C'est le soir. Le père de
Fon a allumé un feu juste à côté de l'abri aux bœufs. Il
va chercher une brassée de foin qu'il jette dessus. Le feu s'étouffe et se met à
dégager une épaisse fumée. C'est, paraît-il, pour chasser les insectes qui
tournent autour des animaux.

Pinker explique entre autres
que le politiquement correct, malgré ses excès et ses ridicules, est un produit
dérivé de ce déclin de la violence - et qu'il faut donc le supporter. Ça aide
psychologiquement de le savoir… Dans le même registre sans doute, la fausse
affabilité qui fait qu'on ne peut raccrocher un téléphone sans avoir terminé
sur au moins deux échanges de pure politesse. Alors que les séries américaines
prennent un soin jaloux de ne jamais faire entendre de "au revoir",
"à bientôt", "bonne journée", et autres "bonnes
soirées" : la dernière phrase entendue (généralement lourde de sens et
pleine de menace, même si l'interlocuteur est un ami), le héros prend l'air qui
convient, généralement méditatif sinon préoccupé, et raccroche lentement le
téléphone, sans prendre soin de prendre congé. Ça vaut mieux que de l'entendre
bredouiller : "bon ben bonsoir, écoute, salut, à bientôt, oui, à
plus". Maintenant, toi, essaye de raccrocher après un simple "au
revoir". Tu verras comment tu seras reçu !
Le pire est qu'au téléphone,
quand on commence une conversation, il faut dire bonjour deux fois - surtout
avec les standardistes et les intermédiaires. On dit d'abord "allo",
qui est une déformation de l'anglais "hello", bonjour. Et ensuite, il
faut dire bonjour, sinon, on se fait reprocher de ne pas l'avoir dit. Bref…
Je lève le nez, disais-je,
et je vois deux poulets qui se chamaillent. Pour faciliter la compréhension,
appelons-les le noir et le déplumé. Les voici qui s'arrêtent, face à face. Le
déplumé s'immobilise et dévisage (j'ose) littéralement son antagoniste. Il a
une position un peu tendue en avant, assez haute, et on a l'impression qu'il le
fixe pour le déstabiliser psychologiquement. Pure extrapolation de ma part. Le
noir arrête très vite l'affrontement visuel. D'ailleurs, y a-t-il vraiment
affrontement visuel, sachant qu'un poulet porte les yeux sur le côté de la tête
? Bon, disons qu'il y a eu face à face…
Alors que fait le noir ? Eh
bien il prend un air dégagé et commence à picorer vaguement autour de lui. A
noter qu'il ne bouge pas d'une semelle (j'ose encore). Contrairement à ce que
font les poules qui se déplacent en picorant et picorent en se déplaçant, il
garde les pattes bien fixes. Et il picore, il picore tout autour de lui, sans
jamais lever la tête. Trente centimètres (de haine) les séparent…

Peut-on en conclure quoi que
ce soit ? Doit-on interpréter l'attitude du noir comme une ruse destinée à
tromper son adversaire, à endormir son attention pour pouvoir le prendre par
surprise ? Doit-on interpréter le regard fixe du déplumé comme un acte
d'intimidation ? Doit-on interpréter le picorement désinvolte du noir comme une
façon de dire : "je n'ai pas grand-chose à foutre de toi, tu ne
m'impressionnes pas, tu vois, je continue à vivre ma vie…"
Et d'abord, quelle est
l'origine de la dispute ? Quels sont les arguments qui ont abouti à la
résolution du problème ? Une seconde de combat, c'est bien plus court d'un
round de boxe. Mais peut-être que ce n'est pas leur premier round ? Peut-être
qu'ils se chicornent depuis longtemps. Et que cette escarmouche n'est que la
suite d'un long conflit. Avec déjà un vainqueur et un vaincu. D'où la brièveté
de l'accrochage. Et l'apparente absence d'avantage physique au cours de
l'accrochage : le gagnant était déjà connu. Et le déplumé, en l'occurrence, ne livrait
qu'un baroud d'honneur.
Tandis que je médite, je
regarde machinalement la quatrième de couverture de mon livre, que j'ai posé
sur mon genou. Et je lis : "A paraître chez le même éditeur, le dernier Steven
Pinker: le déclin de la violence chez les gallinacés"… Ah, il est
vraiment sur tous les bons coups, ce Pinker !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire