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La bosse du zébu... |
Aujourd'hui encore, il
pleut. Il n'a jamais fait aussi froid et les premières minutes de la douche du
matin nécessitent une détermination sans faille. Fon a mis un sweatshirt qui
porte mal son nom. Par parenthèse, les français me font bien rire quand ils
parlent de chemise sucrée (sweet shirt : "mets donc ta chemise sucrée, tu vas
attraper froid"), plutôt que de cette bonne vieille chemise à sueur (sweat,
espèce d'ignare, ne se prononce pas du tout swiiiiit).
Le père de Fon revient sur son vélo, enveloppé dans une cape de plastique transparent. Sur son chapeau de paille, il a même attaché un genre de sur-chapeau de la même matière. Il est allé chercher de l'herbe pour les zébus.

Le système de paiement
direct des prestations autres que médicales se retrouve aussi en Ukraine et en
Russie (mais dans ces pays, on doit aussi donner un bakchich au médecin). C'est
inégalitaire, mais simple à comprendre et donc jamais contesté. Il faut que les
médicaments ne coûtent pas trop cher ou qu'une assurance les prennent en
charge. Certes, ce système ne permet pas le contrôle de ce qu'ingurgite le patient.
Est-ce si grave ? Une de mes amies, hospitalisée à l'Assistance Publique pour une intervention très sérieuse,
a repris des forces de façon miraculeuse à l'aide d'un régime spécial
subrepticement introduit tous les soir par des complices. Régime à base de foie
gras, de vin de Bordeaux, de tartes aux fraises et autres delikatessen,
destinés à remplacer le jambon purée desséché, la petite boule de pain caoutchouteuse,
les yaourts aux arômes synthétiques et les sinistres bouteilles d'eau minérale proposés
par l'hôpital.
A propos, la mère de Fon est une
cuisinière remarquable. Même si nous ne prenons pas les repas ensemble (ce qui
se confirme comme une pratique vraiment normale et banale), elle cuisine aussi pour
nous. Aujourd'hui, c'est un régal. Il y a trois plats : le reste d'aubergines rondes
d'hier soir (des billes vert clair, marbrées, grosses comme des balles de golf),
un plat d'aubergines longues, et un autre de potiron nain, particulièrement
délectable. Chacun accompagné d'herbes et de petits morceaux de porc
dégraissés. Quant au riz, il joue le rôle que jouait le pain chez nous autrefois
lorsqu'il accompagnait tous les plats, comme une basse continue - dans la
classe moyenne comme dans la classe pauvre.
Dans la famille de Fon,
jamais un mot plus haut que l'autre. Je n'ai jamais senti l'ombre d'une
tension. Est-ce qu'ils se forcent ? Le fils, Lamoun, a manqué deux jours de
travail la semaine dernière, du fait d'une sévère soulographie - paraît-il, je
n'ai rien vu. Fon m'en a parlé incidemment. Elle était catastrophée. Mais cet évènement
éminemment dangereux pour l'équilibre financier de la famille n'a donné lieu à
aucune manifestation visible de mécontentement.
Aujourd'hui se révèle un
mystère. Il y a près de la cuisine un arbre qui produit des fruits qui
ressemblent à des citrons verts, sinon que leur peau est toute verruqueuse et gaufrée.
Tu me diras que les citrons verts n'ont pas toujours une écorce lisse, ils sont
parfois bosselés. Mais ces fruits sont vraiment très bosselés.
Ils sentent bon, un peu
comme un citron, et j'en essaye un avec de la vodka, un jour de pénurie -
résultat décevant. Alors quel en est l'usage ? La mère de Fon coupe le
fruit en deux, et frotte son linge avec quand elle le lave. Pourquoi ? Pour
qu'il soit plus propre (et parfumé). Elle en utilise aussi pour faire la
vaisselle. De quoi peut-il s'agir ?
Tout à l'heure, Fon est
venue vers moi avec un petit bout de papier sur lequel elle avait écrit
"bergamote". Jamais je n'aurais fait le rapprochement avec l'Earl
Grey. Et pourtant, en y réfléchissant…
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