vendredi 1 juillet 2016

L'étang de Nonsung



Presque une piscine privée...

C'est triste à dire, mais je suis très heureux que les thaïs ne sachent pas nager. Oui, sans doute, il y en a qui savent. Moins au nord qu'au bord de la mer. Moins dans les campagnes profondes que dans les villes. Le résultat, c'est que dans la grande ville d'à côté, il y a cette piscine olympique dont je t'ai déjà parlé, avec presque personne dedans. Il est vrai que les tarifs sont prohibitifs pour les thaïs : quatre ou cinq euros l'entrée selon que l'on a la carte du centre commercial ou non. A moins de prendre un abonnement. Mais comme aucun thaï ne veut venir régulièrement à la piscine, à certaines heures on a plusieurs lignes d'eau par personne.

Je n'y vais plus. J'ai trouvé mieux. J'ai découvert à quinze kilomètre de la ferme un plan d'eau manifestement public, où jamais personne ne se baigne. On y pêche un peu, avec des lignes de fond ou des tramails, et les pêcheurs sont d'un tempérament pacifique – ça change de la France.

Ce plan d'eau fait approximativement six cent mètres par quatre cents. Il faut s'accommoder des plantes aquatiques qui poussent au bord, ou se mettre à l'eau dans les rares endroits dégagés, si on n'aime pas leur contact. On y perd très vite pied, les gens pensent qu'il est trop dangereux, d'autant que l'eau est trouble et qu'on ne voit pas le fond, même dans trente centimètres.

Je vais là presque tous les jours soigner mon arthrose des épaules. Ceux qui souffrent du même mal que moi trouveront peut-être intéressante cette expérience. Plus je fais de sport, moins j'ai mal. Au point de ne plus avoir mal du tout pendant de longues périodes (plusieurs mois). Mais si je laisse un peu tomber, les douleurs reviennent assez vite. Je ne sais pas trop comment expliquer ce phénomène. Peut-être la laxité musculo-ligamentaire qui s'installe quand on ne fait pas de sport laisse-t-elle une latitude suffisante pour que les surfaces ostéo-cartilagineuses usées frottent les unes contre les autres ? Alors qu'avec un bon tonus, la glène serait plaquée dans sa cavité, et la correspondance anatomique rétablie ?

Mais la natation n'est pas une cure de jouvence et la mobilisation de l'articulation ne stimule pas la fabrique de cartilage : ce tissu ne se régénère jamais. La nage permet juste un soulagement anatomique de la douleur. Pour être parfaitement précis, quand je reprends après un arrêt, les douleurs ont tendance à augmenter quelques jours. Il faut forcer et passer le cap. Bien sûr, il faut être certain du diagnostic (IRM à l'appui). De l'exercice en cas de problèmes sur la coiffe des rotateurs pourrait être catastrophique.

Quand j'étais petit, je passais mes vacances au Pouliguen, petit port de pêcheurs posé juste à côté de La Baule, en Bretagne. Comme tous les enfants de la plage, j'avais appris à nager la brasse, et je nageais convenablement. J'avais même obtenu mon brevet de mille mètres – le CRS maître-nageur nous avait emmené sur son zodiac, mon copain et moi, jusqu'à une tourelle couverte de bigorneaux, au milieu de la baie et nous avait jetés à l'eau. A nous de nager vers le rivage – dans l'eau bretonne encore froide. Quelle aventure ! Et quelle gloire, quand ma grand-mère nous a dit qu'il lui semblait avoir vu des petits dauphins nager au milieu de la baie...

Un soir d'été – je devais avoir dix ans – je traînais encore sur la plage, près du port. C'était marée descendante. Il fallait que je me dépêche si je ne voulais arriver à l'heure du dîner et ne pas me faire gronder. J'ai alors vu un vieil homme à cheveux blancs, mince comme un fil, se mettre à l'eau. Il nageait le crawl, comme dans un rêve, avec des mouvements lents, mais il se déplaçait très vite. Derrière lui, un petit sillon d'écume – pas de mousse tapageuse. Je l'ai regardé une ou deux minutes, puis je suis rentré chez moi en courant à moitié, avec des étoiles dans la tête...



Le crawl pour les [vieux] nuls


Mais je n'ai pas appris le crawl. J'ai fait quelques tentatives, et j'ai été découragé par des moniteurs sans finesse. Puis j'ai eu d'autres priorités. Ce n'est que sur le tard que je m'y suis mis. Je ne nage certainement pas très bien ni très vite. Apprendre à nager le crawl à l'âge mûr ajoute une difficulté : un homme adulte mis dans l'eau est plus dense qu'un enfant, et surtout, sa flottabilité se concentre plus haut. Résultat, au repos dans l'eau, il a tendance à se verticaliser très vite, et les jambes descendent. C'est une catastrophe hydrodynamique. Prenons un homme de 1.80 m. Horizontal, il pousse l'eau avec sa tête, ses épaules, tout ce qui dépasse. C'est normal. Mais s'il prend un angle de 10° avec l'horizontale, il construit immédiatement un « mur » de résistance, qui fait sin10° x 180, soit environ 30 cm de haut. Si l'angle du corps est de 20°, le mur fait 60 cm. C'est dire à quel point il faut être attentif à bien rester horizontal.

