vendredi 16 février 2018

La conquête de Phuket (4) : hier, il est arrivé quelque chose de si terrible que...


Oui, hier, il est arrivé quelque chose de terrible à Nam.

Nous sommes arrivé dans un hôtel bien trop beau pour le prix qu'on nous en demandait. Surtout la veille du nouvel an chinois, période où les hordes sympathiques de l'Empire Céleste remplissent toutes les locations touristiques de l'Asie du Sud-Est.

Évidemment, il y a un loup. L'hôtel vient d'ouvrir... trois chambres - les autres sont en phase de finition. A nous d'essuyer les plâtres. Prendre une douche à côté de la douche, en se gardant bien de se mouiller : on risque le homard du troisième degré ! Faire sortir la famille d'escargot installée dans le relai du wifi...

Je m'étonne toujours des résistances de Fon dès qu'il s'agit de demander un service - en l’occurrence, trouver une solution à la lenteur du wifi. Elle pense que je râle (moi, râler ! Tu me connais...) et c'est très impoli en Thaïlande. Sa politique : plutôt crever de froid plutôt que demander comment on arrête la clim, coincée à -10° en dessous de zéro...

Bref, nous ouvrons la porte de la chambre pour aller voir la gérante, et Nam en a profite pour se faufiler vers le couloir qui surplombe la cour de l'hôtel.

La rambarde est en béton, percée de trous parfaitement calibrés pour permettre à un enfant de trois ans de passer à travers. Et surtout, d'avoir envie de passer à travers - trop rigolo !

Pendant que nous discutons Fon et moi, nous entendons un grand cri. Nam a disparu. Je me précipite vers la balustrade. Elle est tombée.

Trois mètres en contrebas, une pelouse dont on a apporté la terre il y a quelques semaines, un sol gorgé d'eau par les arrosages répétés. C'est à peine si Nam a quelques griffures aux genoux et aux bras. Mais quelle trouille ! Il lui faudra plusieurs heures pour se remettre. Et nous aussi. Énorme culpabilité et sommeil de merde.

Une chance qu'on nous ait fait descendre d'un étage pour mieux capter le wifi... Une chance que la pelouse ait été récemment posée et arrosée. J'imagine... avec du béton...

La gérante de l'hôtel qui était dans les parages ne semble pas concernée par le danger que représente les balustrades. Il n'y a donc pas d'enfants en Thaïlande ? Elle ne se départit pas de sa jovialité bavarde. Il ne faudrait pas en conclure qu'elle protège ses arrières en cas de contentieux : l'idée ne lui vient pas que l'hôtel pourrait être fautif.

Ni penser qu'elle manque de cœur. Elle passera le soir toquer à la chambre pour voir si tout se passe bien, et je suis certain qu'elle aurait été désolée si Nam avait été blessée.

Non, nous sommes tout simplement en Thaïlande. Après tout, Fon n'a fait aucun reproche à la gérante : le destin, qu'est-ce qu'on y peut ? En l’occurrence, ne devrait-on pas le remercier...?

"Grand comme ça, le trou. Exactement la taille d'un enfant..."

jeudi 15 février 2018

Dans la gueule du tigre



Phuket apparaît enfin sur les panneaux routiers. Les deux cent derniers kilomètres sont terribles. Plus de quatre voies, plus de lignes droites. Traversée de ces ignobles villages qui se répètent tous les cinq kilomètres et dont la seule fonction semble de vendre des pneus et des nouilles (ne cherche pas, il n'y a pas de contrepèterie).

Seule consolation, les rochers aux parois verticales qui barrent l'horizon et le ciel - cheminées de lave pétrifiée, dressées comme des pains de sucre, souvenir de volcans effacés par l'érosion. Au milieu de la mer, ces canines impressionnantes sont sur toutes les photos destination Thaïlande dans les agences de voyages - cernées par une mer bleu clair saturée photoshop. Ça en jette !

Nous passons enfin le pont qui relie Phuket au continent : un joli bras d'eau de mer, quelques bateaux qui dansent, une plage blanche déserte, léchée par des vagues lisses.

Puis c'est l'enfer. Des voitures à touche-touche sur trente kilomètres, des autocars qui pètent une fumée noire, qui se dépassent dans tous les sens. Les signes ostentatoires de tourisme, panneaux de résidences idylliques qui n'existent pas encore (pas sûr qu'elles existent un jour, au grand dam des souscripteurs naïfs), noms de plages connues du monde entier, Parc du Green et Restaurant du Golf avec ses étoiles...

Et la banlieue thaïe qui s'étire au bord de la route, bien craspèque. Plus urbanisé, tu meurs.

Avec l'impression affreuse d'entrer dans une nasse. Un flux ininterrompu dans un goulot étroit bordé de bâtiments minables. Un piège qui se referme. Claustrophobie...

Deux jours, trois jours tout au plus. Et je vais rentrer. Tout faux. Ici, c'est trop horrible. Il faut se résigner. Revenir en France. J'aurai tout tenté.

Pourtant, le mage de Chumphon ne se trompe jamais. Un souvenir me revient. L'été à la Baule, quand la France toute entière faisait de la planche, un mur de voiles bouchait l'horizon. L'impression que la baie était couverte de planches. On montait sur la sienne et on tirait à trois cent mètres du bord. Et là, plus personne. Derrière, le rideau de planchistes plus ou moins débutants qui se rentraient dedans dans la bande des deux cent mètres, tout près de la plage. Et après, la mer vide - la mer à toi tout seul.

Et si Phuket, c'était pareil ?

Restons zen...

(...et si possible doré à l'or fin)



mercredi 14 février 2018

Chez le mage de Chumphon...



 Resterons-nous en Thaïlande encore quelques mois, un an, deux ans…?

Équation du second degré qui serait résolue par la découverte de ses racines :
- une école française agréable pour Nam
- une bonne qualité de vie pour Fon et moi.

Pour le premier point, le choix est restreint.
- Pattaya et sa mer sale, son vent dangereusement off-shore, ses fonds marins médiocres, sa ville hideuse, ses russes mal élevés et ses enfants de putes : non merci ;
- Bangkok : je me suis évadé de Paris - autant éviter les sympathiques vingt millions d'habitants de cette ville ;
- Koh Samui : on y marine dans un confinement touristique et des ambiances insulaires qui ne me disent rien qui vaille : c'est là où se déroulent tous les meurtres sordides entre français...
- Phuket et ses deux écoles : la dernière chance, le mystère qu'il faut lever !

Pour la qualité de vie, il faut trouver un endroit à l'abri des flux touristiques ou de l'aigreur des retraités venus au soleil valoriser leur petite pension par la parité de l'euro. M'excuseras-tu si je n'ai pas envie de voisiner avec un vieux frontiste ?

C'est à travers son beau site (très fréquenté et référencé ici, juste à droite) que j'ai rencontré Phil, le mage de Phuket. Il habite maintenant Chumphon après avoir vécu plusieurs années dans l'île. Sa connaissance des subtilités du pays est légendaire, et nous partons consulter l'oracle.

Nous descendons vers la belle province de Chumphon et nous le rencontrons dans sa maison de bois. L'oracle tombe : il faut rechercher dans la zone musulmane de l'île si je veux être à l'abri des flux de touristes. Ou peut-être chez les gitans de la mer, dans la presqu'île de Ko Sire, à une demie heure de l'école.

Le joli homestay où habite le mage de Chumphon : tu peux aussi y passer quelques nuits, la région est belle.

Pour l'instant, les hôtels sont remplis à 95%. Nouvel an chinois, vacances scolaires : le pire moment touristique. Autant se faire une idée dès à présent. Nous retenons trois nuits du côté des gitans de la mer.

Et comme l'insomnie me mine, je fais défiler les raisons de rester en Thaïlande. Éloge d'un pays amoché par le tourisme de masse, à la culture sinon indigente du moins incompréhensible... et qui ne m'intéresse pas. Comme sa cuisine : j'aime le bordeaux avec un clacos qui pue, l'épaule d'agneau aux flageolets et j'en ai la nostalgie. Trop borné pour imaginer pouvoir trouver mieux.

Quant aux températures tropicales, elles sont bien trop élevées pour mon goût : tant qu'à rester claquemuré avec une régulation thermique, autant vivre en Russie ou en Ukraine - dont les saisons intermédiaires sont magnifiques.

Mais la vie en Thaïlande est facile. On laisse son casque sur sa moto et personne ne vous le pique. On roule sur la quatre voies sans se préoccuper des flics - juste éviter de mourir sur la route. On échange des sourires avec les gens sans être obligé de supporter leur vulgarité - on ne comprend rien à ce qu'ils disent. On ne craint jamais pour sa sécurité - et rarement pour celle de ses biens.

Comme le pays est pauvre, le marketing n'est pas bien agressif. Et comme on est à l'étranger, on ne ressent pas la déplaisante connivence de la publicité française. Pas de déclarations politiques fracassantes à la radio, pas de sottises répétées en écho par les journalistes. Des administrations peut-être corrompue et d'une logique contestable, mais en général aimables sinon arrangeantes.

Quelques soient leurs raisons, bonnes ou mauvaises, les thaïs sont gentils avec les farangs (sauf dans les zones touristiques). Il n'y a pas de stress - il y en a d'autant moins qu'on se sent loin de l'insupportable sottise ou médiocrité des administrations françaises (à l'exception de celle des impôts). Loin des plateaux téléphoniques, des escroqueries minables dont on est victime quand on souscrit un abonnement internet, quand on ouvre un compte en banque ou qu'on le ferme, et des petites lignes des assurances.

Bref, la Thaïlande ne vaut pas tant pour ce qu'elle est que pour ce qu'elle n'est pas. La Thaïlande me fout la paix. Et c'est pour ça que je l'aime.

Et puis honnêtement, il y a plus moche.



mardi 13 février 2018

Non, je ne retournerai pas en France ?


Si en plus elle se fait baratiner par les petits gars du coin...!

Nam apprend à parler, et naturellement, elle parle inifiniment mieux le thaï que le français : à la maison, je suis le seul à lui parler français, et j'échange en thaï avec Fon. Angoissant, l'idée de ne pas pouvoir communiquer librement avec ma fille.

Au-delà de la langue, il y a la culture. L'héritage français me semble plus riche que l'héritage thaï. Il lui ouvrira plus de portes. Fon en convient.

Nous décidons de quitter la Thaïlande, de rentrer en Bretagne où ma maison au bord de la mer nous attend - comme la charmante école Saint Gildas du village voisin.

Fon a obtenu son visa d'un an sans difficulté. Une date... Il est grand temps de prendre le billet d'avion.

Mais là : un énorme blocage. Impossible d'acheter ce p… de billet.

Les incertitudes de la date de retour ? Le prix un peu impressionnant (car là, il faut acheter trois billets full) ? La question de ramener ou non la planche à voile qui oblige à passer - sans certitude - par la Lufthansa ?

Prétextes.

C'est tout bête. Je n'arrive pas à me dé-scotcher. A quitter la Thaïlande.

Demain, je dirai pourquoi "on" va en Thaïlande… et surtout pourquoi je ne veux pas la quitter. Alors que ce pays n'est certainement pas plus beau que la France, que l'architecture y est catastrophique, que la nourriture n'est pas très raffinée - bien trop épicée, qu'il y fait trop chaud... j'en passe.

Je raconterai aussi quelle est la dernière chance... Car il y a une dernière chance.

Pour l'instant, je ne sais pas. Dans quinze jours, j'aurai épuisé tous les recours pour rester.

