanscrit, sert à constituer des phonogrammes - comme en français. B-A BA.

La particularité du thaï est sa richesse en voyelles - au moins en comparaison avec l'indonésien, pour prendre référence sur une langue voisine ; je ne sais pas ce qu'il en est du chinois, du birman ou du vietnamien qui appartiennent au même groupe linguistique que le thaï. A explorer.

A l'inverse du thaï, le russe accumule les consonnes les unes derrières les autres (jusqu'à trois voire quatre de suite ; répéter trois fois v Dniepropetrovsk). Les voyelles russes sont si maltraitées qu'elles peuvent se dénaturer, et changer carrément de sonorité suivant le cas décliné et donc l'accent tonique qui les frappe (à coup de knout).

Autre particularité du thaï : c'est une langue tonale. Mais je ne vais pas m'engager dans un cours de thaï, j'en serais bien incapable. Le but de mon propos était de mettre en lumière ces "idéologues", dont l'idéogramme n'est sans doute qu'une conséquence - et non l'inverse. Et puis les idéologues au pays du grand timonier, je trouvais ça amusant.

Ah si, un dernier mot sur la manière dont les thaï parlent anglais. En français, toutes les consonnes qui peuvent commencer un mot peuvent aussi le terminer sur le plan sonore. Le son "g" par exemple termine le mot "bague" (le "u" et le "e" sont muets), comme bag en anglais.

Entre parenthèses, on ne trouve pas un mot français où il y ait un "g" final qui se prononce, sauf des mots empruntés à d'autres langues, comme "camping", ou "erg", alors que le g de "poing" ou celui de "coing" ne se prononcent plus - sauf peut-être à Marseille. Pareil pour le "k". On trouve moujik et dock, ou bien laque et pique. Petites piquantes particularités.

En thaï, des consonnes peuvent commencer un mot, mais n'ont jamais le droit de le terminer. Elles s'écrivent en fin de mot, mais sont prononcées différemment. Par exemple la lettre s se prononce t en fin de mot. Ou bien la lettre l se prononce n. Les thaï qui ne sont pas familier avec l'anglais vont vous dire : "I eat noodeN in my hoteN near the hospitaN (je mange des nouilles dans mon hôtel près de l'hôpital). Je trouve ça rigolo. Et aussi quand ce technicien a regardé mon ordinateur : "Ah, good, it is A zut !".

A propos de langue, j'ai remarqué depuis plusieurs mois qu'ici, les noms de filles se terminaient souvent en "porn".
- Comment s'appelle votre charmante fiancée ?
- Siriporn (ou Amporn, ou Tiwaporn ou Wanlaporn ou Napaporn ou Pinporn ou Walaïporn).
- Ah ! Tiens ! C'est son nom de guerre ?

Si ce n'est pas du plus bel effet !...

Surtout si on est une jeune fille thaï - les gens ont des idées précises sur les jeunes filles thaï.
Peut-être un garçon

En fait, ces honorables personnes sont victimes d'une anglicisation de leur nom.

En anglais, la différence entre sheep (i long) et ship (i court) est fondamentale. Essayez de faire entrer un bateau dans un mouton, (a ship in a sheep), vous rencontrerez quelques difficultés, alors qu'un mouton entre sans problème dans un bateau (a sheep in a ship)[1].

En thaï, la différence est encore plus sensible. Pour tenter d'allonger le "o" final de ces prénoms, les transcripteurs ont jugé bon d'intercaler la lettre "r" (pas très sonore en anglais) entre le "o" et le "n" afin de lui donner une consonance plus proche de la prononciation siamoise ("pôôn").

Evidemment, avec l'articulation française du "r", on imagine tout de suite mademoiselle Pinporn en string sur des talons de douze centimètres, les cuisses enroulées autour d'une barre d'acier. Comment veux-tu que les filles thaï n'aient pas mauvaise réputation !




[1] On a une situation équivalente avec une salope (bitch). Si vous l'allongez sur une plage (beach), ça se passe plutôt bien. Essayez de faire l'inverse, vous encourrez la chaise électrique.

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