Aujourd'hui,
je suis allé dans le quartier des cordonniers de Korat. Faire réparer mon sac à
dos Eastpak. Par parenthèse, quelle qualité dans la fabrication de ces sacs !
Je l'ai depuis dix ans au moins, il me suit partout en portant bien souvent
quatre kilos de matériel informatique et huit de matériel photo. Tout tient
dedans, et même encore plus, à condition de respecter l'ordre de rangement - ce
qui fait qu'il n'attire pas l'attention des hôtesses au check-in des aéroports.
Eh bien pas une couture n'a lâché, toutes les fermetures éclair fonctionnent
comme au premier jour. Juste les renforts des coins à la base qui ont fini pas
s'user, bien légitimement, sous la pression. Et la teinte du sac, de noire, est
devenue vaguement violine, comme un sarrau d'écolier, Dieu sait pourquoi.
La
recherche d'un réparateur n'a pas été simple. Fon connaissait un endroit où il
y avait plusieurs couturiers ambulants, qui travaillaient sur le trottoir avec
leur machine à coudre. J'ai vite vu qu'ils n'avaient pas d'aiguilles
suffisamment grosses pour faire la réparation. Il y avait quand même un jeune
homme qui aurait pu la faire. A voir ses outils, on pouvait penser qu'il travaillait
le cuir à la main. Fon m'a dit qu'il demandait trop cher - ce qui était sans
doute vrai pour le pays, mais pas pour un farang. Mais il n'avait pour réparer
qu'un petit coupon de cuir froissé et plissé, qui me semblait insuffisant.
Alors, après que nous ayons pesé le pour et le contre pendant cinq minutes, Fon
a renoncé. Je lui ai dit qu'il y avait forcément d'autres réparateurs de cuir
et grosses toiles dans une grande ville comme Korat, et qu'il fallait demander.
Finalement, assez fâchée, elle est allée à contrecœur interroger l'une des
couturières, qui lui a donné une information utile.
Combien
de fois j'ai dû demander à Fon d'interroger des gens pour nous tirer d'un léger
embarras ! Je pensais que c'était timidité, mais je n'en suis plus si sûr,
depuis que j'en ai parlé à un ami, marié à une indonésienne. Il m'a dit que sa
femme et d'autres qu'il connaissait du fait de son travail se comportaient
exactement de la même manière. En l'occurrence, sa femme préférait tourner en
voiture dans tous les sens pendant une heure plutôt que de solliciter un
passant. Même culture entre l'Indonésie et la Thaïlande ? Possible, mais à
vérifier. Et quel fondement à cette réserve ? En quoi pourrait-il être mal
élevé de demander un renseignement ?
En
tout cas, quatre cent mètres plus loin, nous avons trouvé un réparateur qui m'a
inspiré confiance : petit homme souriant, assis sous l'auvent de toile,
derrière sa forme en fer, l'air actif et expérimenté. Il m'a promis mon sac
pour demain, renforcé avec du cuir dont j'ai choisi l'épaisseur, pour un prix
dérisoire.
En
revenant, j'ai vu sur une place des gens qui se faisaient couper les cheveux en
plein air. Fon m'a suggéré d'y aller, et j'ai traversé le boulevard pour voir
ça de plus près et monté quelques marches pour accéder au terre-plein. Le patron m'a invité à m'asseoir sur
une chaise moitié confortable, et j'ai demandé une coupe, traduit et guidé par
Fon. J'étais sur un site tout à fait stratégique, à la fois pour voir et pour
être vu : à la jonction de deux grandes artères, dont l'une débouchait sur
l'autre comme la barre verticale d'un "T" sur sa barre horizontale.
Les voitures et les motos arrivaient droit sur moi avant de tourner, et je
voyais les visages sourire, les yeux s'écarquiller. Sur la place, la venue d'un
farang comme client n'a pas tardé à amasser du monde, et un professeur (je ne
pense pas que c'était un professeur d'anglais !) a engagé la conversation. Il m'a
demandé ce que je pensais de Pattaya et de la Thaïlande, il a fait l'éloge des
montagnes du pays, et de la verdure avant de disparaître.
Le
jeune homme qui s'occupait de moi était très ému. J'ai compris que j'avais
affaire à une école de coiffure foraine. Comme il était appliqué ! Il n'en
finissait pas de me trancher les poils des oreilles un à un, au coupe-chou… La
coupe a duré longtemps. Il faisait chaud, en plein soleil, avec le bruit, ça
commençait à bourdonner dans ma tête.
Je
contemplais le défilé des voitures qui allaient vers moi, jusqu'à quelques
mètres, avant de tourner… lentement, lentement... les visages enluminés, béats d'adoration qui me regardaient... la
foule qui se pressait à mes pieds, venant déposer ses hommages… je regardais
mes bras, cet habit blanc et ample dont on m'avait vêtu : c'était celui
avec lequel se faisait introniser l'empereur de Siam… et c'était moi… l'empereur... j'avais
été choisi entre tous…
Quand
soudain, une douleur brulante à l'oreille. Un renégat, un traître à l'empire voulait
s'en prendre à mon auguste personne, peut-être me trancher la gorge…
L'apprenti
m'avait coupé avec son rasoir - forcément, il tremblait d'émotion. Ce qui m'a éveillé, amusé, et fait penser qu'il n'y avait certainement pas désinfection du
coupe-chou entre deux clients...
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