Je pars pour Phuket demain. Mille cent kilomètres vers le sud et la mer.

Je te tiens au courant, promis !


lundi 5 février 2018

Jeanne d'Arc en Thaïlande !


Au premier rang, des femmes qu'on reconnaît à la coupe de l'époque : en brosse courte, rasé sur le côté

C'est vraiment par hasard que je suis tombé sur un monument à la gloire de la Jeanne d'Arc thaïe : en pleine campagne et au milieu de nulle part.

Une Jeanne d'Arc qui n'est pas pucelle : c'est la femme du gouverneur local (début du dix-neuvième siècle). Femme héroïque qui aurait joué un rôle de premier plan dans la libération de la ville de Korat, envahie par l'ennemi birman et son vassal Laos.

On dit que les femmes déportées se serait vue confier la tâche de préparer le repas des soldats. Ya Mo - la grand-mère Mo - aurait exigé des couteaux pour la cuisine et aurait ainsi armé les prisonniers thaïs. Pendant la nuit, grand carnage, et l'armée laos, surprise, aurait pris la fuite avant d'être rattrapée par l'armée thaïe et mise en pièce.

Depuis, la grand-mère Mo fait l'objet d'un culte très actif, elle a son jour de célébration dans la ville, durant lequel la population lui colle respectueusement des petites feuilles d'or sur la figure et sur le corps - je veux dire sur la statue qui trône au centre de la ville, bien sûr ! Dévotion qu'on a de la peine à comprendre en occident tant elle est connotée de religiosité.


Les monuments qui commémorent la bataille contre l'armée laos se trouvent à quarante kilomètres de la ville, près de la route de Kon Khaen. Statues naïves, hautes en couleurs, qu'on habille toute l'année de vêtements chatoyants. Réalisme plein de vie et charmant. A part quelques détails...

Dire que le peuple thaï est un peuple guerrier est une idiotie. Les peuples se battent au hasard de l'histoire, et une troupe de ruffians qui guerroie et pille sous la direction d'un chef rusé et courageux ne résume pas la mentalité d'un peuple. La majorité des habitants de la terre, jusqu'au siècle dernier, était composée de paysans vivants en villages dont les batailles étaient motivées par le souci de protéger des intérêts agricoles contre des voisins, rien de plus.

Avec le temps, les peuples sont devenus de moins en moins guerriers, et les grandes boucheries du vingtième siècle sont des exceptions au courant qui diminue inexorablement le nombre de morts violentes sur la surface du globe depuis des siècles - les statistiques le démontrent sans ambigüité.

Début du 19° siècle : pas de mousquet, juste des lances et les sabres dont on se sert pour couper la canne.

Observation qui est d'actualité : en France, le nombre de morts violentes a diminué drastiquement au cours de ces cinquante dernières années. La mentalité thaïe offre le spectacle de ce qu'était la mentalité française il y a un demi-siècle.

On y adore la boxe thaïe comme les français adoraient la boxe anglaise et le catch dans les années 50. On se régale des combats de coqs comme autrefois en France : combats de coqs mais aussi de chiens - quant à la corrida, je ne veux pas ouvrir un débat.

Désolation guerrière chez les guerriers ennemis : l'un a le bras coupé (avec la main qui tient encore le sabre), l'autre a le thorax fendu de la clavicule à l'appendice xiphoïde du sternum - cœur tranché, mais il trouve encore l'énergie de se plaindre !

On vend des armes sur les marchés, sans restriction. On est prêt à tuer une personne qui vous a fait "noi na", le visage bas - c'est-à-dire la honte.

La violence est aussi patente dans les relations hommes-femmes vue à travers les soaps locaux : il n'est pas rare qu'une héroïne soit bousculée par son amant.

