J'ai
testé la route vers l'arrêt de bus, avec mon simple sac à dos. Quand je
partirai, j'aurai tout mon barda. Porter vingt-cinq kilos pendant un kilomètre,
ok. Pendant deux ou trois, à l'arrache, peut-être. Mais en pente dans la
montagne, oublie. Déjà, avec huit kilos, j'étais essoufflé. Très jolie route où
j'ai retrouvé les rivières qui se jettent dans la mangrove. Village étiré le
long de la route. Bananiers - mais pas de bananes en magasin. Rizières toujours
photogéniques. Quelques chiens grincheux que j'intimide avec une branche de
palmier en forme de massue. Il y a manifestement une autre plage, je suppose
pas trop loin. J'explorerai demain. Mais le marché au poisson, celui dont on
part pour l'île Sempu, est bien trop loin, il faut faire un énorme détour -
alors que par la mer, c'est une demie heure de nage.

J'étais
donc bien lancé quand j'ai eu une avarie de voilure. L'une de mes palmes a
tendance à se défaire, la plaque de carbone se désolidarise de son cadre en
caoutchouc. Obligé de faire terre pour réparer. Une petite plage de sable, riante
en apparence, en fait bordée d'un jardin de pierres et de madrépores coupants.
Pas glop. Je me blesse au coude, je répare, et je retourne vers mes lieux de
pêche. Hélas, il a dû se produire une renverse, un phénomène qui a créé un
nouveau courant de terre, charriant toutes sortes de merdes, sacs en
plastiques, débris végétaux. Impossible de pêcher, même en allant à la pointe.
Je suis revenu. Encore une heure à palmer. De la mer, le village est presque
invisible, masqué par les arbres. Je dois me repérer à la forme de la crête de
la montagne. Arrivé à cinq cent mètres de la plage, des hauts fonds, des
déferlantes qui me secouent et m'obligent à faire un détour. Je craignais un
courant de marée qui aurait sensiblement rallongé ma route, mieux vaut cette
petite branlée locale. J'arrive, quand même crevé.
J'avais
prévenu mon hôtesse : étant donné la saleté de la mer, probable que je ne
ramènerai rien. Mais si un poisson fou (ikan gila) se mettait devant mon fusil,
il serait pour elle. Ça l'a fait bien rire. Quand elle a vu le perroquet, elle
était contente mais partagée. Manifestement, ils ne mangent pas des perroquets tous
les jours dans cette région. L'hôtesse m'a demandé comment je voulais le cuire
: délicatesse ou inexpérience ? Quand elle a proposé de le griller, j'ai
approuvé. Elle m'en a préparé une partie, qu'elle a accompagné de riz blanc et
d'une sauce de sa manière, assez pimentée. Ma foi, bien meilleur que la bonite.
Puis elle a servi son mari.
A
vrai dire, ce mari, je le prenais pour un fils précoce. C'est un grand mec
d'allure un peu timide, juvénile, qui ne fait pas ses vingt-cinq ans. Alors
que je lui en donnais dix ans de plus que ses vingt-huit ans. J'ai évité la
gaffe de peu. La gamine dont s'occupe assidument sa jolie sœur, c'est sa propre
fille.
Ma tôlière est passée et m'a donné une orange. J'ai demandé si c'était de son jardin. Non.
Cadeau appréciable. Ils se dégèlent vraiment. Lui est venu dans mon
appartement, avec l'envie de parler. Difficile, barrière de la langue… J'ai compris qu'il n'était pas
pêcheur, mais "travaillait dans le poisson" et avait un patron. Il
s'appelle Arif, et elle Isma. Ils sont protestants. Je comprends mieux pourquoi
il y a des chiens partout. Et ce matin, en me promenant, j'ai même vu des
cochons.
Arif me dit qu'il faut que je prenne mon appareil photo, car il va se passer quelque
chose dans la maison jaune, pas loin. Cette maison jaune est manifestement un
bâtiment administratif, on voit sur son fronton des photos du président (où
d'une huile locale). En fait, c'est un meeting politique. En quoi cela est-il
supposé m'intéresser, mystère. Mais bon, j'attends devant la maison jaune, assis
sur une plate-forme en bambou qui fait office de banc public.
Les
participants arrivent les uns après les autres, c'est interminable, ils
allument tous des cigarettes, je suis enveloppé par un nuage de fumée. Avant
que les orateurs ne commencent, on me demande d'où je suis, etc. Ils
s'intéressent beaucoup au fait que j'aie un masque et un tuba, et demandent
quelle est la taille du poisson que j'ai pris. Aucun de ces pêcheurs chevronnés
(il y en a certainement plusieurs dans le groupe) ne hurle de rire quand Arif
raconte mon expédition et son médiocre résultat. J'apprécie.
Mais
globalement, c'est d'un ennui mortel. Je me creuse la tête pour trouver un
quelconque intérêt à cette attente : même sur le plan de la compréhension des
cultures… Enfin les orateurs prennent place. Je prends quelques photos sans
intérêt, et je file.
Quand
même. Je pensais que j'étais tombé au bout du monde. Ils ont même des meetings
politiques, dans ce village.
[1] pourquoi le correcteur
souligne-t-il le mot "carangue" ? Je l'ai entendu en divers lieu et
divers temps, désignant toujours le même poisson. Tu ne connais pas ce mot et
ce poisson gris, ventru, à la chair fine ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire