Fon
me caserne à Korat, la ville qu'elle connaît le mieux, à trente kilomètre du
village où habitent ses parents. Korat est une ville de 200 000 habitants,
plate comme un camembert, sans le moindre intérêt ni la moindre beauté. C'est
juste une ville sympathique.
Nous
habitons près de la galerie marchande de la ville, qui s'appelle simplement The
Mall. C'est effectivement un mall d'une grande banalité, pas trop luxueux,
mais quand même. On y retrouve tous les retraités mariés avec des filles de
l'Isan, qui traînent entre les comptoirs paquets au bras et glace à la main. Il
semble qu'il y ait une grosse communauté hollandaise. Je n'ai pas rencontré de
français ni d'anglais à ce jour. Ces expatriés ont entre cinquante-cinq et soixante-dix
ans à vue de nez. Ils se trimballent avec une fille souvent épaissie, sur le
retour, d'allure tranquille. Elle n'est pas assez jolie pour être une ancienne
péripatéticienne recyclée. Souvent un enfant, sinon deux, qui donnent la main :
peut-être les leurs, peut-être ceux d'un précédent mariage de madame, pour
lesquels ils deviennent des pères acceptables. Ils ont reconstitué une vie
sociale régulière et se retrouvent à plusieurs couples dans les cafés de la
galerie. Plus l'âge avance, plus la différence dans le ménage est sensible. Ce
quinqua qui s'était tapé une jeunesse de vingt ans a maintenant l'air d'une
épave à côté de son épouse de cinquante ans. Mais elle reste loyale à son
débris, et je surprends les gestes de tendresse qu'elle a pour lui.
Pourquoi
viennent-ils si nombreux dans The Mall ? C'est que la Thaïlande y sent un peu
moins son terroir. Même chose dans tous les hypermarchés du pays : les retraités
s'y ressourcent au parfum des boutiques et des marques occidentales, au balancement
des gondoles du Big C[1]
et au rythme des tables blanches du Flunch local. La Thaïlande y est plus
digeste pour leurs yeux et leurs estomacs occidentaux. On trouve des
boulangeries et des pâtisseries qui respirent l'Europe sinon la France. L'une
d'entre elles s'appelle d'ailleurs "Bonjour". Je ne peux que vous
recommander ses pains au chocolat et ses croissants - et tout ce qu'on trouve
en devanture, d'un niveau nettement plus élevé que la moyenne française, au
prix thaï.
Au
fond du Mall, il y a une pléthore de petits traiteurs qui préparent des plats assez
épicé qu'on mange sur place, sur les tables communes. Et juste à côté, il y a
la piscine en plein air. C'est un bel endroit, dont le prix d'entrée est
prohibitif pour un local : cinq euros si on n'a pas d'abonnement. Quand il fait
beau, et le week-end, les couples d'expats y passent la journée. On ne s'y
baigne pas forcément, on s'y trempe, surtout les messieurs, les dames restent
au bord parce qu'elles ne savent pas nager. J'ai repéré deux allemands, avec
des casquettes de kapo, qui font des longueurs en papotant. Pourquoi des
casquettes quand on nage ? Il est obligatoire d'avoir un bonnet de bain dans la
piscine pour des raisons d'hygiène... et la tolérance thaï n'a pas de limites.
A
côté du bassin principal, il y a des bassins pour les enfants, ce qui évite les
interférences avec les sportifs. Ce bassin principal est une merveille. Un
cinquante mètres, pas très profond, assez dégagé pour qu'on s'y sente à l'aise,
avec quelques arbres pas trop loin qui laissent tomber de sympathiques feuilles
jaunes. L'eau ne sent pas le chlore. En revanche, comme la piscine est bordée
de cuisines (on peut déjeuner sur place), des odeurs d'aïoli ou de poulet
grillé flottent au dessus du bassin. Déconcertant au début, mais plutôt
stimulant quand on termine ses deux kilomètres sur le coup de midi.
Dès
qu'il fait un peu frais (et ici, une température de moins de 23 degrés est
considérée comme polaire), plus personne ne se baigne. J'ai cet immense bassin
pour moi tout seul. C'est quelque chose dont j'ai toujours rêvé. Alors je
regarde les prévisions météo tous les soirs.
Notre
logement est tout près du marché. Là, les odeurs sont beaucoup plus agressives.
La traversée des rayons de boucherie est une épreuve. Les bêtes y sont
découpées en pièces non identifiables, et les énormes tas de morceaux
blanchâtres et villeux sont aussi impressionnants que les amas sanguinolents. Il
semble que tout soit récupéré pour être mangé, ou incorporé à des préparations
inquiétantes, purées grumeleuses rosacées ou jaunâtres qu'on détesterait de
savoir dans son assiette. Et pourtant... A la limite, le rayon poisson, malgré
ses odeurs fortes, est plus supportable. Les poissons sont d'une surprenante
vivacité, et les bacs sont recouverts d'un filet pour éviter les évasions. Le
meilleur riz sauté aux crevettes est juste à côté du marché aux poissons. Il traîne
des remugles... Je m'y suis fait.
Le
pire, c'est peut-être les allées des conserves, avec des odeurs troubles,
torves, traitresses, acides, louches, rances, qu'on ne rattache à aucun aliment
connu et qui s'exhalent de gros pots remplis de pâtes colorées et granuleuses.
Nous
habitons au cinquième étage, et nous avons une jolie vue, pour autant qu'il y
ait quelque chose de joli à voir à Korat. L'immeuble fait sept étages, le
huitième est en terrasse, mais la porte sur le palier est fermée à clé.
![]() |
Mon immeuble à Korat |
S'il
fait très chaud, ou si vous n'êtes pas très sportif, vous pouvez vous contenter
de monter l'escalier tranquillement, et de courir (un peu) en descendant. Ou
bien de courir une montée sur deux. Ou bien de ne courir que les trois premiers
étages. A vous de doser pour vous sentir confortable pendant au moins une demie
heure. Au bout de dix étages, il serait étonnant que vous n'ayez pas déjà un
effet "cardio", très positif.
J'ai
couru pendant des années dans le célèbre escalier d'Odessa, été comme hiver - quand
les marches n'étaient pas verglacées. Certes, c'est une chance inouïe d'avoir eu
pour compagnon d'exercice le personnage central d'un film d'Eisenstein. A
Korat, je me contente des huit étages de mon immeuble anonyme. C'est petit à
côté de l'Empire State Building, où se tient tous les ans une épreuve du
championnat du monde - jamais gagnée par un français. L'avantage de mon petit
immeuble, c'est que les montées sont entrecoupées de descentes qui me
permettent de reprendre souffle - fractionné obligatoire, très bon pour
progresser. J'en suis à cent-quarante huit étages. Plus haut que le Stratosphere,
à Las Vegas. Pas si mal!
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