L'avion
a du retard. C'est une constante pour les compagnies de la région - ces petites
compagnies qui sont blacklistées par les aéroports d'Europe et d'Amérique. Tandis
que gens s'agitent en posant cinq fois la même question à l'hôtesse, je repense
à la conversation que j'ai eue hier avec une femme de Jakarta à propos du mariage.
Tout a commencé lorsque je lui ai raconté ce qui s'est passé lorsque je suis
allé chez mon ami S.T.
S.T.
est un bulé qui habite à Jepara, la ville aux mille menuisiers. Ces artisans fabriquent
des copies de meubles anciens en utilisant les méthodes de l'époque - ils font
tout à la main. Les meubles sont envoyés partout dans le monde, et Jepara est
un lieu unique, connu de tous les professionnels. S.T. y travaille dans
l'export. Il est marié avec une indonésienne. Pour arrondir les angles, sans y
croire, il est devenu musulman et s'est même fait raccourcir la quéquette à
cinquante ans.
-
Ça a dû faire mal…
-
Oui… il fallait en passer par là… mais maintenant, plus de problème.
Je
ne sais pas s'il fait allusion à sa situation sociale ou à la cicatrisation de
son membre - je préfère ne pas demander.
Il
m'explique que si j'étais venu avec Fon, il aurait pu m'accueillir sans
problème, juste une démarche auprès du chef religieux du village à accomplir.
Mais que je n'aurais pas pu arriver chez lui avec une indonésienne - même
chrétienne ou bouddhiste. Un autre bulé qui habite dans le quartier vivait
maritalement avec une indonésienne d'une autre île. La femme s'est fait
agresser sur le chemin du village. Agresser - je ne veux pas dire frappée,
tuée, mais on l'a bousculée, insultée.
Le
soir de mon arrivée chez S.T., je suis convoqué chez le chef religieux du
village avec mon ami et sa femme. Bien évidemment, le chef a été informé - et
je serais arrivé en pleine nuit qu'il en aurait été de même. Dans ce quartier, on est sous
surveillance constante. Et l'utilisation des
clés est bien illusoire, il y a toujours possibilité d'entrer chez quelqu'un. Les gens ne s'en
privent pas, il arrivent chez vous n'importe quand, sans y être invités - et
sans s'excuser. Et ils regardent ce que vous faites avec une curiosité
d'enfant, extrêmement agaçante.
Nous
sommes arrivés chez le chef du village. Il nous fait entrer et asseoir. Il
m'inspecte, il me pose cent questions, prenant son temps, que fais-je ici, combien
de temps ai-je l'intention de rester, quelle est ma profession, qu'est-ce qui
me lie avec S.T., suis-je marié, ai-je des enfants, etc. Satisfait par nos
réponses, et fatigué sans doute par les difficultés de communication, il nous
laisse partir.
En
rentrant chez S.T. j'exprime mon déplaisir à me sentir ainsi questionné,
contrôlé et surveillé. Oui, répond-il, mais ne crois-tu pas qu'il y a une
surveillance et un contrôle tout aussi important dans les pays d'où nous
venons ? Simplement, ce contrôle est plus discret, il reste caché, et tu
n'es même pas au courant ! Grâce au téléphone portable et à la géolocalisation... Je lui répond qu'il s'agit d'une autorité religieuse
et non civile.
-
Quelle différence ?...
Réponse
à interprétations multiples qui me plonge dans une sombre réflexion.
La
jeune femme de Jakarta à qui je raconte cette histoire prend l'air entendu :
-
Je connais… oui, ils font toujours ça.
-
Ce serait bien pire si nous y allions tous les deux, en tant qu'amis." lui
dis-je.
-
Sans doute, répond-elle. Mais je sais pourquoi il y a toutes cette procédure.
La région de Jepara est peuplée de gens très à cheval sur les questions
religieuses...
-
Ce n'est pas comme cela chez vous ?
-
Si si ! C'est la même chose dans ma ville (elle habite pourtant tout près de Jakarta,
dans une bourgade importante).
J'en profite pour lui demander si elle-même croit en Dieu.
- Oui, bien sûr. Je suis musulmane.
- Mais vous m'avez dit que vous buviez du vin et de la vodka, parfois...?
- Je fais bien d'autres choses ! Mais comme je fais souvent la charité aux pauvres, je sais que ces pauvres prient pour moi. Ils intercèdent. Et quand viendra le moment du jugement, on mettra d'un côté ce que j'ai fait de mal, et de l'autre, tout ce que j'ai donné, tout ce que j'ai fait de bien, cela devrait contrebalancer...
Elle fait le geste de soupeser avec ses deux mains... Encouragé par ces propos, je me dis qu'il y a peut-être moyen de passer outre les contrôles à Jepara :
J'en profite pour lui demander si elle-même croit en Dieu.
- Oui, bien sûr. Je suis musulmane.
- Mais vous m'avez dit que vous buviez du vin et de la vodka, parfois...?
- Je fais bien d'autres choses ! Mais comme je fais souvent la charité aux pauvres, je sais que ces pauvres prient pour moi. Ils intercèdent. Et quand viendra le moment du jugement, on mettra d'un côté ce que j'ai fait de mal, et de l'autre, tout ce que j'ai donné, tout ce que j'ai fait de bien, cela devrait contrebalancer...
Elle fait le geste de soupeser avec ses deux mains... Encouragé par ces propos, je me dis qu'il y a peut-être moyen de passer outre les contrôles à Jepara :
-
Pour pouvoir rester chez mon copain, si nous venions ensemble comme de simples connaissances, peut-être
y aurait-il un mensonge qui marche…?
-
Ah non, il vaut mieux dire la vérité ! C'est tout simple : expliquer que nous
sommes seulement amis, et que nous allons en vacances quelques jours…
-
Mais vous savez bien que si on dit la vérité, le chef du village restera sur ses soupçons et
pensera que nous dormons ensemble.
-
Eh bien oui…
-
Et l'un d'entre nous deux devra coucher à l'hôtel.
-
Oui, c'est juste… Pour ne pas avoir ce genre d'ennui, il faut se marier. On va
voir l'imam. C'est facile. En Indonésie, c'est le mariage religieux qui compte,
pas l'autre, celui "du gouvernement".
Elle
n'a pas tort. Et l'homme peut répudier la femme comme il veut, sans donner de
raison. Le coran ne laisse pas d'ambigüité sur l'infériorité de la femme. C'est
si simple qu'il n'y a aucune raison pour que l'homme ne se marie pas : il peut
défaire très simplement les liens qu'il a contractés. Raison pour laquelle les
indonésiennes s'étonnent de la réticence des bulés à s'engager dans le mariage.
Elles ne savent pas qu'en occident, les enjeux ne sont pas les mêmes.
- Oui,
reprend-elle, si vous voulez éviter les problèmes en Indonésie, il faut vous marier !
Elle me regarde en souriant. Mais elle ne me dit
pas s'il faudra que je me fasse raccourcir la zigounette.
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