Mohammad
me demande de lui téléphoner à 5h30 du matin, ce que je fais
consciencieusement, mais arrive avec une heure de retard au rendez-vous fixé à
six heures. Il semble que ce soit une habitude chez lui. J'ai loué une voiture,
et ce sera plus confortable pour couvrir la route qui mène à l'embarcadère pour
l'île Sempu. Il paraît que là-bas, l'eau est transparente et qu'on peut y faire
de la chasse sous-marine. Mon matériel est dans le coffre de la voiture.
Mohammad
semble aimer conduire. Il ne lâchera pas le volant de la journée - ni de la
nuit, car j'ai proposé de faire d'une pierre deux coups, puisque nous avions la
voiture, et de partir la nuit pour le volcan.
Une
fois sorti de la ville, on file dans une campagne très agréable. Filer est un
bien grand mot, car si on roule à soixante kilomètres heure, c'est déjà bien.
La montagne se montre plus présente, avec des décors magnifiques. Une ou deux
fois, il y a un barrage moitié ouvert qui ralentit le passage, et des hommes
avec des boîtes pour recevoir de l'argent. Pourquoi ? Mendicité organisée sur
le bord de la route ? Je n'arrive pas à obtenir d'autres explications.
En
route, nous parlons de choses et d'autres. Yuni professe un point de vue sans
doute largement représenté en Indonésie et en Thaïlande : si on compare les
japonais et les coréens, la palme revient aux coréens. Certes les japonais sont
travailleurs et industrieux. Mais les coréens, eux, ont du style. Et c'est
chez eux qu'il y a les meilleurs chirurgiens esthétiques. Une fois de plus, je
m'étonne de cette image très positive qu'a su donner la Corée d'elle-même. En
Europe, nous nous croyons le centre du monde et les rois du style. Mais ce
n'est pas ce que pensent les gens en Asie du sud-est. Ils ont leur propre
centre du monde, et ce n'est pas Londres ni Paris.
Yuni
dit qu'il vaut mieux aller en voiture qu'à moto dans les villages reculés. Il y
aurait des malandrins qui feraient des barrages et vous voleraient votre moto,
coupe-coupe aiguisé sous la gorge du voyageur. Est-ce une légende urbaine,
en l'occurrence rurale ? Yuni m'assure que non : une de ses amies aurait été
traumatisée (et légèrement blessée à la gorge par le kriss) lors d'une
rencontre de ce genre. "Il faut être à trois motos minimum pour ne pas
avoir de problème", conclut-elle. Le site de l'ambassade confirme
l'existence de ce danger.
Enfin
nous arrivons à la mer. Éblouissement. Un vague regroupement de bâtiments
utilitaires qui semblent là depuis trop longtemps. Quelques groupes d'hommes
qui fument, qui tirent des filins, qui plaisantent et parlent fort. Des tas de
corde, hauts comme un homme. Une moto qui a été sciée au milieu du siège - à
part la roue, bien sûr. L'embarcadère se trouve au milieu des bateaux de pêche,
très nombreux. L'un d'entre eux revient juste d'une sortie. On en sort une
demie douzaine de thons qui doivent bien peser soixante ou quatre-vingt kilos
et on les allonge sur le sol de la halle aux poissons, juste en face. Ils sont
jolis, avec leur petite dentelure jaune vif sur le dos. On achète des petits
thons pour le pique-nique. Je crois louer un bateau, mais je n'obtiens qu'un
passage pour l'île, où l'on nous déposera sur une plage minuscule, et reviendra
nous chercher. Yuni, qui négocie avec les pêcheurs, ne peut faire mieux.
Nous
embarquons dans un bateau en bois long de six mètres, équipé de nombreux sièges
et bien pourri. Sur le roof, deux bouées antiques en tout et pour tout. Mais l'île
Sempu n'est qu'à quelques centaines de mètres de la terre, et j'aurais pu y
aller à la nage. Arrivé sur place, je m'équipe et fais une partie de chasse d'une
heure. Un peu décevante. L'eau n'est pas claire. J'avais proposé qu'on me dépose
dans des endroits plus lointains - il y a d'autres îles, des côtes plus
éloignées - mais je me suis fait opposer une fin de non-recevoir. Je trouve
quand même quelques cailloux à cinq mètres, et je finis par tirer un poisson
d'une taille honorable, reconnu pour la finesse de sa chair. Un seul coup tiré,
qui a fait mouche - je suis content.
Pendant
ce temps, Yuni a allumé un barbecue, et fait griller les thons. Dommage qu'elle
ait enduit ces poissons d'une sauce au goût trop fort, ils auraient été
délicieux. Quand nous rentrons, une pluie tropicale s'abat sur la voiture,
noyant le paysage de gris. Décor dramatique, splendide, avec cette végétation
tropicale qui ruisselle. Il fait nuit quand nous arrivons à Malang. Nous nous
séparons après avoir convenu de nous retrouver à minuit à mon hôtel pour aller
à Bromo, là où se trouve le volcan. Il paraît qu'il vaut mieux partir de nuit
pour arriver au petit matin et voir le lever du soleil dans la montagne. Je
m'imagine à tort que je vais voir flamboyer des coulées de lave rouge et
brûlante.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire