
C'est la saison des pluies,
la mousson. Il pleut généralement pendant les heures sombres - le soir, et
pendant la nuit. Le déluge s'annonce par des coups de tonnerre en fin
d'après-midi. La température est suffocante, et les mouches deviennent folles.
Les moustiques attaquent sans sommation… Et puis la nuit tombe, avec des
cataractes d'eau.
Aujourd'hui, par exception,
il pleut pendant la journée. L'air est lavé. Tout baigne dans une lumière verte,
le ciel lui-même est vert. Il fait bon. C'est très apaisant.
Dans les pays tempérés, on
voit la pluie de loin, à travers des vitres. Ici, on vit dans son intimité. On
en est abrité, mais tout est ouvert, il n'y a pas de fenêtres : doux
chuintement des gouttes sur le toit, qui font des trous sur le sol sablonneux,
et parfums végétaux qui montent.
Je réfléchis à ce qui s'est
passé hier. Alors que je me promenais seul dans la campagne, je suis tombé sur
une femme en chapeau de paille qui semait du riz. Une femme qu'on aurait pu
imaginer plutôt jolie si elle était un tant soit peu parée. Elle semait son riz
à la main, tout simplement. Elle m'a abordé en riant, m'a parlé, m'a posé des
questions que je n'ai pas comprises. J'ai souri, j'ai vaguement répondu, et je
suis passé. Je l'ai vue au retour. Elle était un peu plus loin dans la rizière,
mais continuait de répandre la semence blanche sur son champ détrempé. De
nouveau elle s'est arrêté, elle m'a fait des signes enthousiastes, elle m'a
parlé encore et je sentais de l'insistance dans sa voix. Je me trompe sans
doute, mais il m'a semblé qu'elle aurait bien aimé voir la mienne, de semence
blanche. Ce qui m'a un peu étonné, car les femmes sont en général très prudes,
et les relations entre hommes et femmes, pour ce que je peux en voir, sont très
peu érotisées. Mais il n'y a pas de tentation, juste un regret. Fon est encore
très fatiguée, elle ne se sent pas très bien dans son corps, et elle ne
manifeste aucun désir. Résultat, je dors comme un voilier à marée basse dans un
port breton : sur la béquille.
Nam a fêté hier son premier
mois d'existence. Sa santé - qui n'est pas excellente - va s'améliorant au fil
des examens. La voilà qui s'agite dans son hamac et pleure. Je vérifie son fond
de culotte : tout est clair. Je la berce, elle se rendort cinq minutes. Puis
recommence à crier. Je la berce encore, rien n'y fait. Pourtant, elle ne donne
pas de coups de tête sur le côté, ce qu'elle fait quand elle a faim. Je la
prends, sans aucun succès. C'est une sirène a bout portant dans les oreilles.
Fon est occupée et me dit qu'elle arrive dans une minute. Comme rien n'y fait,
paroles, bercements, guilis, je la repose sur la natte de bambou et je reprends
mon livre. Toujours Pinker ("The Better Angels of Our Nature")
- j'en suis à la moitié. Difficile de se concentrer quand une pile chargée à
bloc vous délivre du soixante dix décibels en continu. Pourtant, le passage est
passionnant. C'est une citation de Harry Milner, qui a fait une enquête sur
l'infanticide dans le monde :
"…one of the most
"natural" things a human being can do is volutarily kill its own
offspring when faced with a variety of stressful situations" ("…une
des choses les plus "naturelles" qu'un être humain peut faire
volontairement, c'est tuer sa propre progéniture lorsqu'il est soumis à
diverses situations de stress").
Fon arrive, et presque par
magie, la sirène s'éteint. Avec son bonnet D, elle a des arguments avec
lesquels je ne peux pas rivaliser. Mais bon, le stress se dissipe : ce n'est
pas encore aujourd'hui que je vais jeter ma fille à terre et la piétiner
rageusement…
:o) Lire ce passage à ce moment là....il est des hasards pour le moins étranges.
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