lundi 30 mars 2015

Incivilité à Bangkok




Hier, j'ai assisté à un crime contre l'intelligence.
Au nom de la Civilisation.
Au nom de la Protection des Faibles contre les forts.
Au nom du Respect de la Loi.
Tatatataaa !

Autrefois, c'était le contraire. Un crime contre l'intelligence, c'était un crime commis au nom de la barbarie, au nom de l'écrasement du faible par le fort, au nom d'un outrage aux lois.

Maintenant, c'est bien pire ! Les gens commettent des crimes contre l'intelligence avec la bonne conscience de ceux qui pensent agir pour le bien commun.

Un jeune homme d'un peu moins de trente ans circulait à pied à Bangkok.
Il était seul, je ne l'ai pas entendu parler, je ne peux pas dire d'où il venait. Sans doute d'Europe du nord. Il avait la tenue habituelle des européens, le short, le t-shirt, les chaussures de sport. Sa figure était banale. C'était pourtant la figure d'un criminel !
Tatatataaa !

La scène se déroule à un carrefour - un grand carrefour du centre de Bangkok. Il y avait des feux et un passage piéton. Peut-être faut-il préciser que les passages piétons ne sont jamais respectés en Thaïlande. L'homme était engagé, le feu était passé du rouge au vert. La première voiture s'est ébranlée. L'homme s'est jeté devant, et a fait un signe impératif, sinon vindicatif, désignant de la main le passage piéton. La voiture s'est arrêtée. Il est passé. Fin de l'histoire.

De quel droit cet étranger s'arrogeait-il le droit de contrevenir aux usages du pays ? N'aurait-il pas dû rester chez lui, plutôt que de vouloir imposer sa culture dans un pays où il était invité ?


On voit parfois le Bouddha dans une posture ou il avance la main et la présente comme s'il voulait stopper une voiture qui fonce sur lui. C'est une très belle position, pleine d'un mélange de douceur et de fermeté. Vingt-cinq siècles auparavant, deux parents de Bouddha se disputaient un cours d'eau, indispensable à l'irrigation de leurs terres. La querelle s'était envenimée et les deux partis étaient sur le point de se déclarer la guerre. Bouddha est intervenu, et il a posé aux belligérants la question suivante : qu'est-ce qui est le plus important, l'entente familiale ou le cours d'eau. Les armes ont alors été déposées. L'image de Bouddha arrêtant un bain de sang est restée.

En France, où l'imbécillité a depuis longtemps pris le dessus sur le bon sens, une voiture qui pèse une tonne est obligée de piler dès qu'un piéton montre une velléité de vouloir passer. Le piéton n'aurait pourtant pas grand mal à arrêter ses soixante-cinq kilos.

Mais la France est une vieille machine, qui ressent encore l'humiliation de la piétaille quand passait au Grand Siècle un cavalier, voire un carrosse, qui la laissaient toute crottée. Et ça, l'esprit jacobin qui sévit toujours dans la mentalité française ne l'a toujours pas digéré.

Le déplaisant passage en force des voitures, qu'on observe toujours en Russie, a laissé la place au déplaisant passage en force des piétons. A Paris, pour cette raison, le quartier de Passy est devenu un cauchemar à cinq heures du soir, quand les bourgeoises sortent faire leurs courses. Les piétons ne regardent même plus en traversant - bien souvent hors des clous. D'ailleurs, on enregistre une augmentation sensible du nombre des piétons morts, semble-t-il parce qu'ils avaient les yeux rivés sur leur téléphone en marchant dans la rue. Dommage pour les conducteurs qui seront jugés responsables. Quant aux piétons... Moi ? Je n'ai rien dit - je priais...

Peut-on imaginer un renversement plus stupide ? Une voiture, et bien plus, une moto ne sont pas facile à arrêter. Surtout par temps de pluie sur le pavé gras. Certes, le conducteur doit rester maître de sa vitesse. Mais les piétons pourraient faire preuve d'autant de civilité que les voitures, en les laissant passer quand elles sont lancées ? N'y a-t-il pas un équilibre à trouver entre le tout voiture et le tout piéton ? Sans parler du bilan écologique catastrophique de ces coups de frein et de ces redémarrages. Et pourquoi ne pas évoquer le bilan psychologique pour le conducteur ? Le piéton l'astreint à une épuisante et exaspérante attention, qui lui fera peut-être défaut plus tard.

Est-ce trop demander ? Est-ce que parfois, les piétons ne pourraient pas faire preuve d'un peu de courtoisie ? Dommage que le Bouddha ne puisse plus venir chez nous leur faire un petit signe de sa façon, pour qu'ils comprennent...

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