mardi 19 juillet 2016

Bouddha et les marchands du temple


Les marchands du temple ont leurs étals au pied du crématorium.
Mais la fumée qu'on voit vient du barbecue...

Aujourd’hui mardi, en pleine semaine, c’est la préparation d’une grande fête bouddhiste, asaha boucha, qui célèbre le premier sermon de Bouddha. Nous devons partir à six heures. Fon nous lève tous à cinq heures pour nous préparer. Nam n’a pas assez dormi, elle restera avec la gueule de travers pendant toute la matinée. 

Les thaïs font un usage très modéré du dimanche. Ce jour n'a pour eux aucune connotation. Les musulmans se reposent le vendredi, les juifs le samedi, les chrétiens le dimanche, mais il ne faut pas croire que les bouddhistes ne se reposent jamais ! Les administrations et les banques sont fermées le dimanche. En revanche, commerces et services sont ouverts en grand nombre. Fon m'explique que cette fermeture dominicale est un emprunt au monde occidental - commun à tous les pays de l'Asie du Sud-Est (y compris Malaisie et Indonésie qui sont musulmans). Mais j’aurais bien aimé savoir comment s’organisaient les repos il y a un siècle en Thaïlande. Peut-être trouverai-je un indice dans la langue, et précisément la signification des jours de la semaine ?

Non : ils sont aussi astronomiques que les nôtres. Lundi est le jour de la lune, mardi celui de Mars, mercredi celui de Mercure, jeudi celui de Jupiter, vendredi celui de Vénus, samedi celui de Saturne et dimanche celui du soleil. Mot pour mot - j’ai tout vérifié. Impossible de savoir depuis combien de temps cette nomenclature céleste est utilisée. Étonnant quand même qu’elle se superpose aussi exactement aux appellations occidentales, il y en a forcément une qui s’est répandue sur les autres.

Acheter des légumes pour les moines, mais aussi pour la maison !

C’est moi qui emmène tout le monde au temple avec mon pick-up. Le père de Mai ne vient pas, soi-disant parce qu’il n’y aurait personne à la maison. Je pense qu’il se fout un peu de la religion. D’ailleurs, au temple, la population est féminine à quatre-vingt pour cent, sinon plus.

L’an passé, La-Moun, le frère de Fon est allé faire une retraite d’une semaine au temple. Il s’est rasé la tête, il a fait des offrandes - et bien forcé, il a arrêté l’alcool de riz ! Pourquoi cet élan religieux soudain ? En fait, c’est une obligation morale pour tous les jeunes hommes. Il s’agit de marquer sa gratitude à ses géniteurs à travers une période de prières à leur intention. On est mal considéré au boulot si on ne le fait pas.

La-Moun était d’ailleurs très tardif, par rapport à ses copains de travail. Il n’a demandé qu’une semaine - il aurait peut-être pu en obtenir deux. Rares sont les employeurs qui accordent plus, mais cela arrive. En fait, même s’il est croyant, La-Moun n’est pas intéressé par les manifestations de la foi - et surtout, il préfère boire le lao avec ses nombreux copains.

 Ce matin, j’emmène donc Fon, sa mère, sa tante et Nam au temple dans mon pick-up. 

Cela me rappelle les punitions au collège, chez les bons pères - avec un Gaffiot dans les mains.

Je ne m’habitue pas à l’absence de civilités thaïes. Personne ne me dit bonjour, personne ne me regarde, j’ai l’impression d’être un chauffeur… ou un chien qui conduit. Au retour, quand je déposerai tout le monde, avec toutes les provisions, personne ne me dira au revoir et personne ne me remerciera. Je demande une fois de plus à Fon, qui m’assure que c’est tout ce qu’il y a de plus normal - mais justement, je la soupçonne de normaliser un peu trop tout ce qui tourne autour des relations avec moi. Elle m’explique que c’est précisément parce qu’on me trouve "dii" (bien, bon, gentil) que les choses sont ainsi simplifiées. Elle sait bien qu’on appelle la Thaïlande le pays des mille sourires. Elle se rappelle aussi, quand elle était vendeuse, comme on lui répétait qu’il fallait dire bonjour, sourire sans arrêt. Mais c’était uniquement pour vendre mieux. Ici, pas besoin, il n’y a rien à vendre… Alors la politesse orientale...? Les salutations à n'en plus finir...? Tout cela, du pipeau pour les étrangers ? Et ce miroir sans tain derrière lequel on m'a enfermé...? Parano, quand tu t’en mêles…

Au temple, il y a une grosse animation. Les marchands du temple sont très nombreux. C’est un vrai marché, et ils ne vendent pas que des objets pieux, loin de là. Il faut dire aussi que toute fête religieuse est l’occasion d’offrandes importantes. Et comme la religion prévoit explicitement que les moines vivent des aumônes offertes par les fidèles, on achète de la nourriture pour faire la charité... et préparer la soupe à la maison en rentrant.


Transvasements à la queue. Ces monceaux de bouffe me donnent un peu la nausée...

L’offrande elle-même est ritualisée. On ne jette pas l’argent dans un tronc, on ne dépose pas les offrandes dans un coin, on les "présente". J’ignore à quoi pensent exactement ceux qui présentent ces paniers, ces bouteilles d'eau, ces plats de riz.

Fon me dit qu’elle souhaite le bien des défunts et des vivants et espère s’attirer ce qu’elle me traduit par "merit" (phonétiquement boun, vertu, mérite en français). Il ne s’agit pas seulement d’un calcul sur l’avenir, d'une indulgence : ce mérite aboutit, paraît-il, à un état de bonheur intérieur immédiat.


L'arbre à billets : l'insertion du billet sur un bout de bois fendu, le choix de l'endroit
où on le pique prend bien cinq minutes : on en a pour ses 20 bahts - ou 50 ou 100.

Fon a cassé la tirelire, acheté d’énorme bougies, apporté pas mal de nourriture. Elle me demande si elle peut en plus abonder l’arbre à billets. J’acquiesce, bien sûr, tout en pestant contre ce choix sociétal. Le temple est immense et parfaitement entretenu - c'est tout sauf une bicoque en bois comme la ferme de ses parents. Des temples, il y en a un tous les six kilomètres carrés, même en pleine campagne, et ils sont tous en très bon état.


Si seulement tout cet argent était consacré aux écoles et aux universités !






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