Pour illustrer le problème, prends un bateau avec un moteur hors-bord puissant. Au départ, à petite vitesse, le bateau est horizontal et il consomme peu d'essence. Puis vient la transition : il pousse de l'eau, il se cabre, il consomme énormément. Passé une certaine vitesse, il revient à l'horizontale, et on dit qu'il « plane » (c'est à dire qu'il dépasse sa vitesse critique qui est fixe et dépend de sa longueur à la flottaison). Paradoxalement, il va plus vite et consomme moins. Les propriétaires de hors-bord connaissent parfaitement le phénomène, leur porte-monnaie aussi.

Alors comment faire ? Il y a là un cercle vicieux. En effet, pour rester horizontal, il faut faire comme un avion, utiliser sa portance, donc aller vite. Et pour aller vite, il faut être bien musclé. Autant dire qu'au départ, quand on ne sait pas trop s'y prendre, quand on n'a pas beaucoup de muscle, et donc qu'on est bien en pente dans l'eau, on souffre ! La bonne nouvelle, c'est que les progrès sont exponentiels. Plus on a du muscle et plus on sait s'en servir, plus on va vite, plus on s'horizontalise, et moins c'est fatigant.

Ce qui est drôle, c'est que le corps sait bien ce qu'est la portance – particulièrement les jambes. Comme elles ont tendance à couler, elles vont naturellement faire comme un avion à géométrie variable au moment du décollage : elles vont avoir tendance à s'écarter de l'axe, à se déployer, avec des petits mouvements parasites. Le résultat, c'est que oui, on a plus de portance, mais ça freine épouvantablement, et donc ça fait autant de mal que de bien !

Imagine maintenant un bout de madrier long d'un mètre que tu pousses dans l'eau dans le sens de la longueur. Une petite pichenette et il va parcourir plusieurs mètres. Pourquoi pas moi ? Imagine maintenant un vieux bateau pneumatique un peu crevé et au trois quart dégonflés. Ça, c'est moi dans l'eau. Pour faire avancer ce truc, il faut vraiment se démener. C'est toute la question du gainage en natation. Il faut être, comme une bûche, le plus immobile et tendu possible... mais sans être raide !

Il y a une erreur que j'ai longtemps faite, et qui est mortelle pour cette question d'horizontalité : prendre de grandes respirations. Je gonfle alors d'air le haut de mon corps qui pivote aussitôt selon un axe transversal (passant grossièrement d'une aisselle à l'autre), et mes jambes plongent. Coup de frein ! Il faut respirer modérément. Tu me diras que tu es essoufflé et que tu as besoin de respirer.

Mais tu n'es pas essoufflé comme s'il y avait un obstacle qui empêchait l'éjection du sang pulmonaire vers le cœur, et donc que tu avais de la peine à respirer – essoufflement physique, qui survient quand on court trop vite et que le cœur ne suit plus. En fait, le problème est plutôt chimique : des capteurs dans ton corps trouvent que le taux d'oxygène dans le sang n'est pas assez important, ou le taux de CO trop élevé. C'est la conséquence de ta respiration entrecoupée, et non de l'intensité de ton effort. A toi de trouver une péréquation entre ton envie de prendre une grande inspiration et le coup de frein que cela va entraîner.

Quand on nage, l'effort cardio-respiratoire est moins important qu'on ne l'imagine. On est porté par l'eau, et le cœur doit faire circuler du sang réparti horizontalement, il n'a pas à pomper, un mètre quarante plus bas, des litres de liquide qui viennent de passer dans les jambes. Des études sérieuses ont d'ailleurs montré que les champions de natation n'étaient pas d'énormes consommateurs d'énergie. En termes de consommation énergétique, ce sont les sports les plus cardio-vasculaires comme la course à pied, l'aviron qui tiennent la corde.

En fait, je crois être passé par toutes les erreurs. En voici une grosse. Elle consiste à appuyer sur l'eau quand on entre la main devant soi, comme une roue à aube. Tu te représentes ces roues, sur un vieux bateau sur le Mississipi ? Ou Donald poursuivi par des requins faisant des moulinets ? Ça fait plonger les jambes par bascule – toujours le même problème. Non, quand le bras est devant, il faut ramener l'eau sous soi comme une pelleteuse, ne surtout pas faire un arc de cercle et appuyer vers le fond, même en tangente.

Pendant cet effort, l'autre bras passe tranquillement au dessus de l'eau, coude en l'air, doigts affleurant la surface le long du corps... L'observateur extérieur ne voit que ce mouvement. Le travail de bagnard du bras sous l'eau lui échappe. Il a l'impression que tout est simple et fluide. C'est là toute la magie et la beauté de cette nage...

Mais en réalité, le crawl, c'est vraiment bourrin !

Ici, pas question de nager. C'est joli et c'est sur la route en allant à l'étang.


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