Mais les sensibilités changent. Et les statues des guerriers de grand-mère Mo nous semblent limite du mauvais goût. Laissons les thaïs évoluer à leur rythme…

Coup de sabre soigneusement appliqué sur la commissure lambdoïde : il en résulte une transsection du corps calleux et donc de menus inconvénients neurologiques (et accessoirement la mort par double section du polygone de Willis) : aïe !

lundi 15 janvier 2018

Les rêveries du promeneur solitaire


Home, sweet home ?

Aujourd'hui, Fon va rendre visite à sa tante malade avec sa mère. C'est à une dizaine de kilomètres et il faut prendre la voiture. J'irais bien car je n'y suis jamais allé. Je demande à Fon combien de temps durera la visite. Plus de trois heures, répond-elle. Flûte, je n'ai pas envie de faire le pied de grue pendant aussi longtemps, mais je voudrais bien prendre l'air. Qu'à cela ne tienne, je rentrerai en marchant, cela me fera du bien.

Aussitôt dit, nous voilà partis.  Nous empruntons la grande route de Bangkok à Khon Kaen, la mittrapap ou route de l'amitié qui se transforme en un long cimetière pendant les fêtes. Puis nous nous perdons dans des petites routes de campagne.

Nous arrivons chez la tante qui a soixante-cinq ans, et l'air d'en avoir dix de plus. Elle souffre d'une polyarthrite très invalidante, et maintenant, elle garde le lit, c'est tout juste si elle peut s'asseoir.

La maison, une cabane ouverte que protègent des toiles en plastique, est d'une pauvreté atterrante. Le plus choquant pour nos sensibilités, c'est l'absence d'ordre dans la cour. Je pense aux tanières d'animaux autour desquelles on trouve des ossements, et tous les restes de ce qu'ils ont rapporté. Ici, c'est la même chose - je sais, ce n'est pas très novlangue de le dire aussi crument.


Signe extérieur de pauvreté : le "rez-de-chaussée" n'a pas été clos de parpaings

Il faut se rappeler qu'en Thaïlande, il n'y a pas de service de voirie - au sens ville propre. On n'a jamais vu de camion poubelle - sauf peut-être dans une série américaine. Donc tout ce qu'on rapportera dans une maison au cours d'une vie de cinquante ans finira à quelques mètres de l'entrée. Ce qui est ainsi externalisé peut d'ailleurs resservir, bouts de métal, morceaux de caoutchouc, etc. On pourrait organiser, ranger. Mais non. La maison de la tante est une  jaille, comme on dit dans ma Bretagne - à la fois capharnaüm et déchetterie. Beau, pas beau : ils s'en foutent.

Après avoir fait toutes les salutations d'usage, je m'en vais. En Thaïlande, aucune étiquette ne te contraint à avoir l'air intéressé et faire de la présence. Le mari me propose gentiment de me raccompagner en voiture, mais je dis "tchop deun", j'aime marcher, merci (ce qui est considéré comme une bizarrerie typiquement farang), et je me retrouve seul sur la route, avec un sentiment de liberté qui me rend si cher ce pays.

La campagne n'est pas très jolie. L'herbe est jaune car nous avons abordé la saison sèche. Il y a un voile gris dans le ciel. Je passe près de maisons anciennes mais transformées, avec un carré de parpaings entre les poteaux qui portent la partie haute, bois et tôle ondulée. Les gens me regardent avec curiosité et me lancent des bonjours. Ils ont le sourire en me voyant.

...mais pour la photo de groupe avec vélo : que dalle !

Il ne faudrait surtout pas en conclure que le thaï est bon - comme l'homme sauvage qui n'a pas été perverti par la civilisation, alors que l'homme occidental est gâté par la société de consommation.

Je ne sais pas pourquoi les thaïs sont aimables avec les farangs, mais je peux imaginer plusieurs explications. D'abord, une forme de reconnaissance pour un monde qui produit les Mercédès et la technologie en général. Ensuite, la curiosité - car des farangs qui marchent sur cette route, il ne doit pas y en avoir des masses. Enfin les thaïs connaissent tous une fille qui a épousé un farang et qui vit maintenant dans la banlieue d'Hanovre, ou à cinq cent mètre d'ici, sur un bout de terre que le mari a forcément acheté au nom de sa femme (c'est la loi), et sur lequel il a construit une maison en dur qui ne déparerait pas à Villeneuve St George, mais qui inspire ici le respect, avec ses murs en limite de propriété et ses installations sanitaires qui vont au-delà du baril d'eau de pluie et de la cuvette en plastique. Le farang, avec sa monnaie forte, peut donc être une aubaine, ce qui lui donne immédiatement l'air gentil.

Non, le thaï n'est sans doute pas meilleur que l'européen moyen, mais le contact avec lui, pour ces diverses raisons, est infiniment plus agréable.

D'autant qu'on ne lui a pas mis dans la tête ces questions de droit à l'image, ce qui me permet de prendre une ou deux photos sympathiques.

- Heaume, sweet heaume...?      - Et mon droit à l'image, bordel !

Je passe près d'un temple (il aurait fallu tracer un chemin d'une extraordinaire complexité pour ne pas en rencontrer). Je photographie les acolytes qui gardent l'entrée - ils ont tous la même tête, mais je ne me lasse pas.

Les incinérateurs ressemblent à des locos à vapeur. Ils se ressemblent tous - mais j'en ai une dizaine de photos.

Plus loin, un étang assez joli, avec un escalier. C'est fou le nombre de pièces d'eau qu'il y a dans ma région - retenues à visées agricoles ou sources de l'eau courante pour les maisons après un filtrage sommaire. Je vais revenir me baigner ici - dans la retenue où je nage d'ordinaire, les algues se multiplient à la vitesse des grains de riz sur l'échiquier.

Je redoutais de me perdre, sans GPS, et de marcher vingt kilomètres. Mais assez vite, j'ai entendu le ronflement des moteurs sur la mittrapap. La partie la moins agréable de la promenade…


Et bientôt, Don Chompu, la haute terre rose, notre village. Promenade agréable, certes, mais qui ne me laissera pas un souvenir impérissable, sauf si le plan d'eau se révèle une trouvaille.




jeudi 4 janvier 2018

D'une idée que j'avais et qui se révèle fausse du fait de mon manque de rigueur


Garçon ! Une salade d'écrevisses à la papaye verte avec un grand verre de lait ! - excuse-moi... mais si tu avais vu comment Stéphanie s'est fait moucher par Emma devant Maxence ! Je savais plus où me mettre. D'un autre côté, faut dire qu'elle...

Nam a largement dépassé deux ans. Elle parle avec nous, elle parle toute seule, elle parle avec tout le monde - elle parle plus que son grand-père et sa grand-mère réunis - qui ne sont pas de grands bavards. Et que parle-t-elle ? Essentiellement le thaï.

Je lui adresse la parole en français. Mais à la maison, on échange en thaï (même si je me flatte beaucoup en disant que je parle thaï). Et puis il y a les grands-parents, dans la ferme juste à côté. Et la tante, ses enfants et petits enfants qui habitent la ferme voisine. Le français est minoritaire. Mais il n'est pas inexistant. Et Aude dit des trucs en français.

Le problème, c'est qu'elle les dit avec l'accent thaï !

Il se trouve que j'aime les langues et je m'y m'intéresse. J'ai lu plusieurs fois que les enfants "n'apprennent pas" à prononcer les sons. Ils ont dès le départ la possibilité de prononcer tout phonème appartenant à une langue humaine. Mais ils perdent cette faculté en apprenant leur langue maternelle, réduisant le champ de leurs possibilités phonatoires aux besoins de cette langue.

Un enfant qui entend les sonorités de deux langues différentes au moment même où il apprend à parler, on pourrait s'attendre à ce qu'il conserve la faculté d'émettre les phonèmes de ces deux langues, non ?

Mais ce n'est pas du tout ce que j'observe !

Nam rencontre en français toutes les difficultés que rencontre Fon. En particulier, cette étrange difficulté à articuler des consonnes terminales, surtout quand il y en a deux.

Exemple de dialogue avec Fon :
(moi :) S'il te plait, répète : disk.
(Fon :) dis.
(moi :) diskkkk !
(Fon :) dis.
(moi :) diskeuf.
(Fon :)  diskeuf.
L'homophonie est parfaite. Il faudrait une machine pour entendre qu'elle dit en fait "dis" suivi d'un arrêt complet infinitésimal, puis "keuf".
(moi :) diskkkk !
(Fon :) dis !... C'est quoi, diskeuf...?

Comme tu peux le constater, on ne s'ennuie pas à la maison.

De manière générale, la rencontre de deux consonnes est un cauchemar pour les thaïs. "Fence" (palissade en anglais) devient "fen" dans leur bouche. Il faut dire qu'ils ne font jamais de liaisons, tous leurs mots sont séparés : la dernière consonne d'un mot a donc moins de chance d'être sonorisée.

Pareil au milieu d'un mot : impossible de prononcer deux consonnes consécutives, et "float" (flotter) devient "fio". Va comprendre quand on te dit : "bo fio" (le bateau flotte... si, je te jure, c'est de l'anglais, mais de l'anglais thaï). Pourtant, ils prononcent ngou - le serpent - sans aucune difficulté, mais ng doit être considéré comme une seule consonne.

M'en fous, demain, je demande à Fon de répéter Dniepropetrovsk !

Bref, Nam rencontre les mêmes difficultés que Fon.

Elle utilise même en français les substitutions de consonnes terminales qui existent normalement dans la langue écrite et parlée thaïe. J'ai déjà raconté comme je riais avec Fon de son incapacité à dire "noodle" (prononcé "nouden"), ou "hotel" (prononcé "hoten").

J'ai cru halluciner quand j'ai entendu Nam faire les mêmes erreurs. Et pourtant, Fon ne dit plus nouden ni hoten depuis longtemps !

Et quand Nam récite (comme elle peut !) l'alphabet français, elle ne dit pas "u", notre bel "u" national, elle dit "ow..." Horreur ! Nam ne serait pas ma fille, mais celle d'un bloody godon ! Non ! Je n'y crois pas...

Ce qui voudrait dire qu'on m'a menti ! On se trompe sur toute la ligne ! L'enfant n'aurait pas dès le départ la possibilité de prononcer tous les sons. Et on a répété cette connerie pendant des dizaines d'années ! Si tu cherches sur le net, tu verras qu'on la répète encore aujourd'hui.

En fait, il faut être précis quand on dit qu'un enfant a dès le départ la possibilité de prononcer n'importe quel phonème. Oui, l'enfant a cette virtualité, mais la faculté n'existe pas d'emblée, elle doit être éduquée. Le câblage est là. Il faut ensuite faire les branchements.

Le contraire aurait été étonnant. Qu'un enfant puisse d'emblée avoir le contrôle de son pharynx, des muscles de sa langue, de ses lèvres, de son épiglotte, c'était stupide de l'imaginer une seule seconde. Mais il ne part pas de zéro - au contraire du singe.

Alors Nam n'a éliminé aucun branchement, elle a tous ses câblages. Mais elle n'a pas encore exercé suffisamment son système neuro-phonatoire en français pour pouvoir terminer avec panache des mots comme ballast, antitrust, glasnost ou éthylotest. Elle est encore... entre le zist et le zest !

Dans trois mois, elle entrera dans une école francophone, là où ces mots sont, comme tu sais, prononcés des dizaines de fois par jour. Et alors, elle s'y mettra.

Reste quand même la ténébreuse affaire des nouden et des hoten… La langue thaïe applique ses règles en débordant sur l'autre langue ? Étrange !

L'enquête continue…

Tou t'es voue quand t'as boue, espèce d'hourlouberlou !